L'Amérique latine à l'heure des réseaux de villes

Au Smart City World Expo Congress qui vient de s'achever à Puebla, au Mexique, le monde de l'urbanisme se réunissait pour traiter de l'irruption des réseaux de villes, des gigantesques défis qui les attendent, mais aussi des solutions comme celle de l'urbanisme tactique, ou "acupuncture urbaine". Par le professeur Carlos Moreno.
Lutter contre la pauvreté, la violence, les inégalités sont au cœur de l'action politique et citoyenne dans les villes. Développer des villes inclusives, durables et équitables, est une priorité. (Photo: Mexico, vue aérienne nocturne, avec la façade du palais présidentiel animée d'un spectacle son et lumière pour la fête de l'Indépendance, le 20 septembre 2009)

L'Amérique latine est un des territoires les plus urbanisés au monde. Elle compte un taux d'urbanisation de 75% et, selon les estimations des Nations Unies, d'ici à 2030, le taux d'urbanisation atteindra 84%.

Le basculement vers une vie urbaine au détriment de la ruralité, l'augmentation considérable du nombre des villes et leur croissance dans tout le sous-continent a donné lieu à une transformation majeure. Plus qu'un continent composé de pays, c'est un vrai continent constitué de villes qui est en train de naître.

Signe de ces temps urbains, c'est aussi l'une des constatations issues du Smart City World Expo Congress, l'événement qui vient d'avoir lieu à Puebla, au Mexique. Un rendez-vous qui a dépassé tous les pronostics en terme d'affluence et de participation. Tout l'écosystème international de l'urbanisme était présent, avec une très forte présence des élus et des acteurs des villes de toute l'Amérique Latine et au-delà.

Nouvelle hiérarchie

Les liens entre les villes dans le continent sont aussi en pleine mutation. Organisés autrefois par la hiérarchie existante entre les villes, correspondant à l'importance politique des capitales et à leur poids démographique, une autre construction du continent urbain est en marche, celle du réseau des villes. Dépassant les frontières nationales, les villes de  l'Amérique Latine tissent des liens entre elles avec dynamiques et éco systèmes propres. Une stratégie de marketing territorial et de partage de politiques locales a vu le jour. Medellin, Bogotá, Buenos Aires, Santiago du Chili, Rio, Sao Paulo, Lima, La Paz mais aussi d'autres villes comme Monterrey, Cali, Puebla, Guadalajarra, Santa Fé, Valparaiso... pour ne donner que quelques exemples, d'une liste devenue longue.

Il en ressort de manière claire, comme au XXIe siècle, en Amérique Latine la gestion urbaine, la projection de ses territoires dans une approche de consolidation métropolitaine, l'efficacité de services aux citoyens face aux demandes conséquentes en terme d'emploi, sécurité, transport, éducation, culture, santé, logement, environnement, sont aujourd'hui les défis majeurs. Lutter contre la pauvreté, la violence, les inégalités sont au cœur de l'action politique et citoyenne dans les villes. Développer des villes inclusives, durables et équitables, est une priorité. Accorder une  large place aux femmes, et développer une culture de la reconnaissance de leur libre choix, sont aussi des enjeux majeurs devenus urbains.

Pression migratoire rurale en recul

Depuis quelques années, le processus d'expansion des villes par la pression migratoire rurale a ralenti. Aujourd'hui, un nouveau paradigme est venu se substituer à celui de la ville en expansion à marches forcées ; celui de la ville en consolidation, la ville construite, qui, maintenant, doit s'ouvrir dans une perspective métropolitaine, échelle devenue indispensable pour réfléchir et agir avec efficacité.

La pauvreté urbaine est devenue un élément constitutif de cette croissance des villes : 80% des pauvres de l'Amérique Latine vivent maintenant dans les villes. La pauvreté va de pair avec l'exclusion sociale et constitue le terrain propice au développement de la violence sous toutes ses formes. Les habitants des quartiers populaires qui ne sont pas intégrés à la vie économique de la ville se retrouvent  victimes d'une double exclusion sociale et spatiale.

En même temps, il existe un phénomène qui doit être aussi analysé dans ces temps de villes globales, de villes monde, celui de l'internationalisation des villes et de leur projection cosmopolite. Les deuxièmes et troisièmes villes de certains pays de l'Amérique Latine se trouvent en dehors de leur territoire : 20% de mexicains et 25% de cubains vivent aux USA faisant de Los Angeles la quatrième ville du Mexique et de Miami la deuxième de Cuba. New York est la deuxième ville du Salvador et Buenos Aires est la troisième ville de la Bolivie. De nouveaux réseaux inter-urbains ont été ainsi créés avec cette composante plurinationale. Au niveau économique les devises apportées par ces migrations urbaines internationales sont considérables. Au Mexique, c'est la troisième source, en Equateur la deuxième et au Salvador la première. Au Brésil, c'est l'équivalent de revenus des exportations du café, etc. Ces urbains internationaux créent également une dynamique avec leurs lieux d'origine. Ils privilégient le développement des liens avec leurs villes plus que leur rapport au pays.

Émergence d'une classe moyenne urbaine

Malgré la pauvreté, la croissance économique de l'Amérique Latine, les développements technologiques, le retour de la démocratie, la lutte contre l'analphabétisme, la qualité de l'éducation, l'accès à la culture, l'industrialisation, la consolidation d'une présence sur la scène internationale en tant qu'acteur avec des puissances régionales, tous ces facteurs  sont allés de pair avec l'émergence d'une classe moyenne urbaine, présente dans le continent.

De nouvelles pressions, d'origine citadines, s'expriment face aux gouvernances : non seulement disposer de services de base mais exiger de la qualité : plus de sécurité, moins de pollution, de la transparence dans la gestion publique et des mesures concrètes face au fléau qui traverse les villes de l'Amérique Latine, les difficultés structurelles pour offrir un transport à la hauteur du développement socio territorial des urbains. « Le transport et l'accès à la ville sont une question clé pour les Sud-Américains . Les urbains ont énormément de mal à se déplacer. Or les villes sont grandes, et si vous ne pouvez pas vous transporter, vous ne pouvez pas travailler, étudier, vous soigner » signale Ricardo Montezuma, directeur de la Fondation Ciudad Humana, qui a gagné le prix « Talents du Vélo » organisé dans le cadre de la COP21 à Paris, par Le Club des Villes et Territoires Cyclables.

Poids politique accru des acteurs de proximité, région, métropole, ville

Face à ses demandes, de nouvelles frontières politiques et de gestion territoriale sont nées. L'incapacité de l'Etat à faire face, la faiblesse des institutions politiques centralisées, la perte de confiance des citoyens envers les politiques d'Etat, des choix stratégiques concernant les investissements ignorant  souvent la problématique de la vie de proximité, et l'incapacité à offrir des espaces de vie au quotidien de qualité, ont donné lieu à l'émergence d'un poids politique accru des acteurs de proximité, région, métropole, ville.

La vie politique nationale s'est grandement déconnectée de la vie politique locale. Une nouvelle génération d'hommes et des femmes politiques, hors des partis traditionnels,  se fait jour, issue de leur engagement local. Ils / elles ont apporté, une dynamique d'écoute, de compréhension des vrais problèmes avec la construction d'éco systèmes locaux pour construire des solutions concrètes.

L'urbanisme tactique, comme une acupuncture urbaine

A la place des discours politiques traditionnels concernant les clivages hérités du XXe siècle, cette nouvelle génération de politiques, issues très souvent de la société civile, s'implique, pour proposer des alternatives dans la manière de gérer la vue urbaine et de créer et développer les liens de confiances avec les citoyens. L'omni présence de nouvelles technologies et leur massification, offre des espaces nouveaux, permettant une proximité et un dialogue dans la proximité.

Le cas de Medellin a été largement étudié par la communauté internationale. Ville exemplaire en terme d'innovation sociale, elle a su développer l'urbanisme socialement innovateur, permettant de transformer le visage de la ville et d'opérer une renaissance après avoir été livrée à la mafia et à la délinquance pendant des années, voire des décennies.

Ce n'est pas par hasard que dans une ville moyenne à Curitiba, au Brésil, est né l'urbanisme tactique, déployé à grande échelle. Cette acupuncture urbaine a permis de modifier en profondeur, la ville par des transformations opérées sur des endroits clés et menées avec une très forte implication citoyenne.

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