Vaccins vivants atténués  : pourquoi il ne faut pas renoncer à les utiliser

IDEE. De récentes découvertes sur les effets des vaccins vivants atténués remettent en question le paradigme vaccinal actuel et interrogent les politiques de vaccination. Par Eric Muraille, Université Libre de Bruxelles
(Crédits : Ina Fassbender)

La production industrielle et l'usage de vaccins vivants atténués, dont la particularité est de contenir un agent pathogène vivant rendu moins virulent par divers traitements, entraina en moins d'un demi-siècle une diminution exceptionnelle de la morbidité et de la mortalité dues aux infections dans le monde.

Les vaccins de ce type ont été à l'origine du succès de nombreuses campagnes de vaccination de masse : le vaccin contre la tuberculose (ou vaccin bilié de Calmette et Guérin, le célèbre BCG, en 1921), le vaccin contre la coqueluche (1926), celui contre la fièvre jaune(1932), le vaccin oral contre la poliomyélite de Sabin (OPV, 1962) ou encore le vaccin combiné contre la rougeole, la rubéole et les oreillons (MMR II, 1971) sont tous des vaccins vivants atténués.

Pourtant, nous sommes encore loin de comprendre pleinement les mécanismes d'action expliquant les effets protecteurs de ce type de vaccins. Ainsi, des études récentes ont révélé qu'ils génèrent non seulement une protection spécifique contre les agents infectieux envers lesquels ils furent développés, mais aussi une protection non spécifique de ceux-ci.

Ce constat plaide pour une remise en cause des fondements du paradigme vaccinal actuellement en vigueur. Il a également d'importantes implications en matière de politique vaccinale.

Qu'est-ce qu'un vaccin vivant atténué ?

Les vaccins vivants atténués contiennent des agents infectieux pathogènes (virus ou bactéries) dont la virulence a été affaiblie par une série de traitements.

L'une des méthodes employées consiste par exemple à cultiver durant une longue durée sur des cellules d'une autre espèce le virus à partir duquel on souhaite mettre au point un vaccin. De cette façon, le virus se multiplie ensuite moins efficacement chez l'humain, mais reste immunisant. C'est ainsi qu'a été conçu le vaccin oral contre la poliomyélite.

Une autre possibilité consiste à sélectionner des virus mutants ne se multipliant de manière optimale qu'à une température plus basse que celle du corps humain. De tels virus thermosensibles, adaptés au froid, ont été utilisés pour la vaccination contre la grippe ou contre le virus respiratoire syncytial .

Cependant, même atténuée, l'injection d'un agent pathogène n'est pas sans risque, notamment chez les individus dont le système immunitaire est immature ou affaibli (nouveau-nés, femmes enceintes, personnes âgées, etc.).

À mesure que les connaissances en immunologie progressaient, des vaccins de deuxième génération, nommés vaccins sous-unitaires, furent développés pour pallier ce problème. Leur mise au point s'est notamment appuyée sur le paradigme de la spécificité de l'immunité acquise aux infections.

La spécificité de l'immunité acquise

Jusqu'à la fin du XXe siècle, il était largement admis et enseigné que, suite à une infection naturelle ou une vaccination, notre organisme développe une immunité spécifique des antigènes exprimés par les agents infectieux rencontrés. Ces antigènes (qui peuvent être composés de protéines, sucres et lipides du pathogène) sont reconnus par les lymphocytes, des cellules immunitaires très spécialisées.

Chaque lymphocyte a la particularité exceptionnelle de ne reconnaître qu'un seul antigène donné. Le système immunitaire de chaque individu produit cependant un très grand nombre de lymphocytes (leur nombre est supérieur à 108 chez l'être humain), ce qui lui permet de reconnaître potentiellement tous les antigènes possibles.

Lors d'une infection naturelle ou d'une vaccination, le pathogène induit la prolifération des lymphocytes capables de reconnaître ses antigènes et la constitution d'une mémoire immunitaire de longue durée.

Dans ce paradigme, la vaccination est considérée comme une intervention spécifique à une maladie infectieuse : l'immunité acquise résulte du développement, en réponse au vaccin, d'une population de lymphocytes mémoires spécifique des antigènes du pathogène. Lors d'un nouveau contact avec le pathogène présent en nature, ces lymphocytes mémoires génèrent une réponse immunitaire adaptative qui va neutraliser le pathogène avant que celui-ci ne cause des dommages à l'organisme.

Ce paradigme a servi de socle conceptuel à l'élaboration de nouvelles stratégies vaccinales basées sur le développement des vaccins sous-unitaires. Ces derniers ne contiennent pas l'agent pathogène sous une forme atténuée, mais uniquement ses antigènes « dominants » (c'est-à-dire les plus exprimés et les moins variables) associés à un adjuvant. Le but de l'adjuvant est de stimuler le système immunitaire en remplaçant la signature infectieuse induite lors d'une infection naturelle ou de l'inoculation d'un vaccin vivant atténué.

À la différence des vaccins vivants atténués, les vaccins sous-unitaires ne contiennent donc pas de composants vivants. Ils sont de ce fait considérés comme très sûrs pour les individus à risque.

Cependant, le paradigme d'une immunité acquise spécifique des antigènes de l'agent infectieux a récemment été remis en question.

Les vaccins vivants confèrent également une immunité non spécifique

De nombreux travaux de recherche ont révélé que l'administration d'un vaccin vivant atténué peut également procurer, en plus d'une immunité spécifique contre l'agent infectieux atténué qu'il contient, une immunité contre des pathogènes non apparentés. L'individu vacciné bénéficie donc de ce fait d'un état d'immunité protectrice non spécifique.

Par exemple, les individus vaccinés contre la variole, en plus d'être protégés contre celle-ci, sont également statistiquement moins susceptibles aux maladies infectieuses telles que la rougeole, la scarlatine, la coqueluche et la syphilis par rapport aux personnes non vaccinées. Le même phénomène a été rapporté pour le BCG, l'OPV et le vaccin contre la rougeole.

Il est également établi que la persistance d'un agent pathogène suite à une infection naturelle, même à de très faibles niveaux, peut affecter la capacité du système immunitaire à réagir à des agents infectieux non apparentés. On parle d'effet Mackaness, du nom de son découvreur. Par exemple, l'infection chronique par le virus de l'herpès peut conférer une protection contre les bactéries Listeria monocytogenes et Yersinia pestis. L'infection par la bactérie Helicobacter pylori est associée à une protection contre la tuberculose et l'infection par le cytomégalovirus renforce la réponse immunitaire à la vaccination antigrippale .

Parallèlement à ces résultats, de nombreuses études ont démontré que notre microbiote(l'ensemble des bactéries, des champignons et des virus qui vivent en symbiose mutualiste avec notre organisme) contribue également au contrôle des infections. Il peut par exemple entrer en compétition avec des agents pathogènes pour acquérir des éléments nutritifs ou induire un répertoire immunitaire permettant, par réaction croisée, de reconnaître et neutraliser certains agents pathogènes.

Toutes ces observations plaident en faveur de l'émergence d'un nouveau paradigme immunologique.

Vers un nouveau paradigme de l'immunité acquise ?

Contrairement à ce qui avait été communément admis jusqu'à présent, il semble qu'une partie non négligeable de l'immunité acquise ne serait pas spécifique des antigènes exprimés par les agents pathogènes préalablement rencontrés.

Cette protection acquise pourrait notamment dépendre des antécédents immunitaires, des infections chroniques et de la composition du microbiote. Elle serait fortement influencée par le vécu de l'individu et son mode de vie et présenterait donc une grande variabilité individuelle.

D'un point de vue évolutif, la sélection de mécanismes immunitaires partiellement non spécifiques permettant une immunité acquise contre les maladies infectieuses et générant une variation individuelle semble très avantageuse. La non-spécificité antigénique de l'immunité acquise permettrait, entre autres, de lutter contre certains agents pathogènes hautement polymorphes et évoluant rapidement. Et la variabilité individuelle augmenterait la résistance des populations aux épidémies.

Ce nouveau paradigme pourrait avoir d'importantes implications pratiques pour les stratégies de vaccination.

Implications pratiques

On sait désormais que les vaccins vivants atténués induisent des effets protecteurs non spécifiques. En conséquence, la question se pose de continuer à les employer même si leurs maladies cibles respectives sont devenues rares ou ont été totalement éliminées. Ils pourraient en effet avoir des effets bénéfiques importants sur les populations, en les protégeant contre d'autres agents infectieux.

Avant de restreindre leur utilisation, il serait donc judicieux de quantifier les effets bénéfiques non spécifiques associés à chaque vaccin vivant atténué. Un principe de précaution malheureusement difficilement applicable dans le climat actuel de défianceenvers les vaccins.

Autre implication de cette découverte : pour des raisons de sécurité, les stratégies de vaccination modernes se concentrent sur le développement et l'utilisation de vaccins sous-unitaires adjuvantés. Cette approche néglige cependant la capacité d'adaptation de certains agents pathogènes en nature. En effet, il en est qui peuvent présenter une composition antigénique très complexe et fluctuante. Ceux-là peuvent évoluer rapidement au cours d'une infection chronique.

C'est par exemple le cas des petits virus à ARN, tel que le VIH, qui disposent d'un nombre limité de gènes, mais produisent en très peu de temps un nombre extraordinairement élevé de variants chez l'hôte. Certaines bactéries peuvent également évoluer durant une infection et opposer ainsi une grande complexité antigénique au système immunitaire.

Or un agent pathogène capable d'évoluer rapidement est susceptible d'échapper au système immunitaire si ce dernier n'exerce sur lui qu'une pression de sélection spécifique et stable. Ainsi, comme dans le cas des antibiotiques, le développement d'une résistance à certains vaccins sous-unitaires a été récemment documenté.

À la différence des vaccins sous-unitaires, les vaccins vivants atténués induisent non seulement une protection spécifique contre une large gamme d'antigènes, mais également une protection non spécifique. Ils sont donc potentiellement en mesure de mieux faire face à ce genre d'agents infectieux dotés de capacités d'évolution rapide.

Par conséquent, le remplacement rationnel des vaccins vivants atténués de première génération par des vaccins sous-unitaires devrait être fondé sur l'évaluation des avantages spécifiques et non spécifiques de chaque vaccin. L'Organisation mondiale de la Santé a d'ailleurs reconnu l'importance des effets non spécifiques des vaccins et a recommandé de poursuivre les recherches dans cette nouvelle direction.

The Conversation _______

Par Eric MurailleBiologiste, Immunologiste. Maître de recherches au FNRS, Université Libre de Bruxelles

 La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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Commentaires 4
à écrit le 14/08/2019 à 10:03
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En 2019, pour la France: 1184 cas de rougeole ont été enregistrés: 88% de personnes non vaccinées ou qui n’avaient pas reçu les deux doses protectrices, un tiers a donné lieu à une hospitalisation (dont 16 patients en service de réanimation), 94 ont...

à écrit le 13/08/2019 à 17:44
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Le climat de défiance envers les vaccins, c'est 3 points: La défiance envers les labos Le problème des adjuvants La quantité de vaccins imposés. Ces 3 facteurs combinés la question se pose de la vaccination tous azimuts. En principe les labos ne...

à écrit le 13/08/2019 à 13:30
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« Cette protection acquise pourrait notamment dépendre des antécédents immunitaires, des infections chroniques et de la composition du microbiote. Elle serait fortement influencée par le VÉCU de l'individu et son MODE DE VIE et présenterait donc une ...

à écrit le 13/08/2019 à 8:50
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On peut du coup se poser la question, en allant plus loin, sur notre hygiénisme exacerbé et les effets pervers que celui-ci a eu sur notre santé ? On sait que sur 100 bactéries il n'y en a que 3 ou 4 de mauvaises, plus résistantes que les autres ...

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