L'université du futur au pays des cigales

Imaginez, une université, un accélérateur de startups et un pôle d'expérimentation, le tout réuni en un même lieu... "Thecamp", c'est le projet ambitieux de Frédéric Chevalier pour faire de la Provence un des hauts lieux de l'innovation mondiale. Décryptage.
Ce campus d'un nouveau genre - une « utopie créative » selon son concepteur -est imaginé comme un écosystème harmonieux de création où l'on viendra « pour travailler, apprendre, échanger, jouer, créer, méditer, philosopher ».

Le futur va s'écrire au chant des cigales. "Thecamp", lieu hybride qui réunira une université, un accélérateur de startups et un pôle d'expérimentation, sera construit près d'Aix-en-Provence d'ici à trois ans. Les travaux devraient débuter en avril 2015, pour une livraison en octobre 2016 et une inauguration en janvier 2017.

« C'est l'endroit idéal, entre campagne, mer et montagne, à cinq minutes de la gare TGV et un quart d'heure de l'aéroport international Marseille-Provence. La région bénéficie d'une lumière particulière et d'un climat très agréable. Mais c'est aussi la porte d'entrée de l'Afrique et du Moyen-Orient.

Avec Thecamp, dont la devise est "creating the future", la région Provence-Alpes-Côte d'Azur pourrait devenir le premier pôle d'innovation d'Europe du Sud », prédit Frédéric Chevalier, concepteur du projet.

Ce quinquagénaire natif de Marseille qui a fait fortune dans le marketing (lire l'encadré) se voit un peu comme le Xavier Niel provençal. Comme le patron de Free, il est persuadé que la France possède tous les atouts pour devenir un des champions mondiaux de l'innovation. Et plus particulièrement sur le créneau de la smart city, la ville intelligente du futur.

« Si les géants du numérique sont américains, les leaders mondiaux du BTP, de l'énergie et des services urbains sont français. EDF, Areva, GDF-Suez, Bouygues, Eiffage, Vinci, Veolia, Decaux : pour tous ces grands groupes, la ville intelligente est un enjeu de premier ordre », estime le fondateur de Thecamp, qui vient de recevoir l'approbation du gouvernement français :

« Quel plaisir de voir des territoires qui vont de l'avant. Thecamp est vraiment un projet magnifique, enthousiasmant, ambitieux, intelligent, un véritable totem, pour la Provence et la France, à la conquête du monde... », a ainsi déclaré Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique, en visite à Aix-en-Provence le lundi 15 décembre.

Xavier Niel sponsorise l'école d'informatique 42 et veut faire de la halle Freyssinet dans le XIIIe arrondissement de Paris le plus grand incubateur de start-up mondial. Frédéric Chevalier, lui, a décidé de consacrer son énergie et son argent à ce « campus technologique d'innovation et de prospective consacré à la ville de demain ».

Une pincée de Cups (The Center for Urban Science and Progress, le centre de recherche public-privé sur la smart city de la ville de New York), un soupçon de Singularity (hébergée sur le campus de la Nasa en Californie, la Singularity University a été fondée en 2009 par Peter Diamandis et Ray Kurzweil, le pape du transhumanisme), une mesure de MIT (Massachussets Institute of Technology) et beaucoup de « transdisciplinarité et d'énergie créatrice », c'est la recette de Thecamp. Son objectif principal : aider les collectivités et les entreprises à gérer la transition numérique grâce à des programmes pédagogiques adaptés, des master class et des conférences animées par les ténors mondiaux du numérique et des autres techniques innovantes.

« L'accélération des technologies, en particulier numériques, est incroyable. Or, ni l'État ni le secteur privé ne prennent la mesure de ce nouveau paradigme. Il y a urgence à créer un endroit qui marie le meilleur de l'Europe, la recherche et la créativité, et du monde anglosaxon, l'expérimentation et le pragmatisme », analyse le concepteur de Thecamp.

C'est pourquoi ce campus de nouvelle génération proposera des laboratoires pour tester les inventions des start-up.

Cela fait trente ans que cet ancien sportif de haut niveau nourrit son ambitieux dessein : faire surgir de la garrigue un lieu emblématique où s'inventera l'avenir, capable d'attirer étudiants, chercheurs et innovateurs du monde entier. En 2012, après avoir pris du champ par rapport à sa société HighCo et passé deux ans à s'occuper de sa famille, l'entrepreneur décide qu'il est temps de mettre ce projet sur les rails. Il retourne alors solliciter une nouvelle fois le propriétaire d'un terrain qu'il convoite depuis douze ans et le persuade que son projet est mûr.

Un lieu totalement connecté et durable

Frédéric Chevalier acquiert le terrain sur ses deniers personnels et confie l'aspect architectural au cabinet marseillais Corinne Vezzoni & Associés : « C'est à mon avis un des deux meilleurs architectes conceptuels, avec Jean Nouvel. » Les études sont lancées, un permis de construire déposé, et, en avril 2013, les premiers plans de cet « objet-monde », comme le qualifie son concepteur, sont imprimés.

Concrètement, il s'agit d'un espace de 7 hectares pour une surface bâtie de 12.000 m2 qui accueillera le bâtiment principal, composé de trois espaces circulaires et coiffé d'une immense toile protectrice de 7.000 m2, des suites VIP et 340 logements pour les étudiants, intervenants et visiteurs. Le cabinet d'architectes a tiré profit du climat favorable de la région pour proposer un lieu ouvert avec vue sur la montagne Sainte-Victoire, célébrée par Cézanne. La grande toile, qui protège à la fois de la chaleur et des intempéries, permet une circulation fluide entre les espaces clos, tout en exploitant au mieux la lumière provençale. Les voitures seront bannies du site au profit de la marche et du vélo, sauf pour les employés. Les parois des bâtiments seront en verre ou en bois, matériau qui présente un « bilan carbone positif et à très faible émission de CO2 », selon le cabinet d'architectes. En effet, ce lieu totalement connecté qui se veut à la pointe de la modernité ne pouvait faire l'impasse sur le développement durable. Toute une série de mesures, du choix des matériaux à la gestion de l'énergie et des déchets, ont été prises et devraient faire de Thecamp un lieu respectueux de son environnement. La simplicité, voire le minimalisme, était une exigence de Frédéric Chevalier. L'aspect dépouillé et le design scandinave des suites VIP en sont l'illustration.

Un projet double
et un partenariat public-privé

Thecamp est un projet à deux faces. D'un côté, le volet immobilier, d'un montant estimé à environ 35 millions d'euros, qui sera financé par une société immobilière. D'après nos informations, cette somme devrait être réunie auprès de quatre investisseurs : la Caisse des dépôts - le dossier n'est pas encore formellement bouclé mais serait en bonne voie -, la Société d'économie mixte du Pays d'Aix, qui a donné son accord, des banques et Booster Invest, le fonds d'investissement de Frédéric Chevalier.

Une seconde société sera créée pour prendre en charge la partie campus, qui devrait coûter une somme équivalente, via un partenariat privé-public. Les collectivités territoriales (conseil régional, conseil général des Bouches-du-Rhône, communauté du Pays d'Aix et la chambre de commerce et d'industrie d'Aix-Marseille-Provence) devraient participer à hauteur d'une dizaine de millions. Le reste sera apporté par des grandes entreprises privées.

« Il y aura deux catégories de partenaires privés. Les groupes impliqués dans les services urbains, la mobilité, la construction. Et les géants de l'économie numérique français - Orange, SFR, Free - et américains - Google, Oracle, Cisco, IBM, Amazon », énumère Frédéric Chevalier, convaincu que son concept est dans le bon time to market.

Le défi pour cet adepte des termes en « trans » - transdisciplinarité, transculturel, transgénérationnel - consistera à convaincre puis à faire travailler de concert des entreprises concurrentes et jalouses de leurs secrets industriels. Avec une certaine forme de naïveté, qu'il ne nie pas, l'inventeur de Thecamp croit que la force de son « utopie créative » sera suffisante pour engendrer un écosystème harmonieux. Il espère boucler son tour de table fin mars 2015 et a déjà prévu une photo de famille en avril.

La rentabilité du campus pourrait être atteinte dès la quatrième année grâce aux services d'hôtellerie et de restauration, et aux revenus issus de l'accélérateur intégré. Frédéric Chevalier envisage également des opérations de mécénat pour financer les summer camps. Cette initiative inspirée des États-Unis permettra d'inviter des enfants (9-12 ans) dans « Thecamp for kids » et des adolescents (14-18 ans) au sein de « Thecamp for young creators ». Ces jeunes seront invités à monter leurs tentes dans la forêt proche huit mois par an, avant d'aller se mêler aux enseignants, startuppers et personnalités, et, pourquoi pas, « jouer au foot avec des gens du monde entier ».

« Il faut donner à ces jeunes des outils pour comprendre et exploiter le potentiel des nouvelles technologies, et les encourager à bâtir des solutions qui changeront le monde », pense Frédéric Chevalier.

Confiant dans le caractère unique et innovant de son campus du futur, il se félicite de l'accueil que lui ont réservé les acteurs publics et privés. Mais un tel lieu à vocation pédagogique ne pourrait-il faire de l'ombre aux universités et grandes écoles de la région ?

Non, selon l'ancien patron de HighCo, qui rappelle que Thecamp a vocation à accueillir des postdiplômés, déjà passés par les filières classiques d'enseignement. Managers et entrepreneurs pourront, eux, suivre des formations « afin qu'ils anticipent la manière dont les technologies de demain vont transformer leurs industries, leurs entreprises et leur développement personnel et professionnel ».

Un OVNI posé en terre de provence

Trois types de publics sont visés : les membres des comités exécutifs, chefs d'entreprise et directeurs de l'innovation et de la R & D, les cadres intermédiaires et les employés. Les décideurs et managers des collectivités publiques auront également droit à leurs cours sur les technologies disruptives, particulièrement celles qui concernent les smart cities dans le cadre d'une « prospective générale sur la ville de demain et les enjeux de modernisation urbaine » et « d'une prospective sectorielle basée sur les évolutions technologiques ». D'autres formats seront disponibles : des séminaires avec inscription libre, des programmes de formation sur mesure pour les entreprises et des séminaires stratégiques sur invitation.

Le pôle d'accélération accueillera des start-up et des PME de croissance pour les accompagner dans leur développement. Sa mission : créer les conditions pour augmenter les chances de succès de ces entreprises en immergeant les entrepreneurs dans « un tissu fertilisant de connaissances, de compétences et d'expériences, et en leur fournissant les infrastructures et les services qui leur permettront de se concentrer pleinement sur la réussite de leur projet ».

Troisième dispositif : le pôle d'expérimentation matérialisé par un lab intégré, et des partenariats avec des collectivités locales ou territoriales. Enfin, des conférences « d'envergure internationale » seront organisées et animées par « des personnalités inspirantes dont les exemples seront déclencheurs de vocations et d'ambitions ».

Pour Frédéric Chevalier, Thecamp est un « Ovni posé en terre de Provence. Ce sera un laboratoire, un écosystème de création et d'innovation. On y viendra pour travailler, apprendre, échanger, jouer, créer, méditer, philosopher. Et accompagner les changemakers qui inventeront les solutions pour rendre les métropoles plus durables, plus équitables, plus résilientes et plus humaines ». Entre Cadarache, le centre de recherche du CEA (Commissariat à l'énergie atomique) sur la fusion nucléaire et les énergies alternatives, et bientôt Thecamp pour l'innovation et les technologies numériques, la Provence pourrait devenir une alternative crédible aux autres centres mondiaux de recherche et d'expérimentation.

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Commentaire 1
à écrit le 14/01/2015 à 13:37
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Cela s'appelle Sophia-Antipolis, et cela date de plus de 50 ans. Il reste que internet et le web ont changé les données.

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