"Trouver des solutions alternatives au financement de la sécurité sociale par les salaires"

Pour Guillaume Sainteny, spécialiste du développement durable, l'économie collaborative va contribuer à la fin du mode de production traditionnel, fondé sur le salariat. D'autres pistes de financement de la protection sociale, alternatives aux salaires, peuvent être trouvées, affirme-t-il.
Guillaume Sainteny, maître de conférences à Polytechnique

LA TRIBUNE - Économie circulaire, économie collaborative, écologie industrielle... Comment caractériser ces différents secteurs ?

GUILLAUME SAINTENY - Ce sont des notions proches mais légèrement distinctes. L'économie circulaire part d'une idée simple : produire des biens et services en limitant la consommation et le gaspillage de matières premières, en favorisant leur réutilisation plus que leur destruction. L'écologie industrielle, elle, souhaite organiser l'industrie comme un écosystème.

L'entreprise X vend des produits à Y, les déchets liés à sa production sont vendus à Z. En France, Grande-Synthe, près de Dunkerque, en est un exemple. L'idée générale, c'est qu'on ne doit plus parler de déchets, mais de « matières premières secondaires », issues du processus de production.

Le deuxième grand pan de cette économie, c'est celui de la « fonctionnalité » ou de l'« économie de l'usage ». C'est l'idée qu'il n'est plus nécessaire de posséder les biens, c'est leur usage qui importe.

C'est Bolloré avec ses Bluecar ; c'est BlaBlaCar, Uber, Airbnb, Vélib'... Il y a là comme une ruse de l'histoire, car cette idée que la possession importe peu, qu'il ne faut plus chercher à acquérir des biens, était très présente dans la pensée écologiste des années 1970. Elle a été popularisée par des auteurs comme Ivan Illich - qui avait calculé, par exemple, que si l'on comptait le temps d'utilisation d'une voiture, plus le temps passé à s'en occuper, plus le temps de travail nécessaire pour gagner de quoi l'acheter, on ne se déplaçait pas plus vite qu'à l'époque des diligences ! -, idée qui a commencé à émerger en France après mai 1968. Or, aujourd'hui, on voit bien qu'elle est récupérée par des startups qui tentent de se créer sur un modèle économique correspondant cette économie de l'usage. Ce ne sont pas les insiders, grandes entreprises installées qui le font, mais des outsiders (startups) ou acteurs extérieurs au secteur. Ces deux modèles finissent par entrer en concurrence.

S'agissant de la fiscalité, les mailles du filet ont l'air de s'agrandir de jour en jour, laissant passer de plus en plus de richesse créée. Comment les États peuvent-ils réagir ?

Ils savent s'adapter aux évolutions économiques. En 1928 a été créée la Taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), pas du tout pour inciter aux économies d'énergie ou pour taxer l'émission de produits polluants mais pour remplacer l'impôt sur le sel ! Ce n'est pas un hasard si la TIPP a changé de nom récemment, pour devenir la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), sans référence au pétrole. Car, pour maintenir ses recettes, l'État voudra, bien sûr, taxer les nouvelles énergies non pétrolières (biocarburants, hydrogène, électricité, etc.) qui remplacent déjà et remplaceront de plus en plus les produits pétroliers.

De même, les péages urbains sont désormais possibles en France depuis la loi Grenelle. Or, justement, les redevances kilométriques ou péages urbains sont assez bien adaptés à une taxation de l'usage plus que de la possession. Ce type de taxation existe déjà en Allemagne, en Autriche, en Suisse, etc.

Au-delà, cette économie n'annonce-t-elle pas aussi une rupture dans notre organisation sociale, nombre de ses défenseurs annonçant notamment la fin du salariat, qui serait la caractéristique d'un modèle de grande industrie désormais totalement dépassé ?

Elle y participe probablement. Après le burn-out, les médecins anglo-saxons diagnostiquent les symptômes médicaux liés au bore-out, l'ennui au travail lié à des tâches répétitives, vides de sens, ou pour lesquelles le salarié est surqualifié.

Et comment finance-t-on la protection sociale, si le salariat tend à disparaître ?

Au sein même du gouvernement actuel, certains estiment que la TVA sociale n'était pas une si mauvaise idée, finalement. Ce qui est clair, c'est qu'il faut moins taxer le travail.

Mais la TVA sociale serait loin de suffire à compenser les pertes de recettes de la sécurité sociale, si le salariat recule dans des proportions importantes...

Un point de TVA en plus, c'est tout de même 7 milliards d'euros de recettes en plus. D'autres pistes peuvent être suivies : la France est en queue de peloton de l'UE pour l'écofiscalité. Chaque année, l'OCDE, l'Union européenne et le FMI suggèrent à la France de baisser ses charges sociales et d'augmenter ses taxes sur la pollution. Ils ne le lui demandent pas pour des raisons environnementales mais pour des raisons économiques.

Et elle ne le fait pas.

Le problème, c'est que cette fiscalité a vocation à disparaître, puisque taxer les émissions polluantes contribue à les diminuer, jusqu'à les éliminer totalement...

Certes, en théorie. Mais cela supposerait que les taux des écotaxes soient suffisamment incitatifs. Or, ce n'est pas le cas dans l'Hexagone où ils sont très bas, par rapport aux pays scandinaves par exemple.

Cette fiscalité écologique peut-elle suffire à compenser les pertes de recettes liées à l'érosion de la masse salariale ?

Probablement pas. Mais, naturellement, il faut un ensemble de solutions : une meilleure efficience des politiques sociales, un moindre gaspillage, un accroissement de la taxation des pollutions, etc.

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Commentaires 3
à écrit le 19/06/2015 à 17:02
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Monsieur Sainteny, pourquoi n'applique-t-on pas la mesure que vous préconisez en basculant la fiscalité du travail sur la fiscalité énergétique? Pour moi, c'est un mystère!

à écrit le 18/06/2015 à 13:17
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Oui, il s'agit bien d'un problème purement économique. Il faut basculer la fiscalité du travail sur la fiscalité énergétique. Exprimez-vous!

à écrit le 18/06/2015 à 13:10
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Il faut répartir les charges sociales sur le travail et sur l'énergie jusqu'à un certain seuil que l'on peut atteindre progressivement.

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