Espaces publics et numérique : réinventer la ville

A l’approche de la conférence Future of Places qui aura lieu à Stockholm du 29 juin au 1er juillet prochains, le Pr. Carlos Moreno poursuit sa réflexion sur les espaces publics au sein des villes. À la croisée d’enjeux environnementaux, sociaux, culturels, les espaces publics se réinventent aujourd’hui, aux quatre coins du monde, grâce à la puissance ubiquitaire du numérique.
Les nouvelles technologies représentent un puissant levier de transformation puisqu'ils permettent de créer de nouveaux services urbains : mise en valeur du patrimoine, développement d'activités culturelles, festives ou de quartier etc.

Un peu partout dans le monde, à l'heure actuelle, une prise de conscience s'opère. Les villes, qui concentrent de plus en plus de monde - une tendance qui ne va faire que s'accentuer dans les années à venir - doivent être repensées et réaménagées pour demeurer des lieux où avant tout il fait bon vivre. Dans ce contexte, les espaces publics sont réinvestis comme des espaces stratégiques, grâce auxquels le visage d'une ville peut être profondément transformé.

Les espaces publics sont en effet - je le dis souvent - des lieux de brassage, de rencontres, d'échanges et à ce titre, ils participent à la cohésion sociale de la ville. Ils sont aussi porteurs d'enjeux majeurs de santé publique : à l'heure du réchauffement climatique et de l'augmentation de la pollution de l'air urbain, il est crucial de mieux intégrer des espaces piétons et cyclables, des zones vertes et des plans d'eau au sein des villes. À l'approche de la COP21, c'est un défi et un enjeu majeur pour tous les acteurs de la ville du nord au sud et de l'est à l'ouest de notre planète majoritairement urbanisée.

L'épisode dramatique de la canicule à Paris lors de l'été 2003, notamment, a montré la nécessité de faire face aux îlots de chaleur urbains et de repenser la densité urbaine, son paysage, ses zones vertes, ses plans d'eau et sa bio diversité. Des initiatives radicales ont déjà été mises en œuvre dans certaines villes du monde : les voies rapides qui traversaient la ville en la défigurant, responsable d'une très forte pollution de l'air urbain, ont été remplacées par des espaces verts, des pistes cyclables et des espaces de loisirs accessibles à tous.

Quand le numérique se met au service de la vie en ville

Outre ces enjeux environnementaux, les acteurs de la ville doivent aujourd'hui s'adapter aux nouveaux usages et s'appuyer sur la puissance du numérique pour exploiter au maximum le potentiel des espaces publics ou encore améliorer leur gestion. Je pense, notamment, au mobilier urbain qui peut être rendu « intelligent » en étant investi de nouvelles fonctionnalités, comme c'est le cas pour les abribus par exemple, qui fournissent aux utilisateurs des informations sur le trafic mais aussi des nouveaux services pour participer au tissage du lien social. Les nouvelles technologies représentent un puissant levier de transformation puisqu'ils permettent de créer de nouveaux services urbains : mise en valeur du patrimoine, développement d'activités culturelles, festives ou de quartier etc.

La géolocalisation, à l'heure de l'économie collaborative, constitue également un « terreau » exceptionnel de transformation des espaces publics urbains. Avec la technologie ubiquitaire, c'est-à-dire le fait pour les habitants d'être connectés 24h/24 en mode mobile, le rapport à l'espace qui nous entoure, ainsi que les pratiques cartographiques, ont profondément changé.

De simples repères imprimés nous permettant de nous guider et de nous localiser lors d'un parcours, les cartographies sont devenues, non plus des outils mais des lieux d'hybridation majeurs constituant de vrais espaces de vie, de construction collaborative, d'émergence de savoirs partagés. Ils incarnent ainsi la face émergée de l'iceberg de ce nouveau monde du XXIème siècle, dans lequel le numérique, présent partout de manière diffuse, façonne nos vies différemment - tandis que les usages sociaux engendrent de forts bouleversements dans nos comportements.

Les navigateurs de toutes sortes et les systèmes d'information géographique ne sont plus de simples repères géométriques et vectoriels ni des couches de représentations iconisées, porteuses de coordonnées dans un format donné. Les ontologies, la connaissance, le savoir et son émergence collaborative constituent selon moi le point de rupture avec le paradigme territorial géométrique qui, peu à peu, s'efface devant nous.

C'est finalement la capacité à s'abstraire du territoire pour l'amener au plan de la connaissance qui transforme radicalement nos perceptions aujourd'hui, incarnées dans ce que nous appelons des cartographies collaboratives : wiki territoires, wiki walks, mapping-parties ou tout autre forme de savoirs partagés. Chacun crée ainsi, en se l'appropriant, son propre Urban Maps, avec ses propres repères d'usages qui se présentent dynamiquement en fonction de ses évolutions socio-temporelles. Voyez poussé à l'extrême en usage le brevet que Amazon a déposé en janvier 2014 pour faire de la prédiction des commandes de consommation, issue de l'inférence algorithmique, afin d'anticiper la livraison sur un périmètre géographique ! Au siècle de l'ubiquité, plus que jamais, il est donc indispensable d'œuvrer à la convergence entre les territoires, les usages et les technologies dans une démarche d'inclusion sociale et citoyenne.

L'urbanisme tactique et réinventer les rues

Parmi différentes villes dans le monde, l'urbanisme tactique ou acupuncture urbaine se déploie comme une manière d'associer des initiatives citoyennes aux transformations des espaces publics dont par exemple les rues.  Cette approche de « hacker » les rues permet de construire à ciel ouvert des initiatives pionnières de transformation des usages des espaces publics à l'heure où par exemple la place des voitures dans les villes est reconsidérée en profondeur dans de nombreuses villes Madrid, Tokyo, Paris, par exemple. Le site The Better Block compile et présente nombreuses initiatives à travers le monde d'urbanisme tactique.

Quelques exemples

Plusieurs villes à travers le monde se sont déjà emparées de cette approche, ce qui leur a permis de devenir, via une identification entre les citoyens et leur ville, des lieux plus ouverts et plus vivants. Je citerai notamment Montréal, Medellin et Sidney que j'ai déjà étudiées dans ces colonnes, mais aussi Paris, Nantes, Bordeaux, Détroit, Philadelphie, Amsterdam, Kyoto, Cap Town...

Le site Project for Public Spaces porte également cette vision d'une réappropriation par les habitants des espaces publics de leur ville. Le concept ? Repenser les rues, en en faisant non plus des lieux de transit mais des espaces publics, dans lesquels s'enracine l'esprit des communautés (Streets as Places). Le site répertorie des exemples de bonnes pratiques à travers le monde : à Saragosse, en Espagne, par exemple, le projet expérimental « estonoesunsolar » a permis de reconvertir des espaces urbains vides ou inutilisés en espaces publics attractifs pour les habitants. Plus de 60 associations de quartier se sont déjà mobilisées, permettant à 33 sites de renaître à la vie, soit une superficie de plus de 42 000 m2. Autre exemple : le Campus Martius Park de Détroit devenu au cours de la dernière décennie, l'un des espaces publics les plus dynamiques des Etats-Unis. Toute l'année, ces espaces verts au cœur de la ville réunissent les habitants des quartiers voisins pour des activités variés (yoga, patinoire, cours de danse etc). Le parc a d'ailleurs considérablement contribué à la revitalisation économique des blocks environnants.

Autant d'initiatives encourageantes et stimulantes qui doivent servir de point de repère à la communauté mondiale des acteurs de la ville, mais aussi aux citoyens eux-mêmes, et qui s'investissent pour changer le visage de leur ville !

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Commentaires 2
à écrit le 03/06/2015 à 22:27
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Réinventer alors que l'on est désenchanté... Cela semble tellement loin des préoccupations de tant de gens, jeunes ou vieux, qui rament avec leurs soucis quotidiens sans lever le nez quand l'horizon est autant bouché...

le 18/06/2015 à 16:10
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Peut-être que lorsqu'on rame, on peut jeter un œil autour de soi et s'efforcer de trouver des gens prêts à s'entraider pour faire quelque chose ensemble. Passer tous les jours dans un endroit tristounet en se disant qu'un peu de verdure plutôt qu'un...

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