Une flexisécurité à la française : on y vient enfin ou on en revient déjà ?

L’association France Digitale, représentant les startups et des investisseurs du numérique, a publié le 28 mars dernier un « Manifesto des Startups » (1) : pragmatiques et long-termistes, 16 propositions sont adressées directement au gouvernement pour adapter notre modèle sociétal et économique, en s’inspirant des meilleures pratiques de l’économie numérique dans le monde entier. Ce texte propose 3 pistes de solutions concrètes pour une flexisécurité made in France au moment où se discute le contenu de la réforme du marché du travail. Par Olivier Mathiot, Président de PriceMinister / Rakuten - Co-président de France Digitale
Olivier Mathiot, Président de PriceMinister / Rakuten - Co-président de France Digitale

L'association France Digitale, représentant les startups et des investisseurs du numérique, a publié le 28 mars dernier un « Manifeste des Startups » : pragmatiques et long-termistes, 16 propositions sont adressées directement au gouvernement pour adapter notre modèle sociétal et économique, en s'inspirant des meilleures pratiques de l'économie numérique dans le monde entier.

Une des questions les plus centrales est celle du travail. Intégrée dans les toutes premières priorités du programme Macron, elle cristallise les espoirs et les angoisses, les réalités et les fantasmes autour du bouleversement numérique et mondial.

Une étude de la Drees publiée en 2016 crée un choc : plus de 50% des 25-49 ans considèrent avoir une situation moins bonne que celle de leurs parents au même âge. Elle révèle même que les jeunes Français sont les plus pessimistes d'Europe pour leur avenir. Comment redonner de l'énergie à notre société lorsque le pessimisme et la peur du chômage dominent ?

France Digitale pose donc les fondations pour une flexisécurité made in France en rétablissant la confiance et en accélérant les retours à l'emploi dans une France comptant plus de 9,3% de chômage. Statistique dramatique qui monte à 25% chez les jeunes.

Les constats qui fondent les craintes de demain

  • Le risque « Intelligence artificielle » lié la peur des « machines », de l'innovation et de l'automatisation ?

Cette peur est légitime. Elle a même été soulignée récemment par Marc Zuckerberg, le fondateur de Facebook. Les développements ultra-rapides de la robotisation et de l'Intelligence artificielle laissent entrevoir un monde où de plus en plus de tâches humaines seront remplacées par des systèmes automatiques.

Nous n'avons pas aujourd'hui toutes les réponses face à ces défis.

La réalité est que chaque révolution industrielle véhicule son lot de transformations du travail. Les machines remplacent en premier lieu les tâches répétitives et pénibles. Par ailleurs, lorsque la machine à coudre a automatisé le métier de couturière, elle a permis l'émergence de... l'industrie du textile, et donc une nouvelle filière et de nouveaux emplois. Alors que la crise économique faisait rage en Europe à la fin du XIXe siècle, les startups de l'époque ont offert un rebond : elles s'appelaient Michelin, Pathé ou encore Peugeot et sont devenues par la suite des géants (des licornes !) de l'économie mondiale.

Plus de machines, moins d'emplois ? La question du revenu universel n'est pas indigne. Mais elle semble prématurée, car la transformation numérique regorge encore d'opportunités et de création d'activités. Il faut faire feu de tout bois pour favoriser leur concrétisation et dynamiser les jeunes Français en cohérence avec ce nouveau monde. L'urgence de la situation est liée au fait que les startups ont du mal à recruter, alors même qu'elles sont l'incarnation de la transformation numérique. Paradoxalement, elles souffrent de plein emploi, de « chômage négatif », ne trouvant pas toujours et jamais assez vite les talents nécessaires pour pourvoir à leur besoin de nombreux nouveaux métiers.

  • Le risque « rigidité » soulevé par le modèle du droit travail actuel, hérité des 30 glorieuses ?

Le manque de talents dans les startups face à un chômage alarmant révèle des failles dans le système éducatif, de formation et impose aussi de traiter le sujet de la rigidité du droit du travail, rigidité juridique et culturelle à l'opposé d'une économie internationale hyper rapide.

Par le passé mes parents (baby-boomers) se formaient puis intégraient une entreprise pour y « faire carrière » toute leur vie. La séquence était simple, linéaire et le droit du travail était centré sur le sacro-saint CDI.

Pour ma génération X, nous avons beaucoup travaillé tout en sachant qu'il faudrait changer d'entreprise fréquemment pour « progresser ».

Pour la génération de mes enfants (les fameux Milléniaux) il va s'agir de multiplier les parcours de vie : changer plusieurs fois de métiers ou de statuts, intégrer l'entreprise, en ressortir, y revenir, se former etc. Nombre de nouveaux métiers vont apparaître qui n'auront pas été appris à l'école...

  • Le risque « plateformisation » par l'économie du partage et l'économie « on demand » qui ramènerait l'humain à une nouvelle forme d'asservissement ?

On montre du doigt ici les « petits » boulots de service proposés par les plateformes Internet de l'économie « on demand » (livreur, chauffeur etc).

Le danger de créer une société à deux vitesses est identifié : Hillary Clinton l'avait mis en exergue lors de sa campagne présidentielle. En effet le travail indépendant, non-salarié, se développe à grande vitesse. Pour certains freelances il est gage de liberté face à l'aliénation que représente le monde de l'entreprise ; pour d'autres, plus fragiles, il crée de nouvelles dépendances économiques et sociales. La question est-elle ici de considérer le verre à moitié vide ou à moitié plein ? Il semble préférable d'obtenir un premier job, pour monter dans l'ascenseur social, plutôt que de demeurer en dehors du marché du travail. Pour autant, il faudra aussi que l'État providence intègre une protection sociale à ces nouvelles formes de travail ; et que les entreprises qui les proposent soient également protégées du risque juridique de requalification en salariat... Sinon l'ensemble de la société demeurera embourbé dans les vieux modèles qui nous maintiennent dans l'impasse actuelle.

Trois pistes de solutions concrètes

  • La « flexisécurité » réciproque : un vieux concept qui repose sur le principe de l'employabilité, plutôt que sur celui de la garantie de l'emploi. Évitons l'amalgame avec la  « précarité ».

Ce besoin est urgent, c'est un facteur aujourd'hui qui permettra d'améliorer l'attractivité de la France pour les investisseurs internationaux, par comparaison avec nos voisins européens. Il ne s'agit pas dumping social mais bel et bien de nous adapter au monde moderne. Intégrer aux nouveaux contrats de type CDI une clause de rupture sans cause, en prévoyant une indemnité contractuelle supérieure à l'indemnité conventionnelle pendant les 5 premières années permettrait une fluidité pour les entreprises connaissant des cycles de croissance oscillant, ce qu'on appelle des « pivots » dans le jargon des startups. Néanmoins, cette proposition pourra être restreinte aux collaborateurs les mieux lotis, profitant d'un salaire minimal avantageux (2,5 fois le SMIC par exemple), en s'inspirant du modèle danois. Il ne s'agit pas ici de créer de la précarité, mais d'ouvrir davantage d'opportunités au sein de l'entreprise.

La liberté réciproque pourrait permettre aux salariés démissionnaires de bénéficier de l'indemnisation par assurance chômage pour mener à bien un projet de reconversion professionnelle ou un projet entrepreneurial - Cette possibilité pourra être restreinte en fréquence pour en maîtriser les coûts (par exemple, 1 fois tous les 5 ans) et en durée (par exemple, 12 mois d'indemnisation maximum).

Il sera peut-être temps de créer une branche professionnelle qui rassemblerait toutes les startups de façon à ce qu'elles puissent négocier leurs propres accords et qu'elles puissent tester des solutions différentes, à partager ensuite avec le reste de l'économie, surfant  ainsi sur la possibilité constitutionnelle du droit à l'expérimentation.

  • La formation : un serpent de mer qu'il s'agit de ne surtout pas noyer.  L'employabilité c'est apprendre à apprendre tout au long de sa vie : confiance "is a gift".

La confiance renaîtra grâce à la capacité à nous adapter, à nous reconvertir dans des métiers qui ne cessent d'évoluer avec les nouvelles technologies. Ainsi l'éducation et la formation sont clefs. Dès la maternelle, il est impératif d'inculquer à nos jeunes des pédagogies leur permettant d'apprendre à apprendre.

La formation au sein des entreprises est, elle aussi, une voie à suivre. Nous nous formons tout au long de notre vie bien plus que les générations précédentes : le « self learning » (au moyen des outils numériques, MOOCs ou didacticiels en ligne et collaboratifs) ou encore le suivi d'une formation dispensée par un pair, un collègue (« peer-learning ») devrait pouvoir être qualifiante. La formation relève ainsi de notre capacité à assurer à chacun les moyens de passer d'une entreprise à une autre, d'un métier à un autre en évitant le piège d'un chômage longue durée et de la précarité. Il s'agira donc d'aménager les budgets formation d'un système trop rigide dont le financement actuel semble hélas profiter davantage aux organismes de gestion qu'aux travailleurs eux-mêmes.

Et si on liait la question du droit à un revenu universel à celle du devoir de se former tout au long de sa vie ? ... On éviterait alors le débat stérile sur le risque de créer une société d'assistanat. La formation devrait faire partie intégrante de la vie active de tous : travailleurs indépendants, salariés ou « entre 2 activités » / en formation. Le statut et le mot même de « chômeur » pourraient alors sortir progressivement du vocabulaire français.

  • Accepter et normaliser les nouvelles formes de travail et de revenus non salariés.

On ne peut pas ignorer la montée en puissance des revenus non salariés. Comment accompagner ce mouvement sereinement sans pour autant précariser les contributeurs sans menacer le modèle des plateformes ?

Les collaborateurs indépendants des plateformes devraient pouvoir bénéficier d'avantages leur permettant de participer à la création de richesses : protection sociale, et prévoyance financée par les plateformes elles-mêmes, soit intégrées à leur rémunération soit sous la forme d'un pot commun.

France Digitale suggère même d'offrir la possibilité pour ces contributeurs non salariés d'être associés au capital des plateformes auxquelles ils contribuent. Ainsi ils ne seront plus des travailleurs de second rang, privé du gâteau.

Imaginons également que leur indépendance soit un véritable « pied à l'étrier » avant de les requalifier trop vite en salariat, au détriment de la flexibilité pour les plateformes. Il s'agirait de mettre en place une période d'observation afin que chacun puisse commencer par un premier job, un premier fournisseur : charge à lui ensuite de diversifier ses sources de revenus dans les 3 années suivantes. Au-delà de cette période d'observation (de « test and learn ») alors seulement on pourra envisager de déterminer le lien de subordination et de dépendance économique entre la plateforme et le travailleur indépendant.

Il s'agit aussi de considérer les revenus (pas tous issus d'un travail à proprement parler) provenant des plateformes et générés par des particuliers sans statut professionnel, sous forme de location ou de vente, de biens ou de services. Avant d'obliger la création du moindre statut, on accorderait une franchise de revenus qui ne serait pas considérée comme du travail dissimulé, « au noir », mais plutôt là encore, comme un test, une opportunité au-delà de laquelle le particulier pourra se professionnaliser, une fois démontré un revenu conséquent et régulier. Confiance donc, encore et toujours.

Ces défis sont à la hauteur de notre société française, révolutionnaire et conquérante. Il n'est pas impossible de redonner confiance aux Français en s'adaptant encore plus dynamiquement à la réalité d'aujourd'hui et en anticipant celle de demain. France Digitale prend les devants et lance l'offensive dans cette direction.

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(1)  https://www.francedigitale.org/fd-uploads/2017/04/manifeste_v-finale.pdf

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