Sept idées fausses sur la stratégie des start-ups

De l'absence de stratégie nécessaire au choix naturel de ne pas se développer à l'international, les idées fausses sont nombreuses sur les start-ups. Par Thibaut Bechetoille, président du directoire de Qosmos

Le terme de stratégie est souvent galvaudé dans les média et le monde économique. Beaucoup d'entreprises qualifient de « stratégiques » des actions ou des décisions qui ne le sont pas. Or la réussite du business model d'une société repose en grande partie sur la pertinence de sa stratégie, c'est pourquoi il est essentiel de tordre le cou à ces idées reçues qui empêchent les entreprises d'optimiser leur développement.


1. La stratégie, c'est pour les grosses boîtes.

Faux. Dans les petites comme les grandes entreprises, la stratégie consiste à utiliser au mieux les ressources pour créer de la valeur sur un « segment stratégique » défini par le trio : cible, usage, savoir-faire. Ce segment stratégique va définir l'ADN de l'entreprise. Le temps passé sur la réflexion stratégique au stade de la création d'une entreprise est donc fondamental : c'est ce qui déterminera son succès futur. Cette réflexion initiale n'est pas incompatible avec des ajustements progressifs de la stratégie en fonction des interactions avec le marché. Le business model initial de Criteo, par exemple, visait à faire des recommandations personnalisées de sites de commerce en ligne. La croissance laborieuse de ce marché l'a poussé à se tourner vers le ciblage publicitaire, un revirement stratégique qui lui a permis d'atteindre 2,25 milliards d'euros de capitalisation boursière en 2014...

2. Je ne vais pas réfléchir à une stratégie maintenant et me couper des opportunités concrètes que je peux trouver.

Erreur. La stratégie est un processus itératif, continu entre la société et le marché. Toute nouvelle opportunité - rendez-vous client, partenaire ou prospect - doit être intégré dans le processus de réflexion stratégique. Une stratégie peut donc évoluer, voire changer radicalement. Cela a été le cas chez Qosmos : en faisant évoluer son positionnement, six ans après sa création, pour devenir un producteur de technologies d'intelligence réseau destinées à être intégrées dans des systèmes plus complets, pour des applications variées, la société a démultiplié sa croissance et s'est très vite imposée comme le leader de son marché. Ce positionnement est le fruit d'un processus continu de réflexion stratégique mis en place en 2006. Cela n'a pas été une perte de temps mais au contraire, un élément clé de son succès d'aujourd'hui.

3. Je n'ai pas le temps de réfléchir à la stratégie. J'ai des affaires plus urgentes à traiter.

Contre-sens. Le long terme et le court terme ne s'opposent pas. Ils s'alimentent l'un l'autre. Il faut mettre en place un processus stratégique continu. Chez Qosmos, il y a deux revues stratégiques par trimestre mais la réflexion est quotidienne. C'est la conduite, en parallèle, du business quotidien et de la réflexion stratégique qui crée les conditions d'une croissance vertueuse.


4. La stratégie, c'est pour les patrons

Pas seulement. Une stratégie claire se décline en actions opérationnelles sur toute la chaine de l'entreprise et donc très concrètement jusqu'au technicien de maintenance ou à la personne qui réceptionne les appels clients. C'est l'alignement stratégique de toutes les ressources de l'entreprise qui crée la force de la société sur le long terme. Par ailleurs, associer chaque salarié à la réflexion stratégique de l'entreprise est un moteur puissant, car la co-construction entraîne une vraie appropriation de la stratégie par tous. Il faut en cela s'inspirer de Leroy Merlin qui a développé tout un travail autour des logiques collaboratives et initié une vraie coopération entre services et un décloisonnement en termes de hiérarchie.

Cette démarche, appelée « Vision », consiste à proposer aux collaborateurs comme des chefs de rayons d'envisager le futur de l'entreprise et sa participation active dans cette projection. Les remontées des employés sur les comportements d'achat, les besoins précis et concrets des clients, l'analyse rigoureuse de la concurrence, la recherche des meilleures relations avec les fournisseurs,... sont autant d'éléments qui peuvent aider à construire la vision stratégique de la société.


5. Il faut avoir beaucoup d'offres différentes pour pouvoir répondre à toutes les demandes des clients.

Absolument pas. Il faut inverser le raisonnement et se demander quelle est la meilleure offre pour la cible identifiée. La notion de « canevas stratégique » est ici fondamentale : il s'agit de déterminer sur quels critères de valeur l'entreprise sera la meilleure et sur quels critères de valeur elle ne se positionnera pas et ce manière volontaire. Qosmos a décliné des demandes portant sur le développement d'interface utilisateur ou l'analyse des données, car elles ne correspondaient pas à ses activités. Cela n'a pas empêché la société de se développer, bien au contraire : elle est reconnue de tous ses clients comme l'expert de son marché.

6. Il y a tellement d'innovations et de créations qu'il est impossible de créer une société sans se retrouver face à deux ou trois concurrents qui font la même chose

Parfaitement faux. Quel que soit le domaine d'activité, aussi classique soit-il, il est possible de trouver un positionnement stratégique différent : boulangerie, centre de fitness, accompagnement de personnes âgées à domicile, service de taxis, etc. L'important est de travailler sur son canevas stratégique en identifiant les critères de valeur sur lesquels on souhaite devenir excellents. La société « Senior Compagnie » qui accompagne les personnes âgées à domicile, s'est installée sur un secteur extrêmement concurrentiel, où foisonnent entreprises privées et associations... Au bout d'un an de coaching et de réflexion, les fondateurs ont déterminé leur élément de différenciation : le lien social. À partir de cela, le positionnement, le recrutement, la formation ont été alignés derrière ce facteur différenciant : recrutement d'auxiliaires de vie motivées par cette dimension de relation humaine avec les clients de l'entreprise, organisation de soirées de cinéma ou d'opéra, de discussions autour de l'actualité ou d'événements historiques pour rompre l'isolement. Senior Compagnie a maintenant 50 franchises en France, conquises par ce thème du lien social.

7. J'ai le meilleur produit du monde,  mais je vais y aller petit à petit en commençant au niveau local, puis régional, national, européen et un jour international

Faux. Si le positionnement stratégique est suffisamment différencié et que le produit ou service peut s'appliquer au marché mondial, il faut lever l'argent nécessaire pour aller vite. Le travers français est d'être trop timide dans la levée de fonds, en commençant par exemple par lever quelques centaines de milliers d'euros auprès de business angels (300 000€) puis un peu plus avec des sociétés de capital-risque (un ou deux millions d'euros). À l'inverse, les Américains injectent facilement 30 millions de dollars dans un futur leader. La prime au leader est énorme sur un nouveau marché. Par exemple, dans le domaine de l'optimisation de réseau d'entreprise, la société française Ipanema qui a commencé en 1999 en France a laissé partir son concurrent direct Riverbed qui réalisait 1,1 Milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2014. Ipanema, qui vient d'être vendue à Infovista, en réalisait moins de 20 fois moins.



* Pionnier dans l'analyse du trafic internet, Qosmos est aujourd'hui leader mondial de l'intelligence réseau embarquée.

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