Transformation digitale : la nécessité d'une révolution sociétale

Le numérique est synonyme de transformation du travail. Désormais, dans beaucoup d'activités, ce qui crée de la valeur, c'est moins l'humain que la puissance scientifique et technique. Il faut donc déconnecter le revenu du travail, en créant un revenu minimum, par exemple. Par Ibrahima Fall, entrepreneur, fondateur de la ConsulTech Experdeus et docteur en management

Nous vivons indéniablement un tournant digital qui questionne les fondements de notre société : son organisation sociale et le rapport des individus au travail.
L'analyse des transformations en cours montre qu'il s'agit moins d'une révolution dans le sens d'un changement brusque qui se produit dans une société que d'une évolution naturelle de la propension de l'homme moderne à rechercher pour toute chose le moyen absolument le plus efficace.

Le tournant digital est rendu possible par le développement des nouvelles technologies et ce n'est pas prêt de s'arrêter. Nous savons depuis longtemps qu'une capacité technique disponible ne pouvait être thésaurisée car nous sommes encore loin d'une certaine l'éthique de la non-puissance prônée par Jacques Ellul. Pour illustrer ce fait, Denis Gabor, le physicien hongrois a donné son nom à une célèbre loi, la loi de Gabor qu'on peut résumer ainsi : tout ce qui est techniquement possible sera nécessairement réalisé quel que soit le prix.

Une technicisation qui n'est pas sans conséquence sociale

Aujourd'hui, il est possible grâce aux nouveaux développements techniques notamment avec les plateformes technologiques de reconfigurer fondamentalement des pans entiers de l'économie traditionnelle : on peut désormais être hôtelier sans posséder le moindre hôtel, être une société de taxis sans avoir à acheter la moindre voiture, vendre des prestations de conseil sans avoir à embaucher, exercer le métier de banquier sans les investissements « lourds » de la banque traditionnelle etc. Cette « ubérisation » n'est ni plus ni moins qu'une technicisation avancée des activités traditionnelles. Néanmoins, elle n'est pas sans conséquence sociale.

Une « freelancisation » du travail

On assiste désormais à une « freelancisation » du travail qui touche tous les corps de métier quelque soit le niveau d'expertise requis avec comme conséquence des périodes d'inactivités plus ou moins importantes et des problématiques de couverture sociale. Cette « freelancisation » du travail n'est plus réservée aux seuls métiers qui étaient originellement adaptés à ces pratiques comme par exemple l'informatique, le design ou même le conseil. Aujourd'hui, on parle désormais de l'ubérisation d'activités bancaires comme la gestion d'actifs ou d'activités jusque là préservées comme la médecine avec le concept de médecine sans médecin.


Bossuet et les pouvoirs publics

Comment accompagner et canaliser ces évolutions ? Il semble que les pouvoirs publics illustrent parfaitement la célèbre phrase de Bossuet que Pierre Rosanvallon appelle à juste titre le paradoxe de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu'ils en chérissent les causes ». En effet, les pouvoirs publics, d'une part, jouent un rôle d'accompagnement des innovations techniques avec des catalogues de financement et d'incitations de tout ordre pour les entreprises et les start-up et d'autre part, ils pansent périodiquement les conséquences humaines et sociales induites par ces mêmes innovations techniques notamment dans le digital.

Du coté des salariés victimes avérés ou potentiels de l'uberisation, nous l'avons récemment vu en France avec les chauffeurs de taxis, l'heure est à la mobilisation pour la défense de leur dignité et de leur gagne pain. Et là encore, les pouvoirs publics sont présents et promettent de défendre les règles de droit et les valeurs sociales du pays. Il y a de quoi être schizophrène pour toute personne lisant assidument la rubrique « digital » d'un journal économique.


Vers une « disruption » sociétale

« La où croit le péril croit aussi ce qui sauve » Hölderlin. Cette « freelancisation » de l'économie, loin d'être un signe avant-coureur de la fin du travail, cette utopie qui a prévalu il y a quelques années est plutôt synonyme de la raréfaction des emplois de jadis. Désormais, dans beaucoup d'activités, ce qui crée de la valeur, c'est moins l'humain que la puissance scientifique et technique. Dès lors, nous devons faire face à une incompatibilité grandissante entre la création de valeur par la science et la technique et l'organisation actuelle de la société basée entre autres sur le salaire.

Ce constat n'est pas nouveau, il a été fait notamment par l'économiste Robert Theobald il y a plus de 50 ans. La solution qu'il prônait était d'instituer un revenu minimum garanti, solution qui semble être toujours d'actualité car disait-il l'automation avait tendance à rendre le travail rémunéré obsolète et qu'il était dès lors opportun qu'un revenu soit distribué sans contrepartie par l'Etat pour maintenir la consommation. Aujourd'hui, nous sommes plus que jamais face à un choix civilisationnel : continuer à naviguer de crise en crise en rafistolant des solutions qui deviennent obsolètes aussitôt émises ou accompagner l'inéluctable et l'inébranlable tournant digital en inventant un nouveau modèle sociétal.

Ibrahima FALL est entrepreneur, fondateur de la ConsulTech Experdeus et docteur en management

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Commentaires 2
à écrit le 24/11/2015 à 18:32
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Ce qui me désole également c'est de ne jamais voir les êtres humains que nous sommes pris en compte ...tout au plus nous en sommes réduits à l'état d'individus cade barres sortis des algorithmes du big data tout juste bon à consommer ce que le dieu G...

à écrit le 24/11/2015 à 18:20
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Je lis à longueur de semaine des contributions de la même veine sans y percevoir une once de propositions sur ce que pourrait être notre avenir même utopique ,après tout nous avons tous le droit de rêver ! Entre l'intelligence artificielle, les impr...

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