Quand l'Afrique réinvente la ville intelligente

Le forum Smart City, organisé par La Tribune le 20 novembre prochain, est l'occasion de revenir sur les problématiques et les perspectives de la ville de demain. L’urbanisation très rapide de l’Afrique oblige à construire des villes connectées et durables, souvent à partir de rien. Tous les investissements vont dans l’innovation, et non pas dans l’entretien d’infrastructures vieillissantes. Une formidable opportunité pour les industriels français, spécialistes de la ville connectée.
Centre commercial au Mozambique.

"Alassane Ouattara ne nous a parlé que de ville durable ! Le problème du président ivoirien est simple, explique Gérard Wolf qui, pour le Medef international, a accompagné François Hollande en visite à Abidjan, en juillet dernier: il y a actuellement, avec la banlieue, entre 4,5 et 5 millions d'habitants dans la capitale, 12millions en 2025. Comment construire une ville capable d'absor­ber 7 à 8 millions de personnes en dix ans ? Par quel bout prendre le dossier ?"

Le pays galope avec une croissance de 9% par an et emprunte aux mêmes taux que certains pays européens ; les entreprises locales savent couler du béton. Le problème n'est ni financier, ni technique, il est de concevoir cette ville nouvelle, d'anticiper son fonctionnement dans quinze, vingt ou trente ans.

«Et là, les Français sont franchement bons», assure Gérard Wolf.

Abidjan, Luanda, Lagos, Johannesburg ou Maputo, les besoins sont les mêmes. En 2050, 1,5 milliard d'Africains vivront en ville. Un milliard d'urbains en plus.

«L'Afrique va sauter une étape dans son urbanisation et passer directement de la ville sous équipée à la ville durable. Elle n'a pas le choix. Maputo est un parfait exemple: la capitale du ­Mozambique sort de trente ans de guerre, elle est riche avec le quatrième gisement de gaz au monde ; elle est bien placée, le commerce fuyant le nord de la côte africaine à cause des risques de piraterie. Mais c'est une ville qui n'est pas réputée pour la qualité de son tout-à-l'égout ou de ses transports, et dont les équipements et les services vont être d'entrée de jeu connectés et durables.»

Les Africains effectuent en matière d'urbanisation le même saut que dans l'informatique ou la téléphonie. La densité de téléphone portable est ainsi plus forte en Afrique qu'en Europe, car on fait tout avec: on soigne le paludisme là où il n'y a aucun dispensaire, on suit des cours là où il n'y a aucune université, on paie là où il n'y a pas de banque. En 2014, 72 % des Africains possèdent un téléphone portable ou un smartphone. En 2017, ils seront 97 %! Le cabinet Deloitte Africa a montré qu'une progression de 10 % de l'équipement en téléphonie correspond à une hausse de 1,2 % de la croissance.

Imaginer et former

Dans cette course à la ville durable, les industriels français possèdent deux atouts : en amont, ils ont de fortes compétences pour planifier et modéliser la ville (Dassault Systems, Egis ou Systra sont bien connus sur le continent) ; en aval, ils savent construire la ville à énergie positive et mettre en place les services (Alstom vient de gagner le plus gros contrat de son histoire, 4milliards, pour les transports de Johannesbourg). Malgré la concurrence féroce des entreprises chinoises low cost du bâtiment, les Français possèdent un petit plus : la qualité de la formation que des sociétés comme Bouygues peuvent dispenser sur place.

«Notre véritable valeur ajoutée, c'est la gamberge, sourit Gérard Wolf. Nous sommes présents sur toute la chaîne de valeur et, peut-être, allons-nous enfin chasser en meute ? La guéguerre entre Français fait trop le jeu de la concurrence chinoise ou brésilienne. Si nous arrivions à comprendre que 1+1 font 3, nous prendrions une bonne partie du marché.»

Un marché dont l'unité de compte pour la construction d'une ville de 500.000 habitants tourne, hors grosses infrastructures, autour de la dizaine de milliards.

Johannesburg, en pleine mutation

À Luanda, en octobre, Gérard Wolf et des patrons de PME et ETI ont discuté ville durable avec José Eduardo dos Santos, le président de l'Angola, un autre pays africain en pleine croissance et où l'urbanisation est capitale.

«La croissance est dans les villes. L'Indonésie connaît par exemple une croissance de 6 %, mais elle est de 14% à Djakarta. En Afrique, c'est pareil. Et tant mieux, car il n'existe aucun pays où le revenu brut par habitant soit supérieur à 10 000dollars s'il n'y a pas au moins 60% de la population qui soit urbanisée. La création de richesse est liée à l'urbanisation d'un pays.»

Plus on urbanise intelligemment, plus la population s'enrichit. C'est ce qu'a compris Mpho Parks Tau, le maire de Johannesburg. À 38 ans, celui qui est devenu le maire le plus novateur du continent entreprend des transformations radicales. D'abord, il déploie des investissements colossaux, dans une ville historiquement congestionnée, pour en faire un modèle de transports en commun et doux. Il reconstruit le réseau d'approvisionnement énergétique, l'infrastructure autoroutière, puis il reconfigure des quartiers entiers pour transformer la ville en vitrine de l'Afrique, avec par exemple Sandton, le centre financier du pays, sorte de «Wall Street à l'africaine», ou la très spectaculaire smart city de Modderfontein sur 16 000 hectares. Dans ce dernier cas, c'est un tycoon chinois de 49 ans, Dai, patron du groupe immobilier Shangai Zenda, qui finance et pilote ce projet de 6 milliards de dollars et attire les entreprises chinoises.

Un retard profitable

Mais si Mpho Parks Tau est ambitieux et veut faire de «Joburg» la plaque tournante des investissements asiatiques sur le continent, il se sert aussi des grandes entreprises qui accourent pour construire la smart city africaine afin de financer ses programmes pour combattre la pauvreté, développer le logement social et lutter contre la criminalité. Alstom a ainsi créé une entreprise qui va embaucher 1.500 personnes. Quant aux autres, ils abondent souvent au programme de formation et d'accès aux technologies lancé pour les pauvres dans une ville où 25% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. C'est le cercle vertueux de la smart city africaine, avec ses investissements massifs dans les nouvelles technologies, la durabilité et le social, dans une ville jadis gangrenée par l'apartheid et la criminalité.

C'est parce que les villes africaines sont en retard qu'elles n'ont que peu de coûts d'entretien pour les infrastructures. Lorsque la croissance part et que la gouvernance est stable, les investissements peuvent aller directement au plus innovant, pas à l'entretien du trop vieux. Sauter une étape dans l'urbanisation, c'est le pari réussi de Mpho Parks Tau. Pari qui fait beaucoup d'envieux sur le continent. 

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