Sauver le capitalisme menacé par les capitalistes

Le chantage exercé par des entreprises à taille de mastodonte, comme Apple, ne lèse pas seulement les intérêts du consommateur et bien-sûr du contribuable : il nuit fondamentalement à l'image même du capitalisme. Par Michel Santi, économiste*

Il faut sauver le capitalisme car celui-ci est menacé par les capitalistes ! Entreprises échappant à toute régulation et dont les trésoreries se muent en rentes pour les directions générales et pour l'actionnariat. Cartels qui s'arrogent des monopoles faussant la concurrence, pourtant vitale pour assainir l'économie. Il est un fait que les capitalistes n'apprécient guère la compétition en dépit de l'évidence admise de toutes et de tous que le système capitalisme ne prospère que pour et par la compétition.

A cet égard, la globalisation a foncièrement modifié la donne, en faveur des méga-entreprises qui s'y sont engouffrées et faisant usage de toutes les brèches et de toutes les failles du système dans le but de s'acquitter le moins possible de l'impôt. Certes, les Etats - qui se livrent entre eux à une lutte fiscale acharnée - ont-ils fait preuve de grande clémence vis-à-vis de ces multinationales qui menacent de délocaliser - et donc de licencier - à la moindre « incartade » des pays qui les accueillent. En attendant, ce chantage exercé par ces entreprises à taille de mastodonte ne lèse pas seulement les intérêts du consommateur et bien-sûr du contribuable : il nuit fondamentalement à l'image même du capitalisme.

Les gouvernements devraient s'effacer devant Apple

Quand le banquier John Pierpont Morgan affirmait qu'il pourrait traiter d'égal à égal avec le Président Roosevelt, le patron d'Apple, Tim Cook, a qualifié -"O tempora O mores"- l'amende tout récemment infligée à sa société par la Commission Européenne de "merde politique" ("political crap")... En dépit de montages et de l'utilisation d'entités échappant à tout contrôle étatique, Cook semble suggérer que sa société évolue dans des sphères qui doivent rester hors de portée de la méprisable politique et des fonctionnaires chargés d'appliquer les réglementations. Les gouvernements seraient effectivement priés de s'effacer face aux produits créés par Apple qui s'est arrogé le droit de mériter un statut spécial, et qui n'a donc pas à payer 13 milliards d'euros d'arriérés d'impôts à l'Etat irlandais alors même qu'elle détient plus de 200 milliards d'euros sur des comptes offshores échappant à toute taxation.

Pour autant, le fabricant d'i-phones n'est de loin pas seul dans le collimateur des autorités européennes qui sont sur le point de redresser également Starbucks, Amazon, McDonald's qui se livrent tous à une concurrence déloyale en faisant feu de tous les artifices leur permettant de s'acquitter du plus petit impôt possible et imaginable. Apple ne paie-t-il pas 0.005 % de taxation sur ses revenus ?? Par ailleurs, Google - qui jouit d'une domination quasi absolue dans nombre de secteurs d'activité- n'est-il pas lui aussi sous le coup d'une enquête minutieuse pour ses affaires européennes ?

Ne soyons donc pas étonnés ou scandalisés que de plus en plus de nos concitoyens stigmatisent la globalisation, trop souvent synonyme de comportements abusifs, de tricheries fiscales et de dévoiement du capitalisme. Cette perception, de plus en plus répandue, selon laquelle le système est pourri parce que nombre d'entreprises et d'individus semblent au-dessus des lois ruine l'image du capitalisme.

Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est conseiller en investissements sur le marché de l'art et Directeur Général d'Art Trading & Finance. Il est également l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience", "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique" et de "Misère et opulence".

A paraître en septembre chez « Lignes de repères » : « Plus de Capital au XXI è siècle », préfacé par Philippe Bilger.

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Commentaires 4
à écrit le 16/11/2016 à 15:20
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L'élection de Trump aux ÉTATS-UNIS comme le BREXIT anglais montrent que les peuples ne sont pas d'accord avec cette évolution qui n'avantage qu'une minorité dans les pays riches comme dans les pays pauvres. Mais il faut encore savoir quoi faire: je v...

à écrit le 30/09/2016 à 13:22
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Le capitalisme correspond à une époque où l'énergie avait peu d'importance. Il en est autrement maintenant. Il faut raisonner avec le travail, le capital ET l'énergie. Nous ne sommes plus au moyen age. Il faut en particulier répartir les charges soci...

à écrit le 30/09/2016 à 11:09
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Selon les 10-Q Form, Apple paie environ 26% de taxes sur ses revenus mondiaux; le taux pour Alphabet (ex Google) est à environ 20%. Il y a certes (et probablement) optimisation fiscale. Je vous invite à lire les rapports annuels des sociétés multina...

à écrit le 29/09/2016 à 10:17
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Encore une bonne analyse M. Santi qui devrait comme d’habitude rameuter tous les pseudonymes des un ou deux trolls néolibéraux de latribune, mais merci pour ces paroles si sages. Le capitalisme n'est pas un mauvais système en soit, certainement p...

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