Données transports : qui gagnera la bataille de la mobilité intelligente ?

L'open data peut sauver les villes de l'engorgement tout en apportant de nouveaux services. Face à la puissance de Google et à l'ingéniosité des start-up, les transporteurs publics vont devoir effectuer leur révolution culturelle. Ou perdre la guerre du transport intelligent !
Moovit, une application qui utilise les données fournies par les membres de sa communauté pour informer en temps réel sur le trafic des bus et des métros.

Les papes font beaucoup pour la valorisation des start-up israéliennes. La ville de Rome, qui n'est absolument pas outillée pour indiquer à 5 millions de fidèles les moyens de se déplacer dans la ville lors de la canonisation de Jean XXIII et Jean-Paul II, a pris Moovit comme application officielle. « Appli officielle des papes », cela ne se refuse pas lorsque l'on est une start-up à peine née - mais pour laquelle Sequoia Capital a quand même levé 28 millions de dollars comme cadeau de baptême !

Moovit appartient à Nir Erez. C'est la « petite soeur » du Waze (application mobile gratuite de navigation par GPS) d'Uri Levine, qui en est d'ailleurs aussi administrateur. Son terrain de jeux, ce sont les transports en commun. Sa solution permet de connaître en temps réel les mouvements de tous les transports en commun et elle est fondée sur la géolocalisation des membres de sa communauté. Plus la communauté est grande, plus l'information est fiable. Sequoia Capital n'a donné qu'une consigne :

« Ne vous occupez pas du business model, faites grandir la communauté. »

Le gros enjeu de l'info en temps réel

Moovit se développe donc à une vitesse phénoménale, surtout dans les villes mal équipées qui ont besoin d'elle : Rio (Moovit est l'appli officielle de la Coupe du Monde), Tel Aviv, Medellín, Santiago, Rome, etc., lui ont ouvert leurs données.

Parfois aussi, ça coince. En France, bien sûr. La RATP n'a ainsi fait aucun effort pour que ses plans et horaires nourrissent la base de Moovit. Pas grave, Moovit reconstitue tout. En général avec des geeks qui adorent travailler pour le fun et qui ont les capacités intellectuelles de comprendre les données de la RATP et de les intégrer dans le logiciel Moovit. Et d'ici à 2015, Moovit, comme Waze aujourd'hui, sera totalement indépendante des données publiques. Avec un atout majeur : elle indiquera aux usagers en temps réel l'état précis du trafic et les conseillera, ce que personne n'est aujourd'hui capable de faire.

Le conseil en temps réel sur les transports est un enjeu majeur. La RATP et la SNCF ne le maîtrisent pas encore, et surtout ni l'une ni l'autre n'ont envie qu'un acteur privé crée un business à partir de leurs données. Google, notamment, fait peur, car avec Google Transit comme avec son rachat de Waze, la société a montré qu'elle avait parfaitement identifié le potentiel énorme de profit de la mobilité intelligente.

Si la SNCF donnait ou même vendait ses informations, qu'est-ce qui empêcherait Google de vendre lui-même des billets ? Vu la force de frappe du géant californien, les réservations SNCF, seule branche profitable de la société publique aujourd'hui, seraient torpillées.

Qu'est-ce qui empêcherait Google ou Moovit de guider un usager vers un taxi ? Cela se fait déjà en Israël. Et de lui proposer le service Uber ? De lui vendre des tickets dématérialisés, comme Moovit le fait en Pologne et en Israël ? Ou, enfin, de revendre aux annonceurs des données sur la fréquentation des trajets pour cibler leurs campagnes ?

Pour l'instant, le Syndicat des transports d'Île-de-France (Stif) met en place une plate-forme d'informations en temps réel qui pourrait être opérationnelle d'ici à la fin de l'année : les opérateurs indépendants, la SNCF, la RATP, Keolis et Transdev, sont dans le projet. Elle fournira de l'information aux voyageurs dans les espaces de transports en correspondance qui sont ou seront équipés. Un moteur de recherche commun sera peut-être disponible l'année prochaine. D'ici là, les « disrupteurs » auront peut-être déjà remporté la bataille.

Thales aussi a compris que le défi n'allait pas être facile à Paris. Le groupe s'est lancé dans le développement d'une solution « Instant Mobility » permettant de calculer son itinéraire en temps réel et de manière intermodale : métro, bus, train, taxi... tout peut être intégré. Mais pas encore à Paris. Thales commence donc l'expérimentation de sa solution à Stockholm : cet été, dans la ville, les transporteurs ouvrent leurs données et les taxis, tous équipés par Thales, joueront aussi le jeu.

Public, privé : chacun veut sa part

Mais tout risque de basculer rapidement. Les pouvoirs publics n'ont certes rien contre Google et Apple, mais l'équité de l'information exige que les données fournies se retrouvent à l'identique dans le public. Pourquoi les acteurs privés seraient-ils plus royalistes que le roi alors que - il suffit d'effectuer une requête pour le constater - les transporteurs en commun publics ne fournissent pas forcément la même réponse et cherchent à attirer l'usager chez eux ?

Chacun veut sa part du gâteau, il va bien falloir que l'État mette le curseur quelque part pour tout le monde. Ensuite, il va devoir faire le tri : la donnée transports n'est pas une donnée comme une autre, c'est une donnée sensible. Ses enjeux vont de la sécurité routière (comment contrecarrer une appli qui annonce une rue bouchée, reporte ses usagers massivement sur une autre, créant encore plus de dommages collatéraux ?) aux mouvements de foule désordonnés et non prévus. La donnée transports est au cœur de la vie des gens.

Frédéric Cuvillier a bien compris qu'à trop fermer le robinet, le secteur public va finir par perdre la bataille.

« De toute façon, cela va trop vite pour être conservateur »,reconnaît le secrétaire d'État aux Transports.

Il comprend la crainte qu'inspire la puissance de Google, mais il estime qu'il ne faut pas s'y arrêter et que le problème principal est de savoir comment l'ouverture publique des données transports peut avoir un effet bénéfique sur l'économie et l'emploi.

D'ailleurs, si Paris est un peu bloquée, toutes les autres villes avancent sur la question. Nice, Lyon, Bordeaux, Issy-les-Moulineaux sont truffées de startup auxquelles les mairies ont ouvert leurs données transports pour qu'elles trouvent les solutions à l'engorgement des centres-villes et à la prolifération des voitures.

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Commentaire 1
à écrit le 17/11/2014 à 2:53
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Surtout pas Google le prochain dictateur

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