Les ailes brisées de la Maison Poulaga

Éclos à grand renfort de couverture médiatique, les restaurants Maison Poulaga n'auront pas longtemps déployé leurs ailes. Moins de trois ans après le lancement de ce concept racoleur, son fondateur a déposé le bilan au début de l'année.
"La Maison Poulaga", ou l'execice difficile de la franchise / DR

Un nom racoleur, des tenues et une décoration directement empruntées à la police et la gendarmerie et ce fut le "buzz". En juillet 2008, juste en face du commissariat de Cannes, Pierre Constance, ouvre un restaurant baptisé "Maison Poulaga". Lequel se spécialise dans la vente sur place et à emporter de poulets rôtis. Le point de départ d'une machine médiatique qui s'emballe. Presse écrite, télévision, radio relatent en boucle cette ouverture. Les forces de l'ordre sont plus mesurées et le syndicat de police Alliance se fend même d'un communiqué pour dénoncer "la banalisation inacceptable des services de police sur le théâtre de la bouffe". Qu'importe les divergences d'appréciation, en moins de dix-huit mois, d'autres Maison Poulaga prennent pignon sur rue dans près d'une dizaine de villes.

 

Ascension fulgurante

Une belle histoire partie d'une boutade. "Nous voulions développer un concept de livraison de poulets rôtis à domicile, car ce service n'existait pas. Persuadé du potentiel de la marque Maison Poulaga, je l'ai déposée début 2008", retrace le fondateur Pierre Constance. Tout juste rentré des Etats-Unis le quinquagénaire - qui a déjà créé et revendu "une quinzaine d'entreprises de la téléphonie à la location de voitures sans permis" - s'établit à Cannes. "Nous pensions faire les marchés, mais comme nous avions loué un pas de porte nous avons là-bas ouvert notre premier restaurant", explique-t-il. Le succès et la médiatisation de la Maison Poulaga de Cannes dépassent de loin toutes les espérances de son créateur. "Notre objectif était d'avoir une activité originale dans un esprit ludique, rien de plus. Nous n'avons rien demandé, les médias sont arrivés tout seuls", tient à préciser l'entrepreneur, qui a rapidement couplé la restauration en salle avec le service de livraison à domicile "Allo mon poulet". De quoi renforcer plus encore l'appétit des médias et des franchisés potentiels. Car l'idée d'un développement en franchise séduit Pierre Constance. "Dans les entreprises que j'avais montées, le plus difficile avait toujours été la gestion du personnel ; la perspective de travailler avec des chefs d'entreprise capables de gérer et de développer leur propre activité m'a donc enthousiasmé". Moins de six mois après avoir ouvert un premier restaurant en nom propre, le fondateur de la Maison Poulaga ouvre une première franchise à Mulhouse, puis Nîmes, Bordeaux, et Lyon en 2010 accueillent, elles aussi, l'enseigne. Toujours avec le même engouement médiatique.

 

Le mauvais choix de la franchise

Mais dès le début de l'année 2010, la belle machine montre des signes de faiblesse. Il y a d'abord le restaurant de Cannes qui ferme fin 2009, faute d'avoir pu trouver un accord avec le propriétaire des locaux pour le renouvellement du bail. Dépourvu d'enseigne pilote, le franchiseur établit sa société à Lyon et poursuit le développement de ses points de vente uniquement en franchise. Jusqu'au jour où l'un des franchisés ne s'acquitte plus des redevances. "Après avoir payé le droit d'entrée, notre franchisé de Mulhouse a refusé de verser les sommes correspondantes à la mise à disposition des kits de communication et de l'équipement des vendeurs", affirme Pierre Constance qui dit avoir commis une première erreur de recrutement lorsqu'il a signé un contrat avec ce franchisé qui a selon lui "confondu assistance et assistanat" - et une deuxième en lui venant en aide, en dépit des défauts de paiements qui portent alors en plus sur la redevance mensuelle (5 % du chiffre d'affaires). "Nous avons multiplié les déplacements à Mulhouse pour l'aider. Cela nous a couté beaucoup d'argent, sans aucun retour. D'autant qu'à l'époque, nous devions aussi suivre l'installation des franchisés dans les autres villes ; nous avons donc empilé les frais sans engranger suffisamment pour les couvrir", affirme Pierre Constance. Mais ce dernier faire reporter la responsabilité de sa faillite sur un autre évènement. "Pensant créer du lien entre nos actuels et futurs franchisés, nous les avons réunis mi 2010. Au lieu d'échanger sur leur façon de faire, ils se sont ligués contre nous, et dès lors plus personne n'a voulu payer les redevances", raconte le dirigeant qui a décidé de déposer le bilan en janvier dernier, alors que les restaurants ont tous fermé fin 2011. Pourtant, Pierre Constance affirme avoir compté lui-même des recettes de 12 000 à 18 000 euros de chiffre d'affaires le premier mois. "Le concept était formidable, il générait de l'argent tout de suite. Mais gérer un restaurant impose des règles en matière d'hygiène, de gestion et d'accueil des clients que nos franchisés n'ont pas su respecter". Injoignables ou retranchés dans le mutisme, lesdits franchisés déclinent les propositions d'interview d'Acteurs de l'économie. L'un d'eux, qui devait ouvrir un restaurant au Mans, estime aujourd'hui "avoir tout perdu". "J'ai payé mon droit d'entrée de 15 000 euros, mais je n'ai pas trouvé de local et entre temps le franchiseur à fait faillite", se désole-t-il. Un autre se risque à dénoncer l'attitude de Pierre Constance qui selon lui "était injoignable, une fois que les ouvertures étaient faites à grand renfort de publicité".
Au-delà de sa propre expérience, Pierre Constance stigmatise le modèle de la franchise et la façon dont il l'a appréhendé. "Je suis allé trop vite. Par ailleurs je n'ai pas été assez vigilant sur le recrutement des franchisés ; or lorsque l'on confie à d'autres les clés d'un concept qui vous appartient, il est primordial de bien choisir ses franchisés. Enfin, la franchise impose d'être sans état d'âme. Nous avons voulu faire de l'assistanat, mais nous aurions dû très vite assigner nos franchisés en défaut de paiement. Ce que nous allons faire maintenant". Reste que cette expérience malheureuse ne remet pas en cause le concept qu'il qualifie de "génial" et qu'il entend bien redévelopper dès les prochaines semaines. "Nous redémarrons avec des remorques Maison Poulaga équipées d'un système de rôtisserie de poulet au feu de bois. Nous sommes en train de signer des partenariats avec des boulangers pour installer nos équipements sur les parkings de leurs établissements. Et cette fois, nous aurons des salariés pour assurer la vente", dévoile-t-il.

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