Une autre vision de Donald Trump : évaluons-le avec les critères d’un DRH

Les premières semaines de sa présidence sont chaotiques. Mais, après tout, puisque Donald Trump est un manager président, si on lui appliquait les critères d’un recruteur ou d’un DRH, pour l’évaluer ? Par Mar Pérezts, EM Lyon

Voilà que le new public management connaît son heure de gloire. Si déjà peu d'éléments échappaient à une évaluation gestionnaire,, avec Donald Trump à la Maison Blanche, on atteint la managérialisation de la présidence. Les décisions concernant la chose publique seront ouvertement et complètement résolues selon la perspective du businessman. PDG-Président, dans cet ordre. Soit. Mais alors, poussons la logique jusqu'au bout et qu'on me permette quelques réflexions à partir de critères managériaux, selon une perspective critique de gestion des ressources humaines.

Pour un responsable des RH, rien de plus habituel que d'examiner son choix de recrutement après quelques semaines de prise de poste. Mais il s'agit ici d'un poste particulier, à haute teneur stratégique et il n'y a pas de période d'essai. Le candidat recruté est placé à la tête d'une des réalités imaginées les plus influentes du monde actuel - les États-Unis d'Amérique - pendant une durée déterminée de 4 ans, renouvelable une fois après un premier bilan.

Le salaire de base est de 400 000 dollars annuels. Auxquels s'ajoutent presque 170 000 dollars pour couvrir diverses dépenses, ainsi que plusieurs avantages : sécurité, logement de fonction, service de transport exclusif. Certains avantages s'étendent parfois au-delà de la fin du contrat tels qu'une couverture santé, la mise à disposition d'un bureau et une pension annuelle à hauteur de 50 % du salaire précédemment reçu.

Un profil atypique

Donald Trump, a été le candidat retenu après le processus de recrutement particulier menant à ce poste. À l'instar des jeux en vogue comme techniques de recrutement - serious games, concours divers tels son propre The Apprentice - il a tenté sa chance et en est sorti vainqueur à la surprise générale et probablement la sienne aussi.

Il faut dire que son CV différait des candidatures habituelles pour ce poste. C'était donc un candidat risqué, mais qui justement semble avoir plu par sa nouveauté et son côté outsider. La transdisciplinarité a le vent en poupe, après tout.

De quoi le conforter dans son image de vainqueur, contenue dans son nom même (le verbe transitif to trump « triompher de, passer outre ») devenue une marque internationale. Il confirme ainsi ses compétences en personal branding et impression management. Son palmarès est désormais complété par le dernier titre qui lui manquait : président de la plus grande puissance mondiale. Difficile d'avoir un CV mieux garni. Ses compétences de dirigeant sont plébiscitées par le marché, au point qu'il a même magnanimement proposé de renoncer au salaire proposé pour son nouveau poste.

C'est un excellent promoteur d'affaires (et de lui-même), un stratège-architecte dont les activités fleurissent. Un véritable titan (il semble même avoir inventé le concept) et un créatif innovant qui sait diversifier ses activités allant des concours de beauté aux championnats de boxe en passant par l'immobilier.

Évaluation des compétences

Reste à savoir si ces compétences restent transposables, et dans quelle mesure, à son nouveau poste. Des chercheurs ont montré que le maintien d'une performance passée n'accompagne pas nécessairement un changement de poste. Rien ne garantit que, dans le nouveau contexte organisationnel et entouré d'une nouvelle équipe, elle sera au rendez-vous. Vu le défilé des membres de son cabinet ces premières semaines, on peut en douter.

D'autant plus que, n'en déplaise à Donald Trump qui semble s'obstiner à l'ignorer, les indicateurs de performance de sa nouvelle fonction sont loin d'être les mêmes que ceux qui le proclamaient gagnant jusque-là. La C-suite n'est pas le bureau Ovale. Un pays n'est pas une entreprise. Et la chose publique n'est pas le marché. Pourtant, on décèle chez lui une volonté inquiétante de rendre cette projection économorphe performative, et peut-être y arrivera-t-il.

Passons aux soft skills, particulièrement prisés aujourd'hui. En termes d'intelligence émotionnelle, des moments d'hilarité s'accumulent. Conflits (littéralement) arrosés, discours sexistes, gaffes diplomatiques, traitement de la question des immigrés - latinos en particulier - laissent à désirer. Ou bien il est très bon pour jouer des colères opportunes dont la logique nous échappe, ou alors il est tout simplement sujet à piquer des crises aux coûts politiques élevés.

En termes de self-awareness, il s'agit d'un cas extrême. Il a une conscience constante de lui-même, à la fois comme personne et comme dramatis personnae. Tout est superlatif chez lui. « The largest », « the best ever ». Il fait preuve d'une novlangue créative « yuuuge », « bigly »... Chaque apparition est une opportunité pour renforcer son rating personnel et sa classification au rang des celebrities en rappelant ses succès en tant qu'entrepreneur et sa contribution à l'histoire du Succès avec un grand « s ».

Aussi, il conçoit le leadership en bulldozer. Sa vision de leader est marquée par ce qu'on pourrait appeler une forte épistémologie du mur, qui écarte tout ce qui se trouve au-delà - personnes, pays, enjeux, ainsi que les potentiels impacts de ses décisions. Les murs - physiques ou imaginaires - figent l'espace et le temps de la réflexion. Ils concentrent l'attention sur l'avenir réduit à hic et nunc first des intérêts privés, des minorités désirables (blanches, masculines, néo-libérales), des entreprises (surtout les siennes).

Perspectives d'évolution

Certes, on peut raisonnablement accepter l'idée qu'un tel poste sera mieux assumé par une personnalité forte et ayant confiance en soi. Mais ici, aucune place n'est laissée au questionnement et à l'humilité - caractères essentiels selon la sagesse grecque - ce qui laisse présager la même attitude peu apprenante d'institutions pour lesquelles l'erreur est simplement impossible. Après l'infaillibilité papale, l'infaillibilité présidentielle envers et contre tout, y compris le peuple.

Si un résultat était sous-optimal, l'échec étant impensable, il y aurait nécessairement un facteur ou agent externe responsable de cette déviation : d'autres pays, immigrés, terroristes, démocrates, la presse, voire ses collaborateurs directs s'il le faut, sacrifiés sur l'autel du culte du PDG-Président.

L'histoire politique ne manque pas d'exemples de politiciens magistraux dans l'art de répartir les responsabilités et d'y diluer les décisions personnelles arbitraires ou de convenance. L'histoire des PDG non plus. Mais ici il semble avoir verrouillé l'ensemble du système afin de mieux garantir son impunité.

Dans sa logique, s'il s'est toujours imposé aux requins des affaires il peut tout aussi bien le faire devant des sénateurs, des activistes politiques ou des émissaires diplomatiques. Mais la vanité n'a jamais produit des victoires de la chose publique. Et le mépris total d'une prise de recul sur les positions à partir desquels il juge de façon erratique l'ensemble du monde, non plus. Il est dans le vrai et a raison, point. Aux autres de s'y faire, sinon par intelligence « vraie » comme la sienne, du moins par opportunisme, comme le sien.

Loin de se cantonner à la disruption provocatrice, il sait aussi faire usage de la mimésis légitimatrice. Comme tous, il promet le changement - mot indispensable. Peu importe ce qu'on fait, mais il faut changer. Et en l'occurrence, changer c'est se placer à l'opposé à la fois de son prédécesseur et de sa principale concurrente vaincue, donc à l'opposé de toute inclusion raciale, de genre, et surtout de pensée. Paradoxalement, la tautologie érigée en politique c'est le changement à la Trump.

À cette fin, il donne aux médias - classiques et connectés - leur manne quotidienne de provocation sous forme de tweets, bluffs ou attitudes dont ils, ainsi que leurs lecteurs, raffolent, tout en les méprisant. Le comble du spectaculaire grossier au détriment d'une expertise politique et diplomatique, qui enchaîne coup sur coup de théâtre, et qui semble suivre un script dont l'auteur s'appelle impulsivité. Toujours avec cette conscience - et jouissance - de se savoir au centre de l'attention du monde et de cette page de l'histoire.

L'échec a des vertus et des apprentissages dont on ne souhaitera à personne d'être privé. Ainsi, et en suivant le langage managérial à la mode, nous ne pouvons que lui souhaiter fail fast, M. Trump.

The Conversation_________

 Par Mar Pérezts, Associate professor, EM Lyon.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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Commentaires 2
à écrit le 10/03/2017 à 17:03
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Ou comment surfer sur le buzz Trump, ça fait toujours ça de clics en plus mais c'est épuisant.

à écrit le 10/03/2017 à 14:38
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On peut vraiment rire a la lecture d´une telle analyse et de son auteur. Pour s´en convaincre il suffit de regarder l´evolution du Dow pendant la présidence de Trump. Tout PDG qui parviendrait a un tel résultat en deux mois de fonction serait porté...

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