Industriels et startups s'associent pour capter de nouveaux business : l'exemple de DCNS et Sirehna

En quête de sang neuf et d'idées de rupture, les centres de R&D de groupes industriels et de certaines ETI lorgnent sur les pépites des nouvelles technologies. De nouveaux modèles de collaboration se mettent en place pour capter de l'innovation et générer des marchés.
Breizh Lab connecte entre eux des industriels ayant des locaux disponibles et des startups à la recherche d'un lieu d'implantation pour accélérer leur développement.

Si tous ne l'avouent pas publiquement, les grands groupes sont de plus en plus nombreux à jeter leur dévolu sur de jeunes pousses des nouvelles technologies.

« Aujourd'hui, le numérique rebat les cartes et inverse les pouvoirs », observe Vincent Roux, fondateur de l'agence digitale nantaise Intuiti, organisateur d'une table ronde destinée à rapprocher « sweats à capuche et costards ».

« Parce qu'il n'est pas toujours aisé, dans une entreprise traditionnelle, de remettre en cause un modèle qui compte pour 95 % du chiffre d'affaires », observe-t-il.

« La difficulté, c'est de structurer et d'organiser les relations entre ces deux mondes », ajoute Laurent Manach, directeur général du pôle EMC2, qui vient d'amorcer une démarche en ce sens au sein de la Jules-Verne Manufacturing Valley, à Nantes. « Certains groupes s'y investissent, mais beaucoup ont du mal à se défaire de la logique de sous-traitance », dit-il.


À la recherche de la différenciation

Au sein de l'incubateur Symbiose, piloté par l'École centrale de Nantes et l'École de management Audencia Group, le rapprochement s'accélère.

« Les grands groupes ont compris qu'il y a des pépites dans les laboratoires. Faute d'être organisés pour mener des projets à long terme, ils investissent dans nos programmes », affirme Bernard Alessandrini, directeur du développement et des partenariats à l'École centrale de Nantes.

La première initiative remonte déjà... aux années 1980. Mais c'est en 2012 que le groupe militaro-industriel DCNS, spécialisé dans la construction de navires et sous-marins, décide de mettre la main sur la jeune pousse Sirehna, spécialisée dans l'hydrodynamique naval.

« En trois ans, l'entreprise a doublé de taille et emploie aujourd'hui 60 personnes », explique Gilles Langlois, directeur du centre de recherche technologique DCSN Research et Pdg de Sirehna, aujourd'hui financièrement intégré à DCNS Research.

Ce qui a conduit à décider du rachat ? « Ses compétences et le potentiel sur les calculs et expérimentations en hydrodynamiques complexes ». Un savoir-faire à forte valeur ajoutée qui permet au groupe français de faire la différence face à une concurrence internationale exacerbée sur les marchés des frégates, des corvettes, etc.

« L'un de mes enjeux est donc d'identifier des technologies de rupture, de manière à ce que nos navires aient des capacités opérationnelles supérieures à celles de nos concurrents », explique Gille Langlois.

C'est la première fois, avec Sirehna, que le groupe décide l'intégration à 100% d'une PME en lui laissant son identité, son autonomie pour préserver sa capacité d'innovation. Deux ou trois autres projets seraient à l'étude.

« Prise de participation, recrutement, partenariat, coentreprise, programmes collaboratifs... Les formes de rapprochement peuvent être très variées, observe Bernard Alessandrini. L'outil le plus simple, c'est l'embauche d'un doctorant qui intervient dans le laboratoire ou dans l'entreprise. C'est souvent la porte d'entrée des groupes », remarque-t-il.

Autre solution, le cofinancement de programmes de recherche entre un laboratoire et un groupe industriel, sur des périodes de cinq à dix ans, pour des montants qui varient de 2 à 10 millions d'euros. L'an dernier, trois contrats ont été signés avec RTE, VM Matériaux et l'équipementier automobile Faurecia.

« Les groupes bénéficient de la rapidité d'action d'une recherche intégrée, sans avoir à investir », constate Bernard Alessandrini, qui sensibilise aussi les jeunes startuppeurs aux questions de propriété industrielle.

« C'est l'effet pervers d'accueillir les groupes industriels... », lâche-t-il. D'autant que depuis trois ans, la demande entrepreneuriale explose, avec 30 startups.


Acquérir une culture entrepreneuriale

« Chez Engie [ex-GDF Suez], nos activités de recherche servent à l'amélioration des processus, mais ne débouchaient pas sur de nouveaux business. Or, pour devenir le champion de la transition énergétique, nous avons cherché à lancer des ponts entre les trouveurs d'idées et le marché », explique Jean-Louis Leblanc, Directeur de la Direction Innovation et nouveaux business chez Engie.

Ces « ponts » sont déployés soit au sein de laboratoires de recherche, en prenant des participations minoritaires dans des startups, soit en interne, où Engie suscite l'émergence d'idées auprès de ses 140.000 collaborateurs. Les plus prometteuses bénéficient d'un accompagnement.

« On les sort de leur quotidien. Pendant un an, elles intègrent des structures d'incubation professionnelles pour se frotter à d'autres startups, bénéficient d'un accompagnement commercial, marketing, juridique... et acquièrent une culture entrepreneuriale », ajoute Jean-Louis Leblanc.

Ce fut le cas à Nantes, en début d'année, avec la signature d'une convention avec la technopole Atlanpole pour l'incubation d'un projet porté par trois salariés issus de deux filiales du groupe. À l'issue de la période, les collaborateurs choisissent de réintégrer le giron de l'énergéticien ou de voler de leurs propres ailes. Lancé il y a près d'un an, ce dispositif compte une dizaine de projets en France, en Belgique, en Grande-Bretagne.

«L'ambition, c'est d'avoir une quinzaine de projets pour générer du business au groupe.»


Un nouveau modèle de commerce

À une autre échelle, l'ETI vendéenne Tronico, spécialisée dans la fabrication d'équipements électroniques, a elle aussi décidé d'engager une double stratégie pour capter de l'innovation, se rapprocher de startups et générer de l'activité supplémentaire. En interne, où les idées de salariés peuvent être développées en mode startup, et en externe.

« C'est une nouvelle prestation pour Tronico », explique Patrick Collet, PDG de Tronico (700 personnes), partenaire du Pôle de compétitivité EMC2.

« De nombreuses startups travaillant sur les logiciels rencontraient des difficultés sur le matériel, qui est notre métier. Alors, on leur propose d'être fabricant. On fonctionne comme un accélérateur de développement. Pour nous, c'est du commerce en amont. J'investis avec eux et si ça marche, dans deux ans, je ferai du business. C'est du gagnant-gagnant », reconnaît Patrick Collet.


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Avec Breizh Lab, des entrepreneurs offrent le gîte aux startups

Besoin d'un bureau à Clichy, São Paulo ou Shanghai ? Connectez-vous sur Breizh Lab. Lancée en avril dernier, cette plateforme Web fondée par quatre dirigeants de l'Ouest (de Coriolis composites, ACB, BA Systems, Socomore et BMS assurances), soutenus par BPIFrance, les réseaux des technopoles bretonnes et pôles de compétitivité (Images et réseaux, ID4car, EMC2, IRT Jules-Verne, etc.) repose sur un concept simple: connecter entre eux des industriels ayant des locaux disponibles et des startups à la recherche d'un lieu d'implantation pour accélérer leur développement.

La mise à disposition de bureaux, espace logistiques, laboratoires, ateliers... en France ou à l'étranger, est gratuite pour des périodes de six mois, renouvelables cinq fois.

Pour Frédéric Lescure, patron de Socomore, « il s'agit de favoriser la rencontre de deux univers. Que les startups puissent bénéficier d'un lieu, d'une expérience, d'un accompagnement et d'une expertise, et que les industriels bénéficient de l'esprit startup et goûtent à l'innovation. Pour, à la fin, favoriser la réussite de projets de création industrielle en abaissant les coûts d'installation ».

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