Une révolution ignorée dans la loi Macron : le crédit interentreprises

Passé sous silence, un article de la loi Macron représente une petite révolution, en ouvrant une brèche dans le monopole bancaire: les entreprises pourront se prêter entre elles. Par Ladislas Skura, avocat

La loi Macron a marqué les débats parlementaires et médiatiques sur un certains nombres de mesures destinées à déverrouiller l'économie française. Vaste gageure qui a marginalisé d'autres dispositions certainement plus utiles que celles qui tendent à ouvrir le marché des autocars à l'initiative privée. C'est notamment le cas de l'article 167 de la loi Macron qui sonne comme une petite révolution dans le monde de la banque et de la finance.

Libérer les capitaux pour répondre aux besoins des PME

La disposition se veut pragmatique et tente de répondre à deux problématiques principales :

-        les PME qui constituent le vivier principal de création de richesse et d'emplois en France, souffrent d'un besoin urgent de liquidité et de trésorerie pour continuer à exister ;

 -        les banques souffrent d'un excès de régulation post-crise et éprouvent une certaine difficulté à assumer leur métier de facilitateur de prêts à l'économie notamment à l'égard des PME.

Face à une demande soutenue des emprunteurs d'une part et à la déficience des banques d'autre part, l'article 167 de loi Macron souhaite offrir aux entreprises une nouvelle source de financement en localisant les stocks de capitaux inutilisés afin de les réinjecter là où la panne est sèche. L'idée vient d'un constat simple : depuis la crise financière, de nombreuses entreprises se sont protégées en accroissant leur épargne et leurs réserves. D'autres, malheureusement, vivent de graves crises de liquidité. Certaines entreprises sont donc en besoin de trésorerie pendant que d'autres sont en surcapacité de financement. L'idée est donc de libérer le stock de capital en « sommeil » au profit du circuit économique en besoin de financement.

Un outil alternatif face à la rigidité du monopole bancaire

Selon un parlementaire proche du dossier, le crédit interentreprises va permettre à « l'économie réelle de prêter à l'économie réelle sans passer par les banques ». Le texte ouvre en effet une brèche dans le monopole bancaire français qui limite l'activité de prêteur de deniers à des institutions qui répondent à des critères juridiques et économiques posés par la loi. Généralement, deux modèles de dérogations s'opposent. Le premier modèle, utilisé notamment en Grande-Bretagne, considère qu'une personne morale ou physique peut prêter des fonds à une autre personne dès lors que l'activité de crédit n'est pas exercée à titre professionnel (critère de la nature de l'activité). Le second modèle, utilisé plus couramment en Allemagne et en Italie, considère que l'activité de crédit est libre dès lors que le prêteur n'exerce pas cette activité à titre principal. Il faut y voir dans cette notion un caractère habituel dans l'octroi de prêt qui doit s'entendre comme la répétition d'un acte de prêt à destination de plusieurs emprunteurs (critère de l'habitude). C'est ce dernier critère, plus rigide que celui de modèle anglo-saxon, qui est repris dans le corps et l'esprit du texte.

Dorénavant, par exception au monopole bancaire, une entreprise peut, à titre accessoire à son activité principale, consentir des prêts à une autre entreprise. Le financement interentreprises apparait ainsi comme un outil alternatif pouvant palier partiellement l'inefficacité du financement bancaire.

Consolider les relations d'affaires

Les relations commerciales sont largement rythmées par les délais de paiement accordés par un fournisseur à son client acheteur. Le cadre juridique des délais de paiement posé par la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 comporte toutefois des limites qui fragilisent de nombreuses sociétés sous-traitantes. Pour soutenir cette population de PME en manque de liquidité, la loi Macron permet désormais à une entreprise de consentir un prêt à une autre entreprise sans exiger un lien capitalistique entre elles (le financement interentreprises intragroupe existe déjà). Dès lors, un donneur d'ordre pourra accorder à son fournisseur (ou son sous-traitant) une ligne de trésorerie dans le but de renforcer leur partenariat commercial et de soulager la trésorerie du fournisseur. L'idée est simple : si mon partenaire chute, il risque de m'entrainer dans sa chute. Je préfère l'aider financièrement afin d'éviter sa faillite qui pourrait entrainer la mienne.

Par ailleurs, le financement interentreprises pourrait déboucher sur une recomposition des relations d'affaires entre partenaires commerciaux. L'existence d'un crédit implique nécessairement des risques qui seront supportés par l'entreprise prêteuse. La gestion de ces risques sera basée sur un travail d'analyse précis et global de la santé financière et commerciale du partenaire emprunteur : analyse financière, études des débouchés commerciaux et de la stratégie industrielle, politique de recherche et développement, respect de certains critères sociaux ou environnementaux etc. Le prêt interentreprises nécessitera un partage d'informations stratégiques et confidentielles entre sociétés.

Assise sur la solidarité entre les acteurs économiques, l'article 167 de la loi Macron mise sur la réciprocité contractuelle, la consolidation et la recomposition des relations commerciales pour combattre durablement les situations de faillite.

Les limites du dispositif

Le dispositif comporte de nombreuses interrogations. Le régime posé par le nouvel article 511-6 du code monétaire et financier et le décret du 22 avril 2016 comporte de nombreuses conditions qui rendent le dispositif rigide et le champ d'application relativement étroit. En sus de l'existence d'un lien commercial entre l'emprunteur et le prêteur et du caractère accessoire que doit revêtir l'activité de prêt, le prêt interentreprises ne pourra avoir une maturité supérieure à deux ans. Cette exigence s'inscrit parfaitement dans l'objectif de combler un déficit de trésorerie. Toutefois, cette limite semble contradictoire avec le besoin de financer un investissement ou un projet qui nécessite une maturité de crédit plus longue. Le prêt interentreprises ne sera pas en mesure de réponde à ce besoin de financement sans un amendement ou une modification ultérieure. Par ailleurs, le plafonnement des montants des prêts accordés et l'exigence des critères comptables de l'entreprise prêteuse (R.511-2-1-2 du code monétaire et financier) risquent de recaler de nombreux candidats au crédit interentreprises.

Au-delà de ses limites réglementaires, le crédit interentreprises est douloureusement accueilli par une partie des entreprises qui craignent de voir s'accentuer un rapport de force et l'installation d'une relation de dépendance économique entre fournisseurs et clients. Seule la pratique commerciale sera en mesure de dire si ce nouveau dispositif est efficace ou non.

Ladislas SKURA

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