Espaces publics, numérique et sécurité : mythes et réalités

A l'occasion du Forum de Tel Aviv, du 11 mai "Safe & Smart Cities", auquel le Pr Carlos Moreno participe, nous partageons ses réflexions sur un domaine qui suscite beaucoup de débats.
Un rapport de 2013 du Collège de Police britannique expliquait que l'effet des caméras était léger mais statistiquement significatif sur les vols de véhicules par exemple. En revanche, il soulignait que les caméras n'avaient pas d'impact sur la récurrence des crimes violents. Le débat reste très polémique.

À l'heure où notre monde se transforme en profondeur sous l'effet de grandes mutations technologiques, économiques, sociétales, environnementales et politiques, les espaces urbains cristallisent les enjeux de notre développement futur. Parmi ceux-ci, la question de la sécurité, devenue une préoccupation majeure, compte tenu de la fragilité socio-territoriale de nos villes et mise au premier plan depuis une décennie avec la recrudescence, dans le monde entier, d'actes terroristes perpétrés au sein même des villes.

La technologie ubiquitaire, avec les objets connectés, la géo-localisation, le big data et les plateformes du XXIe siècle, nous offre des outils qui peuvent être, dans le cadre d'une politique sécuritaire, déployés, utilisés et mis en valeur dans des contextes urbains complexes. En particulier, les débats sur leur usage et acceptabilité sont plus forts quand les citoyens sont soumis, avec les nouvelles menaces des individus radicalisés à outrance, à des situations inédites et fortement anxiogènes.

Quel regard porter sur ces dispositifs ? Comment penser l'articulation entre ville, sécurité et technologie en ces temps troublés ? Quel avenir, au moment où des débats sur la portée des outils numérique et le respect des droits individuels sont de toute actualité ?

Du mythe à la réalité : quelques faits

Qu'elle ait pour nom vidéo-sécurité, vidéo-surveillance, vidéo-tranquillité, vidéo-protection, le recours à la haute technologie dans le cadre d'une politique urbaine pour les espaces publics n'est bien souvent que la partie visible de l'iceberg sécuritaire.

Pour rappel, la vidéo surveillance fut massivement introduite en milieu urbain pour la première fois à Londres à l'époque des attaques de l'IRA dans les années 1980. Les dispositifs de vidéo surveillance se sont ensuite multiplié et ont essaimé dans tout le pays, en particulier à partir des années 1990. On compterait aujourd'hui environ 500.000 caméras à Londres et plus de 4 millions dans tout le Royaume-Uni.

Qu'en est-il de la France ? Au 30 décembre 2012, d'après la liste officielle publiée par le ministère de l'Intérieur, 1.944 villes françaises étaient équipées de caméras de surveillance de la voie publique, soit seulement 5,3% des communes, DOM-TOM compris. Selon le chiffre officiel dont nous disposons aujourd'hui (daté de 2010) : il y aurait 38.000 caméras de vidéo-surveillance implantées sur l'ensemble du territoire.

Le plein de caméras à Nice, Nîmes et Antibes, aucune à Nantes et Lille

Autre fait intéressant, depuis peu, le nombre de zones rurales et périurbaines équipées est supérieur au nombre de zones urbaines équipées. Enfin, le maillage du territoire est inégal : les zones très peuplées sont bien plus équipées, notamment la banlieue parisienne, les contours du littoral atlantique ou encore les riches et/ou touristiques communes méditerranéennes: Nice, Nîmes et Antibes figurent ainsi dans le Top 10 des grandes villes de France les plus équipées en caméras.

Les départements du Nord-Pas-de-Calais et une large zone frontalière avec l'Allemagne autour des villes de Metz et Nancy constituent également un pôle de concentration. Les stations de ski, elles aussi, investissent pour rassurer leur clientèle : Châtel, Megève, Saint-Gervais etc.

Lancé autour du plan national d'équipement en 2007, la vidéosurveillance de voie publique a d'abord été l'apanage des municipalités gérées par la droite. Mais par la suite, les élus locaux de gauche se sont petit à petit approprié ces dispositifs, positionnés comme un indicateur se voulant rassurant vis-à-vis des populations, sous le nom de « vidéo tranquillité », parfois. Tant et si bien que les récents plans d'extension de la vidéosurveillance ont majoritairement concerné des villes de gauche.

Parmi les sept grandes villes de France qui ont fortement augmenté leur parc de caméras depuis 2011, quatre sont ainsi de gauche, contre trois de droite. On citera bien sûr le cas de Paris, dont le vaste plan de vidéo protection (PPVP) s'est achevé en 2012. Il faut cependant souligner que les quelques réticences politiques qui subsistent ici et là concernent des villes de gauche, Nantes et Lille ne sont toujours pas équipées ou à Grenoble, où il a été question de démonter les 18 caméras de la ville.

La vidéosurveillance, efficace ou pas efficace ? L'éternel débat...

Les débats idéologiques sur la question de la vidéosurveillance achoppent tous, tôt ou tard, sur la question de son efficacité et les rapports avec l'investissement et la menace sur nos libertés individuelles. Sujet délicat qui reste difficile à clarifier de manière objective. Une enquête retentissante est d'ailleurs parue à la mi-janvier sur le site web de la BBC, remettant en cause la position tenue par les différents gouvernements britanniques sur ce sujet depuis des décennies.

L'enquête s'appuie notamment sur un rapport indépendant commandé par le commissaire de police de Dyfed Powys, qui couvre la plus grande zone de police en Angleterre et au Pays de Galles, selon lequel la suppression des caméras dans cette zone n'a pas entraîné de hausse de la criminalité ou des comportements antisociaux.

Un autre rapport de 2013 du Collège de Police britannique expliquait, quant à lui, que l'effet des caméras était léger mais statistiquement significatif sur les vols de véhicules par exemple. En revanche, il soulignait que les caméras n'avaient pas d'impact sur la récurrence des crimes violents. À l'inverse, on ne peut nier l'efficacité de ces dispositifs dans la résolution d'affaires récentes comme les attentats de Boston, ceux de Londres en 2005, ou encore l'impact en terme d'intelligence émotionnelle citoyenne, un critère subjectif certes mais important, comme on l'a vu concernant ceux de Charlie Hebdo, en janvier 2015 à Paris.

Un autre regard sur la sécurité urbaine

Au-delà du débat partisan entre pro et anti-vidéosurveillance, il faut me semble-t-il rappeler qu'à l'heure de la montée en puissance des attaques terroristes irrationnelles, il est important de rassurer les citoyens. A l'heure où la typologie des menaces change dans des villes en Occident soumises à des attaques violentes et aveugles, sous certains aspects la vidéosurveillance peut participer à ce rôle : les images en boucle des caméras dans les heures et jours qui ont suivi les attentats de Boston ont eu un effet apaisant sur la population traumatisée avec aussi un changement du regard dans la manière dont les habitants perçoivent la sécurité dans la ville.

Ainsi, à la suite des attentats de Charlie Hebdo, le regard des citoyens sur les forces de l'ordre et sur le maintien de la sécurité qu'elles incarnent a profondément changé. De la méfiance, on est passé à une vraie reconnaissance : la sécurité, en France, dans l'espace public peut être désormais expliquée non pas comme une limitation à la liberté des citoyens, mais bien comme un élément complémentaire dans la qualité du partage et le respect de la vie dans l'espace urbain.

Mais dans la réalité, le constat que je fais dans le parcours des villes au travers du monde, concerne davantage l'importance de renforcer les sentiments d'appartenance et d'identité du citoyen avec son territoire, comme élément clé de toute démarche qui chercherait ensuite sous l'angle sécuritaire à rassurer et mobiliser la population urbaine.

Ceci n'est néanmoins possible qu'à la condition, je pense, que la politique sécuritaire ne soit pas envisagée comme un ensemble de moyens de contrôler les déplacements des citoyens au sein de la ville, mais de façon globale comme la gestion de toutes les situations susceptibles de renforcer la lutte contre la fragilité et la vulnérabilité socio-territoriale de la ville.

Une démarche ouverte

Au-delà des moyens technologiques liés à la surveillance ou à la répression, il faut envisager la sécurité en la reliant à des problématiques économiques, culturelles, d'éducation, de vie citoyenne. Je citerai pour finir de nouveau le cas de Medellin, ville dont le taux de criminalité était, il y a quelques décennies, parmi les plus élevés au monde, qui a su, grâce à une politique de long terme, combinant certes la répression de la délinquance, mais avant tout et dans le long terme, des actions visant l'intégration sociale, économique et culturelle des habitants, pour transformer la ville et le regard que ses habitants portent sur elle. A contrario, malgré ses quelques 20.000 caméras déployées à travers la ville, Mexico n'est toujours pas parvenue à enrayer la violence et la précarité qui règnent dans ses quartiers.

A l'instar de Medellin, la sécurité doit donc, je le crois, être conçue comme une démarche ouverte, dans laquelle l'inclusion sociale et la question de l'identité urbaine président à la démarche mettant en place les moyens de protection du citoyen adaptés.

Nous devons aller au-delà du réflexe de la sécurité et son intelligence technologique pour rester vigilants et créatifs autour de l'intelligence de la sécurité, qui, traitée sous l'angle de la fragilité et la vulnérabilité socio-territoriale, offre d'autres horizons urbains.

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Commentaire 1
à écrit le 06/05/2015 à 22:01
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Je suis désolé, mais au delà de l'indigestion de votre premier paragraphe, je n'ai pas eu le courage de continuer. Cela dit, je note que la langue de bois et le constructivisme bon crin sont à l'honneur. Deux exemples pour dire: vous parlez sécurité ...

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