13 nouvelles « super-régions » plus fortes, oui mais...

Avec leur taille multipliée par deux ou trois et leurs nouveaux champs de compétences, les super-régions françaises peuvent paraître mieux armées, sur le papier du moins. La réalité est tout autre, notamment en termes de budget...
Jean-Christophe Chanut
Au-delà du PIB, ce qui compte pour permettre aux régions d'agir, c'est le budget dont elles disposent, et là, le retard français est considérable.

Une fois les élections régionales des 6 et 13 décembre passées, au 1er janvier 2016, l'organisation territoriale française sera chamboulée. L'Hexagone dira adieu à ses 22 anciennes régions, remplacées par 13 nouvelles super-régions dotées de compétences accrues, définies dans le cadre de la loi portant Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), âprement discutée au Parlement durant des mois. Une nouvelle organisation censée donner un poids suffisant aux nouvelles régions pour qu'elles puissent s'affirmer économiquement dans le concert européen, à l'instar des Länder allemands, qui ont manifestement servi de modèle (lire aussi page 8 l'article sur la comparaison des régions en Europe).

De fait, avec leur taille et leurs nouvelles compétences, les super-régions françaises paraissent mieux armées, sur le papier du moins. Avec la loi NOTRe, les régions disposent en effet de la compétence exclusive des aides aux entreprises. Il n'y a plus d'intervention économique propre des départements, sauf par délégation des régions. Il revient aux régions, en collaboration avec les autres collectivités locales cependant, de définir un schéma prenant en compte toutes les dimensions du développement économique de leur territoire.

Maîtrise totale des transports

Très concrètement, les régions ont maintenant la haute main sur toute la chaîne des transports en dehors des agglomérations : gare routière, transports interurbains par car, scolaire, à la demande, ferroviaire (TER)... Les régions sont aussi compétentes en matière d'aménagement du territoire, de formation professionnelle et d'apprentissage. En revanche, elles n'ont pas obtenu la gestion des collèges, qui reste l'apanage des départements. Les régions continuent donc à ne gérer que les lycées. C'est la première grande différence avec les États fédérés allemands qui, eux, ont la responsabilité de l'éducation, du primaire jusqu'à l'enseignement supérieur. Ce sont même les Länder qui rémunèrent et recrutent les enseignants.

La loi NOTRe marque également un premier pas vers la décentralisation de l'accompagnement des demandeurs d'emploi. En effet, les régions volontaires pourront se voir déléguer par l'État la coordination des acteurs du service public de l'emploi et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. En revanche, Pôle emploi reste dans le giron de l'État, au grand dam de l'Association des régions de France (ARF). Même si son président, Alain Rousset, président (PS) de la région Aquitaine, se félicite tout de même « d'avoir mis un pied dans le service public de l'emploi ».

Avec un tel champ de compétences, les conseils régionaux vont disposer de réels pouvoirs, même s'il reste encore quelques doublons avec les services déconcentrés de l'État. Les nouveaux patrons de régions sortis des urnes disposeront de cinq ans pour assurer le développement économique de leur territoire en fonction de leurs atouts respectifs. Mais, sans les ressources financières nécessaires, les régions ne pourront pas assurer ce rôle moteur de relance qu'elles revendiquent.

Des ressources encore insuffisantes

Cette question a donné lieu à une bataille de chiffonniers entre l'ARF et l'État. Alain Rousset, président de l'ARF (lire l'entretien page 9), réclamait que la part de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, qui rapporte environ 16 milliards d'euros) allouée aux régions passe de 25 % à 70 %. Finalement, l'État a décidé de n'accorder « que » 50 % de la CVAE aux régions à compter de 2017. L'ARF fait contre mauvaise fortune bon coeur en estimant que ce surplus de recettes va permettre aux régions de « bénéficier d'une fiscalité en cohérence avec leurs compétences et leurs investissements en faveur des entreprises ». Reste qu'il n'est pas certain que cela soit suffisant pour permettre à Alain Rousset de tenir son objectif de « tripler les 700 millions d'euros annuels d'aides actuellement distribués aux entreprises. Nous pourrions ainsi créer jusqu'à 80 000 emplois et inverser la courbe du chômage. » Et c'est le même Alain Rousset qui aimait dire : « Avec 70 % de la CVAE, nous aurions une puissance dans nos interventions équivalente à celle des Länder allemands. » On n'y est donc pas. Et d'autant moins que l'État a baissé ses dotations aux collectivités locales, dont les régions.

Alors, ces 13 super-régions sont-elles réellement armées pour relever les défis ? Il est vrai qu'elles apparaissent comme « plus homogènes et avec des caractéristiques démographiques plus proches », notait l'Insee dans sa dernière publication, La France et ses territoires (Collection Références, 2015). À l'avenir, aucune des nouvelles régions françaises continentales ne comportera moins de 2 millions d'habitants (voir notre carte page 12). Alors que c'était le cas auparavant, notamment pour le Limousin, la Basse-Normandie et Champagne-Ardenne. Derrière les deux très grandes régions (Île-de-France, 11,9 millions d'habitants et Auvergne-Rhône-Alpes, 7,6 millions d'habitants), suit un groupe de cinq régions de taille intermédiaire, comportant chacune cinq à six millions d'habitants (Nord-Pas-de-Calais-Picardie ; Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes ; Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées ; Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine ; Provence-Alpes-Côte d'Azur).

Seules deux régions dans le « Top 10 »

Au niveau économique aussi, la création de plus grandes régions dessine une carte où un nombre plus important de régions présentent un poids économique intermédiaire (derrière l'Île-de-France, qui pèse pour près de 30 % du PIB français), ce qui n'était auparavant le cas que pour Rhône-Alpes et Paca. Désormais, ces deux régions additionnées à quatre autres (Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes ; Nord-Pas-de-Calais-Picardie ; Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées ; Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine), représentent près de la moitié du PIB national (47,7 %). Certes, mais au classement des plus gros PIB régionaux européens, les régions françaises sont globalement à la traîne. En les comparant à l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, seules deux régions hexagonales apparaissent dans le « top 10 ». L'Île-de-France figure même à la première place, avec un PIB frôlant les 609 milliards d'euros, devant trois États fédérés allemands et la Lombardie italienne. La nouvelle entité Auvergne-Rhône-Alpes, avec un PIB cumulé de 227 milliards d'euros, se glisse à la septième place.

Au-delà du PIB, ce qui compte pour permettre aux régions d'agir, c'est le budget dont elles disposent, et là, le retard français est considérable. Globalement, les régions françaises disposent d'un budget égal à 28,7 milliards d'euros. Une somme qui représente 12 % du budget total de l'ensemble des collectivités locales (233,5 milliards d'euros en 2013) et... 1% du PIB national. En comparaison, en Allemagne, les Länder ont une force de frappe d'environ 300 milliards d'euros, soit... 13 % du PIB français.

Ce n'est donc pas gagné. D'autant plus que la loi NOTRe n'a pas mis fin à ce qu'Alain Rousset dénomme le « mal français », c'est-à-dire cet amoncellement de structures parallèles qui, en réalité, rendent les mêmes services. D'où les lourdeurs administratives, les lenteurs dans la prise de décision. « Rien que pour les aides aux entreprises et la politique économique, l'État possède trois leviers : la banque publique d'investissement [Bpifrance, ndlr], les diverses agences et les services déconcentrés de l'État. Et en plus, il y a les régions. Comment voulez-vous éviter les doublons avec ce système ? » constate Alain Rousset.

L'Association des régions de France regrette que la loi NOTRe n'ait pas permis une nette clarification en matière d'accompagnement des PME. Les régions ont davantage de possibilités, certes, mais il faudra sans doute attendre une nouvelle loi pour qu'elles soient enfin réellement maîtresses de leur destin... Mais est-ce vraiment la volonté de l'État jacobin français ?

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LE CHIFFRE:

1 % du PIB national, c'est le niveau du budget des régions françaises, contre 13 %en Allemagne.

Jean-Christophe Chanut

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Commentaires 6
à écrit le 06/03/2016 à 22:13
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100 % d'accord, rien à redire. Bravo M. Chanut.

à écrit le 05/12/2015 à 13:49
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Nous avions une belle région qui avait pour nom la France avec ses départements pour être au plus prés de ses concitoyens, maintenant nous n'avons qu'un chaos prémédité!

à écrit le 04/12/2015 à 18:00
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Les nouvelles régions seront magiques. Tous les problèmes seront résolus. La preuve ? Regardez bien les lunettes : elles sont l'oeuvre de Harry Potter !

à écrit le 04/12/2015 à 18:00
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Les nouvelles régions seront magiques. Tous les problèmes seront résolus. La preuve ? Regardez bien les lunettes : elles sont l'oeuvre de Harry Potter !

à écrit le 04/12/2015 à 17:28
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Non seulement cette structure de super-région n'a pas les pouvoirs financiers mais elle coûte cher dans la mesure où elle vient s'insérer dans le mille-feuille administratif. Pour faire plaisir aux radicaux-de-gauche, les socialistes leur ont concédé...

à écrit le 04/12/2015 à 17:22
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La pire solution imposée sans aucun débat aux gens ! Agrandir le territoire régional sans budget ni cohérence économique ou historique est une bêtise abyssale ! Le problème français est simple : l'ultra centralisation des budgets à Paris (ce qui par...

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