#NuitDebout : luttes de Places et néo-multitudes

Depuis le 31 mars, à Paris, la place de la République est l'épicentre du mouvement #NuitDebout. Avec sa datation particulière au 48 mars, soit trois semaines après, nous constatons sa continuité.
«Des assemblées se forment où les gens discutent et échangent. Chacun se réapproprie la parole et l'espace public."

Entre « Nous ne rentrerons pas chez nous », « Le grand printemps qui se lève », «Je reviendrai et je serai des millions », l'appel pour venir occuper l'espace public à la Place de la République, est entendu chaque soir, surtout par des jeunes, mais aussi de moins jeunes. Ils viennent par milliers participer à ce mouvement protéiforme, qui s'exprime dans l'espace urbain,  sans leader ni représentation officielle, au travers d'une prise de parole codifiée par des règles de participation égalitaires de nature assembléiste. L'existence de « commissions » cadence une démarche qui se veut participative et ouverte dans l'expression et la construction de propositions issues de leurs réflexions.

«Des assemblées se forment où les gens discutent et échangent. Chacun se réapproprie la parole et l'espace public. Ni entendues ni représentées, des personnes de tous horizons reprennent possession de la réflexion sur l'avenir de notre monde. La politique n'est pas une affaire de professionnels, c'est l'affaire de tous. L'humain devrait être au cœur des préoccupations de nos dirigeants. Les intérêts particuliers ont pris le pas sur l'intérêt général », affichent- ils.

De Varoufakis, bien accueilli, à Finkielkraut, expulsé

Mais il y a du travail à faire pour l'ouverture : la présence fortement médiatisée de l'ex-ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, le samedi #47 mars, soit le 16 avril, a l'Assemblée générale à Paris, - point d'orgue de discussions quotidiennes -, a eu lieu, certes, avec le même  temps d'expression que celui de chaque intervenant, 5 minutes, mais elle contraste tristement  avec l'expulsion de la Place d'Alain Finkielkraut, quand, venu en observateur, il a été malmené et insulté par certains dans  un manquement criant aux valeurs de respect et de démocratie. Ceci donne à réfléchir d'autant plus que la journée du dimanche #48Mars (17 avril) est consacrée « Au village de Demain » avec comme thématique « Agir aujourd'hui pour demain » autour du film "Demain", avec des commissions sur des sujets tels que l'économie, l'écologie, la démocratie, l'éducation, le logement, le numérique.

Soumis à la pression de ces débordements sectaires, et aussi de la violence, de la casse, des barricades et affrontements,  que le mouvement désapprouve, se voulant non - violent,  il reste la réalité de devoir les contenir. En même temps, s'agissant d'un espace public de la ville, par définition accessible à tous,  #NuitDebout est confronté également au besoin de laisser sa libre utilisation par les riverains, les passants et toute autre forme d'utilisation et expression de la vie urbaine, différente de la sienne.

Décentralisé et se voulant international également, des #NuitDebout, avec la même démarche, ont émergé dans beaucoup de villes en France et certaines tentatives ont eu lieu à l'étranger, en Europe.

De l'anathème à la dithyrambe

Beaucoup d'analyses ont lieu depuis le 31 mars, allant des anathèmes et regards insultants, dédaigneux, méprisants jusqu'au l'exaltation dithyrambique le portant aux nues comme l'espoir de l'étincelle d'un tant attendu grand soir de révolte.

Néo Soixante-huitards, The Occupy  Movement, Los Indignados, Anarco-Gauchistes, Des Zadistes (Zones à Défendre) urbains, de qui #NuitDebout est-elle la filiation, fuse souvent comme question ?

Retour en arrière, il y a trois ans exactement, dans la nuit du 15 avril 2013, suite à la garde à vue de 70 personnes de la "Manif pour Tous" s'opposant (y compris avec de débordements violents) au projet de Loi du Mariage Homosexuel, le mouvement dit des « Veilleurs » naissait. Il était constitué par des rassemblements silencieux et immobiles dans l'espace public pour  « trouver un autre moyen de se faire entendre », se décrivant comme non-violent et « déterminés à ne pas limiter leur opposition à la seule loi sur le mariage homosexuel,..., pour compter dans le débat public sur toutes les questions d'éthique et les enjeux de société ». Se présentant comme « apolitique »  et « aconfessionnel » bien que à prédominance catholique et soutenu par les forces politiques opposés durement à la Loi Taubira, il a voulu utiliser aussi l'occupation de l'espace urbain par la non - violence et l'écoute  à la bougie de textes, souvent religieux, pour manifester.

Quoi de neuf donc ?

 Si nous arrivons à faire la part de choses, des événements malheureux provoqués par les sectaires, des violences de « casseurs », les lamentables dégradations par des ersatz d'amateurs de potagers ; à nous extraire aussi du fait médiatique du moment, du comptage et ratios de quantités de présents / nombre d'habitants qui nourrit les polémiques sur les « adhésions massives »  ou « l'agissement de minorités », du débat sur l' « Etincelle du grand soir », et autres discussions, qui passent à côté de l'essentiel, le fait nouveau de ces manifestations urbaines est la vision qu'elles portent de l'espace public, comme lieu de rencontre, d'échange, de débat, de discussion. Car #NuitDebout a l'originalité d'être en même temps un mouvement qui est sur place, sur la Place, sur des places, et qui est présent de manière ubiquitaire par l'instantanéité de réseaux sociaux en temps réel multimédia. Et ceci change indéniablement sa portée, que l'on partage ou pas, leurs convictions.

Quand les Los Indignados ont occupé la Puerta del Sol à Madrid, du printemps jusqu'au l'automne 2011, il y avait les slogans aussi « Yes We Camp », « Democracia Real Ya », « Que se Vayant Todos » et ils furent chaque nuit, d'abord des milliers et ensuite des dizaines de milliers et plus encore, tous les jours. Cette galaxie hétéroclite rassemblant  jeunes, chômeurs, retraités, salariés, est devenue le socle du mouvement politique « Podemos », qui avec ses 4,6 millions d'électeurs et 20% en décembre 2015, fait encore trembler la classe politique traditionnelle espagnole de droite et de gauche, qui 4 mois après les récentes élections, n'arrive pas à former un gouvernement. Mais la comparaison s'arrête là...

#NuitDebut perdure mais ne grandit pas par incréments de milliers, ce ne sont pas des dizaines de milliers sur Place. La République ne tremble pas... mais... il nous interpelle tous, car le fait nouveau est dans la puissance d'expression de la convergence salutaire, entre la présence sur la Place retrouvée, en tant que Agora Forum, Zocalo, un constituant essentiel de la vie urbaine, lieu de brassage, de mixité, de rencontre, d'égalité, et l'ubiquité apportée par les réseaux sociaux multi média en temps réel.

Le temps où chaque spectateur peut s'exprimer en direct

Aujourd'hui avec Périscope et autres canaux numériques, chacun muni d'un smartphone est une chaîne de télé en temps réel, sans montage, sans distorsion, et ensuite chaque spectateur peut s'exprimer, même en direct. Le jeune Remy Busine, à 25 ans, devenu une star malgré lui car présent tous les soirs et diffusant avec son smartphone n'est pas un phénomène isolé. Le 4 avril, il a terminé avec un total cumulé de 385.000 vues de son direct ! C'est l'incarnation de cette convergence qui représente la force de ces #NuitDebout, que nous aurions tort de balayer du revers de la main juste en comptant les présents sur place ou le rapport de force physique avec les Autorités.

Dans un mouvement décentralisé et protéiforme, au XXIème siècle chacun est aussi une multitude... Et le rassemblement de la Place de la République à Paris et ailleurs, dans beaucoup de villes en France, devient alors un vaste rassemblement de multitude de multitudes, difficile à cerner et à contenir. Par les réseaux sociaux multi média en temps réel, chacun est présent ici et ailleurs, c'est l'essence même de l'ubiquité, c'est aussi l'originalité de la #NuitDebout. Cela ne peut pas être combattu en amassant des CRS et des forces d'intervention, car le présentiel allié au numérique, a dépassé déjà toutes les frontières de l'affrontement physique. Nous sommes en face, ici et maintenant, d'une nouvelle forme d'affrontement sociétal, culturel, de modes de vie et d'expression, naissante, qui prend aussi racine dans les nouvelles cultures urbaines qui convergent avec les cultures numériques face à un monde en crise. Ces deux cultures convergent, - plus vite que les luttes probablement, pour reprendre leur leitmotiv-, mais créent des nouveaux espaces d'expression. Réjouissons-nous que l'espace public puisse canaliser les expressions d'angoisse et de mises en question d'une société en crise, plutôt que de devoir les voir exploser tous azimuts dans les violences minoritaires, extrémismes individuels ou encore pire.

Que vous soyez pour ou contre #NuitDebout, ne cédez pas à la tentation du mépris, de la ridiculisation, de la banalisation, de la caricature ou de la récupération de cette multitude de multitudes, car cette néo multitude hybride, est et sera toujours plus forte, plus inventive, plus créative que chacun de nos jugements tranchés. Elle nous oblige à nous décaler dans la pensée, car  même quand les places ne seront plus occupées par #NuitDebout, elles le resteront quand même, parce que cette interpellation sur la politique, la démocratie, l'action, la vie citoyenne, dans un monde urbain en crise, est maintenant un fait irréversible, qui  a toute sa place tant que nos sociétés n'auront pas apporté une sérieuse réponse au mieux vivre ensemble urbain de tous et chacun.

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Commentaire 1
à écrit le 30/04/2016 à 17:49
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LES JEUNES DE NUIT DEBOUT SIL VEULENT SE FAIRE CONNAITRE DOIVENT FAIRE UN CAHIER DE REVENDICATION ? ET LE PUBLIE SUR LES RESEAUX SOCIAUX QUI EST UNE MAGNIFIQUE FACON DE SE STRUCTURE ET DE S AGRANDIRE? MAIS ILS N ECHAPPERONS PAS A ELIRES DES REPRENSE...

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