"La ville est faite de mixité générationnelle, sociale et des origines" J-J Eledjam, Croix-Rouge

[ CITIES FOR LIFE ] Surtout connue pour son action sur le terrain de l'urgence humanitaire, la Croix-Rouge répond aussi aux fragilités du quotidien dans les villes des pays développés. Le professeur Jean-Jacques Eledjam, président de la Croix-Rouge, explique à "La Tribune" le rôle qu'elle joue dans la ville résiliente et inclusive.
Jean-Jacques Eledjam, président de la Croix-Rouge.

LA TRIBUNE - Qu'est-ce qu'une ville résiliente de votre point de vue? Cela diffère-t-il dans les pays du Nord et ceux du Sud ?

JEAN-JACQUES ELEDJAM - La question de la résilience est au coeur des réflexions et stratégies du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Une ville résiliente est, de notre point de vue, une ville dont l'organisation permet aux individus exposés à des catastrophes, des crises et des vulnérabilités, d'anticiper, et de se préparer. C'est donc réduire les impacts, se rétablir, et s'adapter aux effets de chocs et de stress sans compromettre les perspectives à long terme. Une communauté résiliente est donc bien informée, en bonne santé et capable de répondre à ses besoins essentiels. Elle se caractérise par la cohésion sociale, a des possibilités économiques et est dotée d'infrastructures et de services bien gérés et accessibles.

Ces dernières années, le concept de résilience a très souvent été associé aux pays du Sud, frappés par des catastrophes naturelles d'ampleur, des conflits violents. Mais les pays du Nord sont également concernés et le seront de plus en plus du fait de l'accroissement des crises, du réchauffement climatique, de l'extension des conflits et des mouvements de population. Pour autant, nous ne devons pas voir cette évolution du contexte comme une fatalité. Il ne tient qu'à nous d'être en capacité d'anticiper et de réinventer la ville, de la développer de façon durable en y intégrant les solutions visant l'accueil des populations, la préservation des ressources, l'adaptation et l'atténuation des effets du changement climatique.

Quel peut être le rôle de la Croix-Rouge dans la construction d'une ville durable ?

En 2030, 60 % de la population mondiale, soit près de 5 milliards d'habitants, vivra en ville. Les nouveaux défis liés à l'urbanisation sont donc colossaux et la Croix-Rouge en est partie prenante. Nous étions d'ailleurs présents et sommes intervenus lors de la Conférence mondiale Habitat III qui s'est tenue à Quito en octobre dernier. Présente depuis cent cinquante ans partout à travers le monde, la Croix-Rouge se trouve au coeur des conflits et des crises. Oui nous sommes des urgentistes, mais pas seulement. En amont, pendant et après des épisodes de vulnérabilité, nous demeurons aux côtés des populations pour les aider à se préparer et à se reconstruire sur un modèle durable. Et nous sommes également présents pour répondre aux fragilités du quotidien.

Depuis de nombreuses années, la Croix-Rouge française développe des programmes et des formations pour se « préparer à être prêts », qu'il s'agisse de préparation aux catastrophes ou aux gestes qui sauvent. Nous sommes également générateurs de lien social. Nous apportons notre expertise, nos moyens, pour développer avec les populations des réponses intégrées dans la durée, en ayant à coeur de rendre l'individu autonome et acteur de son propre devenir. En Haïti par exemple, après le séisme de 2010, nous avons travaillé sur un programme d'aménagement urbain, avec une approche de « quartier intégré ». Après avoir créé une plateforme communautaire représentative des différentes composantes de la communauté, nous avons accompagné la population, en lien avec les autorités et les bailleurs sur une réhabilitation des infrastructures publiques, de l'habitat, sur le développement d'activités économiques et sur l'accès aux soins.

À l'international et au niveau national, nous envisageons les réponses de manière globale, en intégrant toutes les dimensions, qu'elles concernent la santé, le soutien psycho-social, la prévention des risques, le logement, l'éducation, les activités de relance économique. Nous attachons une attention particulière à la cohésion sociale et à l'appropriation du projet par la communauté à travers une participation active pour des effets durables.

On parle de plus en plus désormais de ville « inclusive »...

La ville durable, celle de demain, celle que nous devons construire aujourd'hui doit trouver ses fondements dans l'inclusion. Sans inclusion, rien ne sera possible. La ville est faite de mixité : mixité générationnelle, mixité sociale, mixité des origines. Et la ville appartient à tous. Il est donc nécessaire que son organisation soit pensée « avec » et « pour » ses habitants. Longtemps, dans nos réponses aux vulnérabilités, nous avons raisonné en « silo », créant des dispositifs soi-disant adaptés aux besoins particuliers des populations. Ce faisant, nous avons cloisonné la ville, éloigné ses habitants les uns des autres, créant l'isolement et les tensions. Il n'est pas question aujourd'hui d'ignorer les différences et les particularités de certaines vulnérabilités qui nécessiteront toujours des accompagnements particuliers. Mais, en posant les bases d'une ville inclusive, nous garantissons à tous une place et un rôle dans la communauté, une accession aux services essentiels, à la sécurité, à l'emploi. Une ville inclusive est de ce fait dynamique, agile et attractive.

Pourquoi ce sujet de l'inclusion prend-il autant d'importance aujourd'hui ?

Parce que nous apprenons de nos erreurs ! Mais aussi parce que notre monde, nos sociétés évoluent. Les crises économiques, politiques, climatiques et sanitaires nous obligent à travailler notre résilience et l'inclusion favorise cette résilience. Parce que le vivre-ensemble est essentiel et que chacun peut apporter sa pierre à l'édifice. Parfois « aidants », parfois « aidés », nous donnons et nous recevons à chaque étape de notre vie. L'essentiel étant que chacun puisse contribuer et ainsi demeurer acteur de son bien-être, mais aussi de celui de la communauté. En ce sens, le développement de l'économie sociale et solidaire a beaucoup contribué à la notion d'inclusion.

Quels sont vos projets dans ce contexte ?

Au quotidien, nous nous appuyons sur la diversité et la complémentarité de nos actions pour être en mesure de proposer des réponses adaptées aux besoins des populations dans une logique de territorialité et de parcours de vie. En France, notre implantation locale, nos 600 établissements et nos 1 000 délégations bénévoles qui agissent dans le champ social, sanitaire et médico-social, nous permettent de mettre en oeuvre cette stratégie.

Actuellement, et dans un contexte de raréfaction des services de proximité et de délitement des solidarités locales, notre objectif est de développer des actions nous permettant d'« aller vers ». Cette démarche s'est traduite dans la mise en place de dispositifs itinérants, appelés Croix-Rouge sur roues qui facilitent la polyvalence du service rendu en allant à la rencontre des plus vulnérables, au plus près de leurs besoins et de leurs lieux d'habitation. Les équipes de Croix-Rouge sur roues veillent à rompre l'isolement dont souffrent ces personnes, à favoriser leur insertion sociale et, plus largement, à renforcer le lien social. Croix-Rouge sur roues propose des services diversifiés, répondant à des besoins fondamentaux identifiés au préalable avec les acteurs sociaux : aides alimentaire et vestimentaire ; apprentissage de la langue ; accès aux produits d'hygiène ; accès aux droits... L'accueil, l'écoute et l'orientation sont au coeur de chaque dispositif, afin de permettre aux personnes accueillies de bénéficier d'un accompagnement global. Dans la même logique du « aller vers », nous avons développé dans les Hauts-de-France, un dispositif itinérant de rétablissement des liens familiaux, afin d'aider les migrants à renouer avec leurs familles.

Menez-vous des actions dédiées aux enfants ?

Parce que l'éducation et la sensibilisation restent un préalable essentiel à l'inclusion, nous renforçons notre offre éducative auprès des jeunes publics. Audelà de l'indispensable transmission des savoirs, nous participons en effet au développement des compétences sociales et civiques des enfants et des jeunes et leur offrons l'opportunité de renforcer leur autonomie et leur esprit d'initiative. Par la sensibilisation aux valeurs et au droit international humanitaires ; la lutte contre les préjugés ; l'éducation à l'équilibre nutritionnel et à la prévention des risques d'addictions ; l'initiation ou la formation aux premiers secours et à la réduction des risques du quotidien et exceptionnels... Nous déclinons cette offre au sein et au-delà de l'enceinte scolaire, auprès de jeunes qui vivent des situations de particulière vulnérabilité (jeunes hospitalisés, ceux vivant des situations familiales particulièrement altérées qui ont conduit à un décrochage scolaire, etc.).

Vous préoccupez-vous également de social à l'international ?

Au niveau international, parmi nos nombreux projets visant à renforcer la cohésion sociale, nous pouvons citer notre action en Jordanie, dans le district de Badr. Il s'agit d'un projet financé par l'Agence française de développement avec pour objectif de favoriser la cohésion sociale entre population réfugiée syrienne et population hôte jordanienne à travers des activités d'amélioration des conditions de vie (logement), de développement de microprojets « communautaires » (tournois de foot entre Syrien (ne) s et Jordanien (ne) s...) et de soutien psychosocial. Nous constatons que ce programme a grandement participé à la réduction de la violence.

Quel rôle joue l'innovation dans vos projets ?

Nous favorisons également la participation des personnes que nous accueillons et accompagnons, à la fois à la mise en oeuvre de nos actions, à l'évaluation de nos dispositifs existants, mais également à l'émergence de nouveaux services innovants. C'est le cas avec le projet Handeway. De jeunes adultes en situation de handicap, accompagnés par nos structures, ont développé, avec le soutien de la Croix-Rouge française, un réseau social d'entraide et d'échange d'expériences, afin de les accompagner au mieux dans leur parcours de vie, dans leurs projets d'études et professionnels.

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Commentaires 5
à écrit le 10/01/2017 à 5:40
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réchauffement climatique. Ce que ces hurluberlus appellent résilience, c'est contraindre les autres (hors leur ville du futur qui va bien etc.) à leur céder des réserves et à payer pour accéder à la concentration de pouvoirs et biens qu'ils en retir...

à écrit le 10/01/2017 à 5:31
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réchauffement climatique. Ce que ces hurluberlus appellent résilience, c'est contraindre les autres (hors leur ville du futur qui va bien etc.) à leur céder des réserves et à payer pour accéder à la concentration de pouvoirs et biens qu'ils en retir...

à écrit le 31/12/2016 à 17:30
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Résilience, inclusion, ...: raz de cette novlangue à la mode, sans signification. Nos politiques et urbanistes nous ont créé des villes sales, bruyantes, sans attrait, surpeuplées, ... sans intérêt. Raz le bol de ces amas de populations invivables al...

à écrit le 21/12/2016 à 9:19
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"En dehors de la ville, point de salut ?". Peuvent-ils imaginer que nous sommes encore nombreux à préférer notre "cambrousse" (en plus au pied des montagnes) à cet univers concentrationnaire schizophrène et bétonné... J'ai pu m'extraire de la ville,...

à écrit le 18/12/2016 à 6:50
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La ville inclusive est une utopie incompatible avec la doctrine ultra-libérale qui encourage la compétition et l'individualité entravant ainsi la coopération. C'est pourquoi cette ville n'existe nulle part sur terre, et ne pourra jamais exister dans ...

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