Retraites complémentaires : la gauche renvoie la réforme à 2019

Si la réforme des retraites complémentaires met les retraités à contribution dès maintenant, les salariés n'en subiront pas les conséquences avant 2019. Et François Hollande n'a pas à relever l'âge de la retraite avant la fin de son quinquennat. Par François Charpentier, spécialiste de la protection sociale.
François Charpentier, spécialiste de la protection sociale.

Une lecture attentive de l'accord sur les retraites complémentaires Agirc-Arrco, finalisé ce vendredi 30 octobre, permet de conclure que les retraités seront dès à présent fortement mis à contribution pour boucher les trous. Les salariés du privé paieront un peu, mais pas avant 2019. Quant aux entreprises, elles ne contribueront dans les faits pratiquement pas.

Explication : les retraités verront leurs pensions complémentaires revalorisées le 1er novembre de chaque année au lieu du 1er avril et surtout la politique de sous-indexation des retraites par rapport aux prix (un point de moins que l'inflation), mise en œuvre il y a trois ans, se poursuivra sur les trois prochaines années. Ils apporteront ainsi 3,4 milliards d'euros d'économies aux régimes d'ici à 2020 sur les 3,6 milliards attendus. Quant aux salariés en activité ils ne subiront les effets des fameux "coefficients de solidarité" (10% d'abattement sur leur pension complémentaire pendant trois ans pour une retraite complémentaire prise avant 63 ans) ou ne profiteront des "coefficients majorants" qu'à partir de 2019, autrement dit dans trois ans... Économie estimée en 2020 : 500 millions d'euros. Restent les entreprises : leur relèvement de cotisation en 2019 sera intégralement compensé par un allègement de leur cotisations sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Opération blanche donc.

Succès pour le Medef , mise en échec du paritarisme

On comprend mieux dans ces conditions pourquoi le président du Medef, Pierre Gattaz, peut se prévaloir d'un vrai succès pour son organisation. Dès le printemps dernier, au cours d'un point de presse, il avait indiqué que les entreprises ne paieraient "pas un chouïa de plus". Parole tenue aujourd'hui. Mais victoire du paritarisme ? On peut en douter. La règle voulait jusque là que les efforts à consentir soient équitablement partagés entre toutes les parties à la négociation. Manifestement, on en est loin. On relèvera, notamment, que les retraités seront d'autant plus à la peine dans les prochains mois que les économies qu'on leur demande de supporter seuls d'ici à 2019 se doublent, pour certains,  d'une forte hausse de leur impôt sur les revenus.

Quant aux salariés, ils peuvent à bon droit s'inquiéter du manque d'imagination - ou de courage politique - de leurs dirigeants qui ne voient de solution que dans une fuite en avant dans des énièmes mesures paramétriques d'un report de l'âge de départ en retraite.

Toujours la tactique de "la patate chaude"

François Hollande de son côté, s'il peut se satisfaire d'une situation qui lui évite dans l'immédiat d'avoir à relever l'âge du départ en retraite et de reporter cette responsabilité sur les syndicats signataires, remporte une victoire à la Pyrrhus. De deux choses l'une en effet, ou bien la CFDT a joué l'alternance en se mettant en position d'engager une véritable réforme systémique quand la droite sera revenue au pouvoir ; ou bien elle lui a rendu un fier service en le dispensant aujourd'hui de prendre ses responsabilités sur ce dossier. Mais alors on voit assez mal pourquoi le chef de l'État qui a multiplié les manœuvres d'évitement sur ce dossier gênant pendant son quinquennat, se montrerait plus entreprenant s'il devait le retrouver sur le chemin d'un second mandat.

Dans l'immédiat, après le non interventionnisme de Lionel Jospin entre juin 1997 et mai 2002, la preuve est une nouvelle fois apportée que sur le terrain des retraites, la gauche a une fâcheuse tendance à "refiler la patate chaude" à la droite. Édouard Balladur en 1993, François Fillon en 2003 et Nicolas Sarkozy en 2010 en ont tous les trois fait l'expérience.

La fin de l'Agirc est programmée

Au-delà, force est de constater que le présent accord laisse dubitatif sur ses résultats. D'une part, il est particulièrement difficile de tirer des plans sur la comète à horizon de 2019 sur une question faisant intervenir des paramètres aussi aléatoires que la croissance économique, l'emploi et les salaires. D'autre part, l'impression prévaut à la lecture de l'accord que l'essentiel ne réside pas dans ces mesures paramétriques qui font les gros titres des médias, mais dans cette fusion des régimes Agirc-Arrco dont les modalités sont esquissées dans l'accord. Première remarque par conséquent, ce qui est en cause est moins la préservation du système tel qu'il est aujourd'hui, que la disparition du régime des cadres gravement déficitaire et son remplacement par quelque chose dont on discerne encore très mal les contours. Et pour cause puisqu'une négociation doit s'ouvrir pour déboucher sur un accord "avant le 1er janvier 2018". Objectif précisé dans l'article 8 de l'accord : définir les éléments techniques et managériaux qui caractérisent l'encadrement, permettre aux branches de s'y adapter, moderniser le dispositif de prévoyance et pérenniser la cotisation de 1,5 % en place depuis 1947. En vue de développer un régime supplémentaire pour les cadres ? L'accord reste muet sur le sujet.

En revanche, les signataires sont étonnement diserts sur ce qui est finalement au centre de l'accord de vendredi dernier, la mise en place d'un régime unifié de retraite complémentaire (article 10 de l'accord) et d'un pilotage pluriannuel de la retraite complémentaire (article 11). Ces dispositions occupent à elles seules les pages 5 à 10 d'un accord qui en compte 12...

Les grands principes

Concernant le régime unifié, il est donc précisé qu'il devra s'agir d'un régime en répartition par points dont la mise eu point sera effectuée par un groupe de travail paritaire. Il reposera sur la solidarité intergénérationnelle et interprofessionnelle, devra s'équilibrer financièrement et pourra constituer des réserves. D'ci à 2022 au plus tard, les dépenses de gestion devront être réduites de 300 millions d'euros.

Les cotisations (60 % pour l'employeur et 40 % pour le salarié) perçues sur le salaire brut varieront selon deux tranches de rémunération : 6,20 % entre le premier euro et le plafond de la sécurité sociale d'une part, 17 % entre ce plafond et huit fois ce plafond d'autre part. Comme actuellement, il y aura un taux contractuel et un taux d'appel (127 %) non générateur de droits pour les participants au régime.

La valeur de service du point sera calculée en tenant compte de la situation économique et de l'évolution démographique. La liquidation se fera sous réserve de l'application des coefficients d'anticipation viagers ou de coefficients temporaires. L'accord précise encore - sans s'y attarder... - que d'ici au 1er janvier 2019, " les réserves du régime Arrco pourront, en cas de nécessité, être mobilisées au bénéfice du régime Agirc selon des modalités fixées par décisions conformes des conseils d'administration de l'Agirc et de l'Arrco". Les non-cadres payant pour la retraites des cadres ? Là encore, rien de bien nouveau...

La CFDT prend tous les risques

Second volet important de l'accord, la mise au point d'un "pilotage pluri annuel" à compter du 1er janvier 2019. Il s'agit d'adapter "en temps réel" le fonctionnement du futur régime aux variations économiques et démographiques pour injecter de la confiance dans le système et mettre fin aux comportements anxiogènes. Au "pilotage stratégique" négocié tous les quatre ans au plan national et définissant une soutenabilité financière sur quinze ans, s'ajoute un "pilotage tactique" arrêté chaque année.

Ce projet de régime unifié et ce schéma de gestion correspondent en tous points aux préconisations de la CFDT et expliquent que ce syndicat ait donné sa signature, alors que FO, pourtant favorable au projet de fusion Agirc-Arrco, a refusé de cautionner un accord lâchant trop de lest au Medef. Ce faisant, la CFDT, qui s'était illustrée en 2003 en acceptant les termes de la réforme Fillon et qui ose aujourd'hui un "cavalier seul" à l'AP-HP sur une remise en cause des 35 heures, prend tous les risques sur le dossier retraite sur lequel elle estime avoir fait suffisamment de pédagogie auprès de ses militants. Aujourd'hui, à plus de trois ans de l'échéance, cela peut passer. Mais demain, en 2019 ? Quand il faudra "vendre" à tous les cadres de France et de Navarre la disparition d'un régime qui fait figure de "graal social" dans la société française, elle risque une nouvelle fois de se retrouver bien seule. Sauf si la gauche... Mais ce serait bien la première fois !

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Commentaires 4
à écrit le 02/11/2015 à 17:48
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Compte-tenu de la modicité des retraites françaises, les futurs retraités ont intérêt à envisager de vivre ailleurs,dans des pays où le coût de la vie est moindre, s'ils ne veulent pas finir à la soupe populaire.

à écrit le 02/11/2015 à 13:56
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Cela présage en fin de compte, de moins en moins de monde au travail, de moins en moins d'entrée de cotisation et de plus en plus de chômage et d'austérité! Tout cela parce nous sommes dans l'UE et dans l'euro, qui est une monnaie qui ne nous apparti...

à écrit le 02/11/2015 à 13:53
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Les salariés et potentiels futurs retraités sont triplement pénalités : 1 - par la "taxe" de 10% sur 3 ans appliquée sur leur complémentaire (s'ils partent à l'heure sans rab) ET 2 - la baisse de rendement des régimes : nos cotisations sont transf...

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