Un autre regard sur Hjalmar Schacht

Quelles sont les réalisations de Hjalmar Schacht, président de la Reichsbank au début des années 20? A-t-il sauvé l'Allemagne de l'hyperinflation? En quoi a-t-il préparé l'Allemagne à la guerre? Par Frédéric Clavert, docteur en histoire contemporaine
Hitler et Schacht

Hjalmar Schacht, président de la Reichsbank, conservateur allié aux Nazis n'a cessé de susciter tout au long du XXe siècle d'importantes polémiques. Bien que méconnu du grand public, il a fait l'objet de plusieurs biographies, dont les premières paraissent dès l'entre-deux-guerres, y compris en France. Leurs auteurs sont des polémistes, d'anciens nazis, des praticiens de l'économie et des finances ou, bien sûr, des historiens.

Remettre en cause certains mythes

Ainsi, le livre de Jean-François Bouchard n'est-il que le dernier avatar d'une longue série d'ouvrages tantôt polémiques, tantôt hagiographiques, plus rarement académiques.
Ayant écrit une biographie de Schacht qui se focalise particulièrement sur sa période nazie (1930-1950), l'ouvrage de Jean-François Bouchard m'a logiquement intéressé. Si l'auteur réussit parfois à cerner l'ambiguïté d'un ancien libéral de gauche, démocrate, devenu conservateur et ministre du IIIe Reich, son livre reste plutôt attaché au genre peu nuancé de l'hagiographie. Faiblement documenté, il témoigne d'un attachement obsolète à un certain nombre de mythes concernant Hjalmar Schacht, la République de Weimar et le régime nazi, bien que ces mythes aient été largement déconstruits par les historiens depuis plusieurs décennies.

Schacht n'a pas sauvé seul l'Allemagne de l'hyperinflation

Prenons un premier exemple, celui de l'hyperinflation de 1923. Jean-François Bouchard reprend presque telle quelle la version de Schacht lui-même se présentant comme le sauveur monétaire de l'Allemagne, comme celui qui a stabilisé le mark. Cette image d'un Schacht « magicien » de la monnaie a été renforcée, dès décembre 1923, lorsque l'hyperinflation terminée, il est nommé une première fois à la tête de la Reichsbank. Ce beau récit ne tient pas à la lecture des archives. Si Schacht a eu un rôle important dans la stabilisation du mark en 1923, l'implication d'autres personnalités de la République de Weimar est tout aussi déterminante : le conservateur Helfferich, le chancelier Gustav Stresemann ou encore le sous-estimé ministre des finances Hans Luther. Le vrai rôle de Schacht en 1923 est celui d'un fusible protégeant le gouvernement en cas d'échec du plan de stabilisation.

L'efficacité de la politique nazie?

Le second exemple d'idées obsolètes présent dans l'ouvrage de Jean-François Bouchard est celui de l'efficacité de la politique économique nazie et du rôle que Schacht y tient. Nommé une seconde fois à la présidence de la Reischbank en 1933, trois ans après en avoir démissionné, Schacht aide le régime nazi à financer le réarmement, priorité du régime. La méthode choisie, le « pré-financement » par les fameux bons MEFO, ne fut, en définitive, qu'une manière sophistiquée de faire marcher la planche à billet. Outre son financement, le réarmement rencontre une seconde difficulté : l'approvisionnement en matières premières, difficiles à acquérir par le régime qui n'en produit pas assez et manque d'or et de devises pour les acheter sur le marché mondial.

Un rôle majeur dans la marche du régime vers la guerre

Pour résoudre ce problème, Schacht, parvenu à la tête du ministère de l'Économie en août 1934 quelques semaines après la Nuit des longs couteaux, met alors en place le Nouveau Plan. Ce dernier a été mené aux détriments des Allemands, comme en témoigne un échange de lettres avec son homologue de l'Agriculture, Walter Darré : de la viande « verte et puante » est alors mise en vente sur les marchés allemands.
Peut-on parler réellement de réussite économique comme le fait Jean-François Bouchard ? De mon point de vue, non : la politique de Schacht a joué un rôle majeur dans la mise en marche guerrière du régime. Cela n'a certes pas été l'intention de Schacht et les conditions de ses départs du ministère en 1937 puis de la Reichsbank en 1939 le montrent. Pour autant, quelle qu'en soit l'intention, une politique est-elle une réussite quand elle participe à une escalade guerrière en favorisant le réarmement d'un régime raciste et agressif comme le IIIe Reich ?

Nous sommes loin de l'image idyllique de sept millions de chômeurs remis au travail grâce à la construction d'autoroutes, d'autant plus que le reflux du chômage commence quelques semaines avant l'arrivée d'Hitler au pouvoir et le retour de Schacht à la Reichsbank.

Faire de la dette extérieure une arme diplomatique et commerciale

La biographie de Schacht comporte toutefois des éléments intéressants au regard de la période que nous vivons. L'un des plus beaux exemples en est la manière dont Schacht a fait de la dette extérieure du Reich une arme diplomatique et commerciale particulièrement efficace au service du réarmement. Au cours d'une série de conférences se tenant en 1933 et 1934, Schacht et la Reichsbank obligent les créanciers extérieurs du Reich - des Américains, Français, Britanniques, Belges, Néerlandais... - à accepter d'être remboursés en Reichsmarks et non en devises, ce qui les a forcé soit à investir ces Reichsmarks non changeables en d'autres monnaies dans des industries allemandes (liées au réarmement, naturellement), soit à revendre à bas coût leurs titres de créance à la Reichsbank, qui, ainsi, a pu alléger le poids de la dette allemande.

Le créancier et le débiteur sont co-responsables de la dette


De cet épisode, les créanciers des pays en difficultés financières aujourd'hui devraient retenir qu'une dette est de la responsabilité de deux parties : le créancier et le débiteur. L'un et l'autre ont autant à perdre d'un conflit qu'à gagner d'une bonne entente. Créanciers comme débiteurs peuvent faire de la dette une arme diplomatique ou un motif de conciliation. C'est tout l'enjeu - diplomatique, monétaire et commercial - des négociations entre la Grèce et ses créanciers, France, Allemagne et FMI en tête.

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Commentaire 1
à écrit le 20/05/2015 à 17:40
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Il est clair que Frédéric Clavert qui signe ce pamphlet contre Schacht ne veux pas voir d'allemand proche des socialistes nazis bon économiste. Pour sa "démonstration" il utilise une pensée moderne afin d'en faire réprouver l'action, elle n'existait ...

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