Saint-Denis-Pleyel résout la quadrature du cercle

Contrer la spéculation naissante et maintenir des prix du foncier pas trop élevés malgré le coût des évictions et de la dépollution pour construire la deuxième zone économique de l’Île-de-France, c’est le challenge à Saint-Denis-Pleyel. Des solutions originales dénouent cette difficile équation.

Mal identifié, peu connu du grand public, mais c'est un projet phare du Grand Paris. En Seine-Saint-Denis, sur le territoire de Plaine Commune, aux abords de la future et énorme gare Saint-Denis-Pleyel, prévue pour 2023, va se construire la plus importante zone de développement économique d'Île-de-France, après - ou à égalité avec?- La Défense. Le défi est de taille: 70 hectares sont programmés au total dans le contrat de développement territorial (CDT) «Territoire de la culture et de la création».

Le futur quartier stratégique s'étend de la pointe de la Confluence au Vieux Saint-Ouen, du nord au sud, et de L'Île-Saint-Denis à l'avenue du Président-Wilson, d'est en ouest. Le point de départ, la condition sine qua non du projet, c'est la sortie de terre, en 2023, de la nouvelle gare Saint-Denis-Pleyel. Un pôle unique de correspondance entre quatre lignes du Grand Paris Express qui, peut-être un jour, accueillera le TGV. Ce pôle majeur bénéficiera du prolongement de la ligne 14 du métro, assurant ainsi une liaison avec le centre de Paris et l'aéroport d'Orly, au sud, ainsi que d'un arrêt des futures lignes 15, 16 et 17 de liaisons entre banlieues.

Environ 250.000 voyageurs fréquenteront, à terme, cette nouvelle gare chaque jour! Reste à y amener les entreprises. Pour l'instant, les grands groupes ont commencé à s'installer autour du RER Saint-Denis (la SNCF et SFR viennent d'y implanter leurs sièges), mais pas encore côté Pleyel. Un espace qui fut la zone économique la plus importante de France avant la Seconde Guerre mondiale, avec des usines très polluantes, de la métallurgie, de la chimie, des industries du plastique, des centrales électriques... C'était le paradis de l'industrie lourde et des métallos. Aujourd'hui, c'est l'une des terres les plus polluées qui soient, l'une des plus chères à remettre en état.

Or, pour inciter les entreprises à s'installer dans le quartier Pleyel, Plaine Commune va devoir proposer des tarifs attractifs. Un pari difficile, vu le prix à payer: la zone compte de nombreuses anciennes friches industrielles, donc des espaces potentiellement mutables, mais leur coût pourrait être prohibitif en raison des frais engendrés pour la dépollution.

Et, comme les prévisions pour les années à venir ne laissent pas présager une baisse des prix du mètre carré en petite couronne parisienne, que certains peuvent déjà penser à acheter pour spéculer, le défi d'un nouveau quartier d'affaires près de Paris s'annonce colossal. Il a donc fallu trouver un système futé pour éviter l'inflation du foncier. La bonne idée est venue de l'Établissement public foncier Île-de-France (EPFIF) que dirige Gilles Bouvelot: il a proposé à la communauté d'agglomération Plaine Commune la mise en place d'un dispositif de portage foncier de long terme pour le moins original.

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Une réserve foncière de long Terme est créée

Principe simple: anticiper pour mieux réguler. Méthode simple aussi: Plaine Commune a mis en place début février avec l'EPFIF Foncière commune, dont l'objectif est d'empêcher la hausse des valeurs foncières en constituant une réserve de long terme. C'est dans sa stratégie que réside l'innovation la plus marquante. Car, pour un tel projet, les dispositifs classiques de courtage à court et moyen termes s'avèrent en eet insuffisants; or, les calendriers de la sortie des nouvelles infrastructures de transport nécessitent un besoin d'anticipation sur une période allant de quinze à vingt ans. Le hic, c'est que, comme 60% du foncier potentiellement mobilisable est constitué aujourd'hui de parcelles déjà utilisées par des activités, la chose est difficile à maîtriser, notamment en raison des indemnités d'éviction.

Donc, «notre politique consiste à acheter certains terrains potentiellement stratégiques, et à maintenir les activités en place le plus longtemps possible, ce qui permet de tenir les prix», explique Gilles Bouvelot.

Avec les loyers payés par les occupants pendant tout le temps du portage, l'EPFIF peut ainsi arriver à sortir des coûts finalement pas trop élevés. Et, dans le même temps, elle limite les risques de spéculation (qui sont déjà réels sur le territoire): la nouvelle structure achète lorsqu'elle le souhaite, et un privé devra avoir les reins financièrement très solides s'il doit attendre une dizaine ou quinzaine d'années, voire davantage, pour éventuellement faire la culbute financière.

C'est pour cela que les sites où Foncière commune est amenée à intervenir devront remplir deux conditions: être localisés près des futurs projets d'aménagement prévus dans le cadre du CDT, et présenter des loyers suffisants pour compenser les frais de gestion. Dans le cas où le bien réservé ne s'inscrirait finalement pas dans le périmètre d'un projet d'aménagement à échéance du portage, il serait alors revendu au prix du marché. La capacité d'intervention de la société de portage s'élève à 100millions d'euros. C'est bien le moins, car «le prix moyen de l'hectare près de Paris s'élève à 5mil-lions d'euros au total, jusqu'à 10 millions parfois», souligne Gilles Bouvelot. Aujourd'hui, dans cette zone à reconstruire, la logistique a succédé à la métallurgie, et le quartier, pas franchement agréable, est une succession d'entrepôts et de grandes emprises d'activités logistiques bordées de logements sociaux. La superficie affectée aux activités et équipements industriels, et à l'entreposage logistique, régresse régulièrement depuis 1990, mais occupe encore 20% de la superficie du territoire, le double de partout ailleurs en petite couronne.

Peu à peu, les bureaux gagnent cependant du terrain. Le parc de bureaux du territoire que couvre le CDT représente 177.400 m2, répartis pour 50% sur Saint-Denis et 25% sur Saint-Ouen. Le rythme de construction est élevé: 104.500 m2 en moyenne par an de 1999 à 2009, dont près de 70% à Saint-Denis. Alors, qu'installer à côté? «Le Grand Paris compte déjà un cluster technologique à Saclay. Il fallait imaginer un "cluster hybride"», explique Djamel Klouche, l'architecte qui étudie des projets sur 15% des 700.000 m2 du pôle d'activités économiques.«Le but est d'éviter la monofonctionnalité. Le projet ne doit pas être une étrangeté localisée autour d'une gare. Nous voulons construire un cluster hybride habité, ne pas tomber dans la logique de La Défense. Dès que l'on sortira de la gare, on sera dans le nouveau quartier et on apercevra tout de suite les logements», explique l'architecte. L'objectif fixé par le CDT est d'en sortir 4200 par an.

Or, le territoire en construit actuellement 1830 en moyenne annuelle, un rythme déjà soutenu. Le projet doit donc s'inscrire dans un secteur déjà particulièrement dense et prévoir des immeubles de bureaux hauts (150m), des immeubles de logements de moyenne hauteur, des surfaces de travail dédiées à l'économie créative, des ateliers, des maisons, de grands équipements -dont une médiathèque innovante dans le quartier de la gare, des groupes scolaires, des équipements sportifs et culturels. Ce devrait être une «gare-pont habitée»!

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