Espaces urbains, territoires et numérique : vers l’émergence de villes-monde

La smart city n'est pas apparue avec les nouvelles technologies, contrairement à ce que l'on pourrait penser. Dès l'Antiquité, les grecs avaient déjà théorisé les liens étroits et complexes qu'entretiennent les villes et leurs territoires...
La Victoire de Samothrace représente la déesse grecque de la victoire, Nikè.

Vendredi 3 juillet dernier se tenait au Carroussel du Louvre, à Paris, l'édition 2015 de la Conférence Unexpected Sources of Inspiration, qui est la conférence de référence, en Europe, sur le thème de la transformation digitale de nos sociétés. J'y ai donné un keynote intitulé « De la ville numérique à la ville vivante » devant une salle comble, après avoir eu la grande joie de visiter, la veille, les galeries du Louvre, spécialement ouvertes aux intervenants de la conférence. C'est avec une émotion intacte que j'ai pu revoir les chefs d'œuvre de ce musée unique au monde et j'ai été, tout particulièrement, très frappé par la Victoire de Samothrace, dont la contemplation a fait écho pour moi à bien des problématiques de notre monde actuel.

Notre héritage grec

La Victoire de Samothrace représente la déesse grecque de la victoire, Nikè. Parce qu'ils plaçaient l'homme au centre de leurs préoccupations, les Grecs donnaient en effet à leurs divinités une forme humaine. Ce souci de l'existence humaine, ici et maintenant, plutôt que d'un au-delà fantasmagorique, a enfanté les prémices de tout notre savoir scientifique et philosophique occidental. Alors que la Grèce remet aujourd'hui en cause sa participation au projet européen, alors que l'Europe vacille et doute d'elle-même, contempler la Victoire de Samothrace nous rappelle l'importance de notre héritage grec, et du même coup l'intimité du lien qui nous attache au peuple de Grèce.

Contempler cette statue nous rappelle également que les villes n'ont, bien évidemment, pas attendu le XXIème siècle pour être intelligentes. Mais elles doivent aujourd'hui faire face à une situation tout à fait nouvelle : la rencontre entre une urbanisation croissante et dominante sur tous les territoires du globe d'un côté et la révolution ubiquitaire de l'autre. Là aussi, nous avons beaucoup à apprendre de la conception grecque du monde : la déesse de la victoire, Nikè, a pour sœurs Cratos, la puissance, Bia, la force et Zélos, l'ardeur. Car les Grecs n'ignoraient rien de l'importance des passions humaines, même s'ils ont été les premiers à dévoiler la lumière éclatante de la Raison en élaborant les bases de la logique, des mathématiques, de la philosophie. Les quatre déesses incarnent ainsi l'essence de l'intelligence émotionnelle, relationnelle et systémique qu'il nous est aujourd'hui nécessaire de retrouver si nous voulons relever le défi de la vie urbaine. La technologie, avatar moderne de la toute-puissante raison, n'enfantera pas à elle seule de villes où il fera bon vivre. Nous avons besoin de mobiliser notre intelligence émotionnelle en prenant en compte l'altérité dans et par le regard de l'autre.

Lieux, territoires, écoumènes

Il est également bon de rappeler, à l'heure où il nous faut réinventer nos espaces de vie urbains, la distinction que faisaient les Grecs entre le « topos », le lieu physique et géographique que répertorie la cartographie, et la « khôra », lieu dans lequel s'inscrit notre existence. Car on sacrifie trop souvent aujourd'hui, alors que le numérique nous permet d'enrichir considérablement notre connaissance topographique par la collecte de data, le second au profit du premier. Le lieu où l'on habite, où l'on est né, où l'on a grandi, vécu ou vieilli est pourtant chargé, pour chacun d'entre nous, de significations qui ne sont en rien réductibles à un ensemble de données physiques. D'où la nécessité de faire converger les deux significations du mot et d'envisager l'espace urbain comme un lieu à la fois physique, numérique, économique, social, culturel et affectif.

La notion d'écoumène, notion développée par Eratosthène au III Siècle AV J_C, mise en avant par le géographe Augustin Berque, qui désigne dans l'environnement celui qui est habité et investi par l'homme, me paraît ainsi tout à fait adaptée pour parler de nos espaces urbains. Si, aujourd'hui, l'écoumène tend à se démultiplier à l'infini pour chacun d'entre nous, les espaces numériques venant se superposer aux territoires physiques par le biais des technologies mobiles, l'essentiel reste, au fond, le lieu d'existence, celui dans lequel nous bâtissons un quotidien, nous tissons des liens, nous partageons des expériences. Reprenant l'expression fameuse d'Augustin Berque « entre moi et moi la terre » qui souligne le rapport intime que nous créons avec l'espace physique qui nous entoure, je dirais à mon tour, en ces temps d'urbanisation croissante, « entre moi et moi la ville » - car notre qualité de vie future dépend bel et bien de ce que nous allons faire, dans les années à venir, de nos territoires urbains. Je suis pour ma part persuadé que pour bien vivre dans nos villes, il faut avant tout que nous nous y sentions enracinés.

The Camp, un bel exemple de ville-monde enracinée dans son territoire

Le projet de campus innovant dédié à la ville de demain The Camp, qui sera situé sur le technopôle de l'environnement Arbois Méditerranée, à Aix-en-Provence, incarne fort bien cette conception. Porté par l'entrepreneur à succès, passionné et passsionant Frédéric Chevalier, il repose tout d'abord sur la conviction que la création de valeur passe désormais par une organisation écosystémique. Plutôt que des subventions, Frédéric Chevalier a recherché des partenariats pour faire aboutir son projet, qui associe aujourd'hui les mondes institutionnel, privé, scientifique et académique.

The Camp est en outre un projet résolument inscrit dans son territoire. Situé au pied de la montagne Sainte Victoire, porteuse d'un héritage culturel et d'un imaginaire forts, The Camp revendique son identité régionale - l'arrière-pays provençal, tout en confirmant la place de leader de la ville d'Aix sur le plan académique, puisque l'Université d'Aix-Marseille est la plus grande université européenne.

Cette inscription socio-territoriale marquée s'accompagne néanmoins, et c'est la raison pour laquelle je m'associe avec enthousiasme à ce projet, d'une volonté forte d'ouverture sur le monde, de brassage, de mixité, puisque The Camp compte attirer les meilleurs talents du monde entier et rayonner sur la scène internationale. Ce projet a donc lui-même été conçu sur le modèle de la ville de demain que j'appelle de mes vœux : une ville-monde, au sens d'une ville totalement ouverte sur le monde dans toute sa diversité et son altérité, grâce à la puissance du numérique ubiquitaire, qui tire néanmoins sa force et son identité de son enracinement profond dans un territoire donné.

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Commentaires 6
à écrit le 02/03/2016 à 18:28
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Le génie humain remonte à la nuit des temps, la Grèce antique n'en étant qu'une expression temporelle. Plus on s'éloigne du présent, plus les preuves sont difficiles à trouver. Combien par exemple de gens peuvent citer les noms, lieux et dates de nai...

à écrit le 08/10/2015 à 22:40
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J'ai du mal à comprendre comment un visionnaire de votre calibre peut se résoudre à ne jamais publier de commentaire qu'il trouve dérangeant. En rythme avec le smart-city et al sans doute...

à écrit le 08/10/2015 à 3:09
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En plein délire constructiviste. Vous croyez qu'il suffit de commettre 30 articles sur le sujet, puis de faire voter quelques lois pour que les "gens" s'accommodent de ce que vous voulez imposer? Vous vivez dans quel monde? Celui que permet la spol...

le 28/10/2015 à 4:33
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Les projet de M. Moreno sont, sans aucun doute, remarquables et cousus de « bonnes intentions ». Mais, même s’il le souligne dans son texte, il néglige dans sa faisabilité une composante majeure qui est et restera le facteur humain. Si la ville, en f...

à écrit le 07/10/2015 à 2:40
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En plein délire constructiviste. Vous croyez qu'il suffit de commettre 30 articles sur le sujet, puis de faire voter quelques lois pour que les "gens" s'accommodent de ce que vous voulez imposer? Vous vivez dans quel monde? Celui que permet la spol...

à écrit le 08/08/2015 à 4:02
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La ville du futur c'est une ville sans SDF sans chomeurs sans violence sans pollution. Votre technologie n'est que de l'enfummage, un moyen de detourner notre attention des vrais problèmes ( et de remplir les poches des banquiers)

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