Une si étrange « guerre »

Guerre "asymétrique" contre un proto-Etat, l'Etat islamique, la guerre contre le terrorisme peut-elle être remportée ?
Philippe Mabille

Depuis ce vendredi 13 novembre 2015 meurtrier qui restera à jamais gravé dans notre mémoire collective, la France est « en guerre ». Une guerre qui soulève d'innombrables questions. Nous en avons sélectionné 13 pour l'édition spéciale de La Tribune Hebdo parue ce jour (retrouvez-là ici), comme pour exorciser notre drame national.

L'expression "guerre", employée dés le soir des attentats et répétée lundi devant le Congrès à Versailles par le chef de l'État fait, légitimement, débat. D'un point de vue strictement juridique, aucune guerre n'a été déclarée. L'État islamique, qui a revendiqué cette attaque et promet une « tempête » contre l'Occident, n'est pas reconnu comme tel au plan international. Il a pourtant un territoire, moitié aussi vaste que le nôtre, étalé entre la Syrie et l'Irak ; il a des soldats et, selon le mot de François Hollande, une « armée terroriste » ; il a surtout des moyens financiers colossaux. Ce n'est pas un Etat, mais il le revendique, lève des impôts, frappe une monnaie. Même s'il est difficile de savoir précisément qui est l'ennemi, il est possible, ce que fait la France avec des frappes qui vont s'intensifier avec l'arrivée du porte-avions Charles-de-Gaulle dans la région, de frapper ceux qui nous ont agressé.

Puisque nous devons faire la « guerre au terrorisme islamique », de quoi s'agit-il? Certains ont employé l'expression de « guerre asymétrique ». Le terme est bien choisi puisque d'un côté nous avons des populations civiles qui sont massacrées à Paris au mépris de toutes les règles de la guerre. Et de l'autre une nébuleuse, tapie dans l'ombre, qui nous voue une haine implacable et profère des menaces d'extermination au nom de délires millénaristes qui ne sont pas sans rappeler la barbarie nazie.

Si c'est une guerre, il faut la mener. Et la gagner. À l'extérieur, avec toute la puissance possible et en concluant toutes les alliances nécessaires. Depuis vendredi dernier, les Russes disent agir avec leurs « alliés » français. La France va changer de priorité, la lutte contre Daech prenant le pas sur le départ souhaité de Bachar-al-Assad.

Reste l'Amérique, largement responsable, par les errements de Bush en Irak après le 11 septembre 2001, du chaos qui règne au Moyen-Orient. Malgré les hésitations de Barack Obama, qui finit mal son deuxième mandat, elle va devoir s'impliquer. Face à la barbarie, aucun « Munich » ne peut être accepté, car l'histoire a montré ce qu'il advient lorsque les démocraties se montrent faibles.

C'est aussi une « drôle de guerre », au front incertain, en tout cas une « étrange guerre » où la menace permanente nous impose une tension maximale, car nous sommes désarmés et vulnérables face à un ennemi de l'intérieur invisible, qui peut frapper à nouveau à tout moment, n'importe où. Les attentats de Paris ont montré que la « ligne Maginot » de la lutte antiterroriste en Europe connaît des failles béantes. Même si beaucoup d'attentats ont été évités, celui du 13 novembre met l'Europe au pied du mur. Le traité de Schengen est de facto suspendu et les contrôles aux frontières y compris des ressortissants de l'Union européenne vont redevenir la règle. Alors oui, des dépenses nouvelles sont provoquées par cette menace, et il est indécent d'entendre le président du Medef s'en offusquer. Ce n'est pas vraiment le sujet du moment. Oui, le « pacte de sécurité » l'emporte désormais sur le pacte de responsabilité. Et la France, qui va devoir financer cet effort de guerre, ne peut plus rester seule avec l'Angleterre à assumer le prix de la sécurité.

C'est une guerre, et nous la gagnerons si nous sommes unis. Elle ne sera pas résolue par la seule chute du califat d'al-Baghdadi. Elle le sera si nous savons éviter ce que Daech veut : « libaniser » la société française, provoquer une guerre, civile celle-là, au coeur de nos villes et de nos banlieues, en brandissant le faux drapeau de l'islam. Si nous savons résoudre les causes qui font que de jeunes Français radicalisés de 20 ans tirent sur d'autres Français, sans distinction d'âge, de sexe et d'origine, et haïssent ce que nous sommes : notre modèle d'intégration laïc, ouvert et cosmopolite, notre mode de vie, libre et tolérant, nos bars, nos bistrots, nos salles de spectacle et nos stades.

Après les attentats du 7 janvier, qui ont visé des juifs et des journalistes, la cohésion nationale avait tenu, même si toute la France dans sa diversité ne se sentait pas « Charlie ».

Depuis vendredi 13 novembre, nous sommes tous Français ! Et avec nous le monde entier, comme l'ont montré les hommages rendus aux victimes de ce carnage.

Ce n'est pas une guerre de civilisations, mais pour la civilisation. Elle prospère sur la misère des peuples et c'est pour cela qu'il est heureux que la COP21 ait été maintenue à Paris. La responsabilité des dirigeants du monde y sera immense.

Philippe Mabille

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Commentaires 3
à écrit le 23/11/2015 à 20:19
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Un très bon article, avec en prime un coup de griffe sur le Medef, meilleur symbole de l'incompetence de l'élite française.

à écrit le 21/11/2015 à 19:54
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Quand on n'a pas la réponse a une question, on déclare être en guerre mais... contre soi-même! C'est les français qui en pâtissent!

à écrit le 21/11/2015 à 16:44
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Ne vous faites pas avoir par ces unique cartes géographiques qui font office d'uniques images des bombardements en Syrie, un bombardement est loin, très loin d' être ciblé, surtout sans aucune troupes au sol, sauf si l' on veut veut me faire croire q...

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