Le satellite, réponse économique pour lutter contre la fracture numérique ?

Michel de Rosen, directeur général d'Eutelsat, détaille à La Tribune pourquoi et comment le recours à de nouveaux satellites permettra demain d'offrir le haut débit aux zones rurales à un coût économiquement viable.

La France a lancé un plan visant à permettre à tous les Français de se connecter à Internet à très haut débit d'ici à 2025, notamment grâce à la fibre optique, et avoir ainsi accès à une multitude de services comme la vidéo haute définition ou 3D. Le satellite est-il menacé ?

Au contraire. On oppose parfois le satellite et les réseaux terrestres. Pourtant, ces deux modes de communication se développent de concert depuis des années, le satellite ayant en particulier permis le développement des grands bouquets de télévision. Le satellite est, par ailleurs, le seul moyen économiquement raisonnable de résoudre les problèmes de réception de la télévision numérique ou d'accès à l'Internet à haut débit dans les régions rurales. Le rôle complémentaire du satellite devient encore plus important avec le déploiement de la fibre optique. Il n'y a pas de sens pour nous à vouloir concurrencer la fibre dans les grandes villes où il est possible d'en amortir le coût de déploiement sur un grand nombre de personnes. Dans les zones les moins denses, en revanche, le coût d'installation de la fibre optique peut être 20 fois plus élevé qu'en ville. Dans ce cas, le satellite est économiquement beaucoup plus intéressant.

Quel est le potentiel de ce marché ?

Concernant la TNT, plus de 3 millions de foyers français ont actuellement des problèmes de réception de la télévision numérique terrestre du fait du relief ou de la proximité des frontières. De nombreux pays d'Europe et du bassin méditerranéen sont confrontés aux mêmes enjeux. Pour l'Internet, on estime qu'en France près d'une ligne ADSL sur quatre ne permet pas d'offrir plus de 2 megabits par seconde en débit. Et une ligne ADSL sur deux ne permet pas d'ajouter une offre de télévision en plus de l'accès Internet et du téléphone. Les satellites n'ont plus à prouver leur efficacité en matière de télévision. Fransat, le service de TNT par satellite que nous avons lancé il y a un an, compte déjà plusieurs centaines de milliers de foyers équipés alors que seules quatre régions ont aujourd'hui basculé au tout numérique. Les satellites offrent aussi des solutions pour le haut débit grand public comparables à l'ADSL. En Amérique du Nord, plus d'un million de foyers accèdent à l'Internet via l'espace, et déjà près de 100 000 en Europe. La mise en service, en 2011, de notre satellite Ka-Sat sur l'Europe, nous permettra d'étendre considérablement notre service Tooway en portant les débits de 3,6 à 10 megabits par seconde pour plus d'un million de foyers, dont 200.000 en France.

Cette technologie nécessite d?importants investissements. Le programme Ka-Sat représente un investissement total de 350 millions d?euros?

En effet, notre métier mobilise d?importants capitaux. Lors du dernier exercice, nous avons investi 494 millions d?euros, soit près de la moitié de notre chiffre d?affaires. Nous allons continuer à investir en moyenne 450 millions d?euros par an au cours des trois prochaines années.

L?Internet par satellite est-il aussi rentable que la diffusion de chaînes de télévision ?

Ces dernières années, nous avons réussi à intégrer de nouveaux services tout en préservant nos marges. Notre volonté est de continuer à croître plus vite que nos concurrents et à maintenir notre rentabilité au premier niveau de la profession. Nos projets dans l?Internet s?intègrent à cette ambition. Au cours des trois prochaines années, notre objectif est d?augmenter notre chiffre d?affaires de plus de 7 % par an et de maintenir la marge opérationnelle (Ebitda) à plus de 77 %. Dans le contexte actuel, peu d?entreprises peuvent se permettre de donner des objectifs financiers à trois ans, a fortiori à ce niveau.

En revanche, Megasat, le projet d?Internet à très haut débit par satellite, que vous étudiez avec le Cnes, nécessite un financement public. Pourquoi ?

Le chantier de la fibre optique en France est estimé à plus de 30 milliards d?euros. Or, pour couvrir les 20 % de la population qui se trouvent en zone rurale, il faudrait consacrer environ 15 milliards d?euros, dont un coût à la prise pouvant aller jusqu?à 10 000 euros par foyer ou entreprise pour les 500.000 plus isolés. En concentrant la puissance d'un satellite sur la France, il serait possible d?apporter dans ces régions rurales des débits de 50 mégabits par seconde avec un investissement à la prise dix fois inférieur à celui de la fibre optique, soit significativement sous la barre des1.000 euros par prise.
Néanmoins, il reste à résoudre une partie de l?équation économique pour satisfaire le principe d?équité territoriale exprimé par le gouvernement et le parlement. Bien que le projet Megasat soit considérablement moins cher, par utilisateur, que le déploiement de la fibre, il faudrait, pour rentabiliser un satellite national de très haut débit de ce type, proposer des tarifs quatre fois plus chers que ceux de la fibre optique en zone très dense. Un financement public d?une partie de l?investissement permettrait de résoudre cette équation économique. Le principe d'une composante satellitaire au plan « Très haut débit » a d?ailleurs été retenu par le gouvernement dans la loi de finances. L?Etat va lancer en septembre une consultation publique pour déterminer les modalités qu?il juge les meilleures, en termes de débit apporté, de nombre d?utilisateurs concernés et d?investissement public. Nous verrons alors si Eutelsat peut réaliser ce projet dans ces conditions.

Quel est le montant nécessaire de subvention publique ? Le chiffre de 250 millions d?euros est évoqué

La réponse dépend des contraintes de couverture et de débit. Selon celles-ci, le satellite est plus ou moins coûteux. Et donc la subvention publique est plus ou moins importante. Ceci dit, le montant de 250 millions d?euros est sans doute une enveloppe à l'intérieur de laquelle peut être mené à bien un projet de qualité répondant aux v?ux des pouvoirs publics. Cela restera sans commune mesure avec le coût d?un programme en fibre optique, lequel, pour raccorder 500 000 foyers situés dans les zones les moins denses, nécessiterait plusieurs milliards d?euros et plus de dix années de déploiement des réseaux. Megasat pourrait, quant à lui, entrer en service dès 2014. L?offre serait commercialisée par des opérateurs télécoms et des collectivités locales pour connecter au très haut débit les entreprises et les foyers.

Quel sera le poids de ces nouvelles activités dans le chiffre d?affaires d?Eutelsat dans trois ans ?

Aujourd?hui, ce que nous appelons les services à valeur ajoutée (Internet) représentent 5 % de notre activité. Cette proportion devrait augmenter dans le futur mais les services de télévision resteront très largement le premier secteur d?activité d?Eutelsat, d?autant qu?ils continuent à enregistrer une croissance soutenue. Selon le cabinet Euroconsult, le nombre de programmes diffusés par satellite dans le monde atteindra 39 600 en 2019, contre 27 000 fin 2009. En outre, la haute définition, et demain la 3D, ne feront qu?accroître les débits nécessaires à la diffusion des programmes.


 

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