Une « perestroïka » serait-elle en cours en Arabie saoudite  ?

Les commémorations enseignent qu'il faut se souvenir du passé pour envisager l'avenir, et apprendre à éviter les erreurs déjà commises. Par Jean Lévy, ancien ambassadeur de France, ancien conseiller diplomatique adjoint de François Mitterrand.
Jean Lévy, ancien ambassadeur de France, ancien conseiller diplomatique adjoint de François Mitterrand.

Depuis quelques temps, et par facilité, l'expression « nouvelle guerre mondiale » circule dans les médias et sur Internet. Il faut reconnaître que l'actualité, et notamment celle du Moyen-Orient, s'est particulièrement accélérée ces dernières semaines : tir d'un missile sur la capitale saoudienne, démission du Premier ministre libanais hors des frontières de son pays où la tension monte, mise à l'écart sans précédent de plusieurs dignitaires à Riyad, ultimatum lancé au Qatar, enlisement de la guerre au Yémen, et enfin et peut-être surtout, « décertification » par les Etats-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien...

Au centre de toutes ces péripéties, un pays, l'Arabie saoudite, retient l'attention des spécialistes. Mais nombre de commentateurs de l'actualité moyen-orientale enfilent comme d'habitude des lunettes idéologiques pour observer la région. Il faudrait être, selon eux, pro-Arabie saoudite, pro-Iran ou pro-Qatar, pro-sunnites ou pro-chiites, pro-pétrole ou pro-gaz. Prendre parti, en d'autres termes, quitte à caricaturer les acteurs et à les juger selon ses propres préjugés.

Or l'Arabie saoudite souffre d'une image d'archaïsme avec laquelle, quand on observe les choses de plus près, elle correspond de moins en moins. Les temps changent et les régimes avec eux. Le constater nécessite cependant d'adopter une vision réaliste et objective. Cela nécessite de s'intéresser aux faits, qui comme toujours sont têtus : l'Arabie saoudite est la grande puissance de la région, c'est le plus grand pays du Moyen-Orient, 70 % de sa population y a moins de 30 ans et ses dirigeants regardent loin vers l'avenir - notamment et paradoxalement vers l'après-pétrole, alors qu'ils ont les premières réserves du monde.

Glasnost et bénéfice du doute

L'Arabie saoudite se modernise. Pour la première fois, un prince héritier se propose de dépasser l'immobilisme que certains percevaient comme une fatalité, au royaume de la rente pétrolière, et de commencer à s'ouvrir au monde. Peut-on parler de purge lorsqu'il s'agit d'une campagne anti-corruption ? Les critiques négatives taisent le droit de conduire enfin attribué aux femmes, le débat sur l'entrée en bourse du géant pétrolier Saudi Aramco, ainsi qu'un certain nombre de réformes économiques, rassemblées dans l'agenda « Vision 2030 ». On ne doit pas non plus oublier la volonté affichée d'un islam modéré et d'une participation plus forte de l'Arabie saoudite à la lutte contre le terrorisme.

Certes, les méthodes employées par Mohammed ben Salmane (MBS) Al Saoud, le fils de l'actuel roi Salmane, peuvent paraitre trop radicales ou contradictoires. Laissons-lui cependant le bénéfice du doute et gardons-nous de juger à la hâte des mesures que, depuis nos observatoires, nous ne pouvons comprendre pleinement (la « glasnost », en effet, n'est pas encore là). Laisser le bénéfice du doute, tout en attirant bien entendu l'attention sur tous les excès.

C'est la position de certains chefs d'Etat aujourd'hui, dont Emmanuel Macron qui, fidèle à la ligne politique française, mise sur le dialogue approfondi avec toutes les parties. En visite le 9 novembre à Riyad, à l'invitation de MBS, le président français a clairement affirmé que la France « soutient la stratégie de développement du Prince héritier définie dans sa "vision 2030" et salue son discours sur l'ouverture de son pays et l'appui à un islam modéré. » Le communiqué mentionne également que « dans la zone sahélienne, la France et l'Arabie Saoudite sont convenues de soutenir conjointement les pays participants au G5 dans la lutte contre le terrorisme. »

Ne pas encourager les efforts saoudiens serait une erreur

Certes, MBS fait aujourd'hui de l'Arabie saoudite un chantier de modernisation, rendu nécessaire par la conjecture économique et géopolitique qui est peu favorable à son pays. Entre la guerre au Yémen, dans laquelle Riyad combat les rebelles houthistes soutenus par les Iraniens et opposés au régime de Sanaa, et la chute des cours du pétrole, le royaume n'avait effectivement pas le choix et se devait de réagir.

Faut-il regretter que la machine à réformes soit lancée pour autant ? Certainement pas. Le passé regorge d'exemples, parfois récents, qui nous montrent quelle maladresse il y aurait à ne pas encourager les efforts actuels du prince héritier.

On souhaite, depuis des décennies, que l'Arabie saoudite se modernise, économiquement, religieusement, socialement... Aujourd'hui, cela semble enfin débuter, ne boudons pas notre plaisir, appuyons le prince héritier.

Ne commettons pas à nouveau certaines erreurs du passé : les réticences de départ à considérer Gorbatchev, et sa « perestroïka », comme un véritable réformateur ; à soutenir clairement les printemps arabes ; à condamner évolutions, réformes et révolutions par a priori idéologiques, financiers ou religieux.

Ce qui compte, c'est que l'Histoire se remette en marche dans cet « Orient compliqué ». Attendons pour juger, et, d'ici là, appuyons tout ce qui va dans le bon sens.

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L'AUTEUR

Jean Lévy est ancien ambassadeur de France, ancien conseiller diplomatique adjoint de François Mitterrand.

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Commentaires 2
à écrit le 17/11/2017 à 16:38
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Il existerait également, selon la NSA, une série d'arrestations de plus de 800 personnalités haut, voir très haut placées aux États Unis. L'article que j'ai lu indiquerait un lien entre ces arrestations (dont des membres des clans Clinton (Hillary),...

à écrit le 16/11/2017 à 14:46
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Encore de la poudre aux yeux pour naïfs occidentaux. MBS ,en tout totalitarisme, supprime l'opposition sous couvert de corruption ( de qui se moque t'on ?) et met main basse sur leurs avoirs de 800M pour financer sa prochaine guerre au Liban avec le ...

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