La fusion de SFR et Bouygues Telecom a-t-elle des chances d’aboutir ?

Le groupe Bouygues a détaillé son offre de fusion, très bien accueillie en Bourse. Pourtant, un mariage de SFR et Numericable semblait « la solution la plus simple » pour Vivendi. Le risque de rejet par l’Autorité de la concurrence reste le principal point faible de Bouygues.
Delphine Cuny

Si l'on se fie aux cours de Bourse, il semble que les investisseurs parient sur le groupe Bouygues gagnant dans son bras de fer avec Numericable pour emporter SFR : la maison-mère de Bouygues Telecom, TF1 et Colas a grimpé de plus de 6% ce jeudi après avoir présenté en détails son offre de fusion déposée auprès de Vivendi mercredi soir. De son côté, l'action du câblo-opérateur a reculé de 5%. Bouygues a présenté son projet créant un groupe de 14,9 milliards d'euros de chiffre d'affaires, septième acteur des télécoms en Europe, numéro un dans le mobile en France et numéro deux dans le fixe, qui serait détenu à 49% par le groupe Bouygues, à 46% par Vivendi et à 5% par JC Decaux (actionnaire de Bouygues Telecom) et qui serait introduit en Bourse à l'issue de la fusion. « On aurait dit l'annonce d'une OPA amicale, comme si l'affaire étant entendue » s'étonne un analyste. Le comité ad hoc va éplucher les offres et fera un compte rendu de son analyse au conseil de surveillance avant la fin de la semaine prochaine. « L'idée est d'entrer en négociations exclusives et de commencer les due diligences dans les deux semaines » indique une source interne.

Le rouleau compresseur et le côté rassurant de Bouygues

Pourtant, jusqu'ici l'offre d'Altice, le premier actionnaire de Numericable, contrôlé par Patrick Drahi, le premier à être sorti du bois, semblait tenir la corde, apparaissant comme « la solution la plus simple, sans problème réglementaire d'atteinte à la concurrence ou de doublons sur le plan social, dépourvue d'incertitude juridique » faisait valoir une source proche de Vivendi. « En six mois c'est bouclé » pronostique un cadre dirigeant chez SFR. En effet, le câblo-opérateur est à peine présent dans la téléphonie mobile, en tant qu'opérateur virtuel (MVNO) sur les réseaux de Bouygues et de SFR : il propose des forfaits uniquement à ses abonnés et compte 170.000 lignes. Même dans le fixe, sa part de marché dans le haut débit est modeste, de l'ordre de 5%, 1,3 million de clients, quand SFR se situe à 25%, au troisième rang derrière Free. Mais « le rouleau compresseur Bouygues » est passé par là, avec une présentation « très solide et très professionnelle d'un beau projet industriel, pas seulement défensif, très offensif aussi dans le fixe et la fibre optique, c'est une offre très forte » juge cette source bien informée des états d'âme du conseil qui relève que « Bouygues a le côté rassurant d'un groupe du CAC 40. »

Le risque d'un rejet par le gendarme de la concurrence

Rien n'est fait pour autant. Car Bouygues a très peu abordé le principal point faible de son offre : le risque d'un rejet pur et simple de la fusion par l'Autorité de la concurrence, ou de sévères concessions demandées. Avec une part de marché théorique de 51% du marché mobile (en additionnant les cartes SIM), le nouvel ensemble deviendrait leader devant Orange, dont le PDG estime toutefois qu'en valeur l'opérateur historique resterait numéro un (lire l'interview de Stéphane Richard). Lors d'une conférence téléphonique avec les analystes, la direction de Bouygues a évoqué « des engagements renforcés d'accueil des MVNO », ainsi que des cessions d'actifs, vraisemblablement des fréquences et une partie du parc d'antennes. Par exemple à Free. D'ailleurs l'action Iliad, la maison-mère de Free a bondi de 6,9%. « Nous sommes gagnants dans tous les cas » s'amuse-t-on chez Free. Le groupe Bouygues n'a pas communiqué l'indemnité de rupture qu'il serait prêt à consentir en cas d'échec : elle ne serait cependant que « de l'ordre de 50 millions d'euros, pas de nature à faire pencher la balance » selon une source proche des discussions.

Des synergies « gonflées à l'hélium »

Sur le papier, les offres sont « globalement équivalentes » selon cette source. Mais  la solidité financière des offres (poids de la dette, note de crédit en catégorie d'investissement) et la crédibilité de la valorisation et des synergies seront examinées à la loupe. « Il va falloir que Numericable explicite les 12 milliards d'euros de synergies : au départ, c'était 6 milliards et on avait déjà du mal à y croire pour deux entreprises complémentaires dont l'une n'est pas dans le mobile. Si c'est bidon, ça décrédibilise l'offre » relève un intermédiaire proche de Vivendi. Du côté de Bouygues, « les 10 milliards d'euros de synergies annoncés, c'est colossal, cela ne prend sûrement pas en compte les remèdes qui seront imposés par les autorités de concurrence » confie une source interne. « Les synergies, c'est n'importe quoi, elles sont gonflées à l'hélium des deux côtés ! » s'agace un analyste. Certains experts les avaient par exemple estimées à 3,5 milliards d'euros, en cas de fusion Bouygues-SFR mais aussi dans le scénario SFR Numericable. En Allemagne, Telefonica attend seulement 5 à 5,5 milliards d'euros du rachat d'ePlus (KPN) par sa filiale O2, mais l'opération est de taille environ deux fois moindre, valorisant ePlus 8 milliards d'euros pour créer un groupe de 8 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Bouygues a précisé que ces synergies ne représentaient que 9% des coûts et 12% des investissements combinés du nouvel ensemble.

Les faux-semblants sur l'emploi

Cependant, « on voit mal comment arriver à 10 milliards d'euros de synergies sans augmenter les prix et sans suppressions d'emplois » s'interroge un analyste. « Ce sont presque exclusivement des synergies de coûts et d'investissement » martèle le groupe Bouygues. Il y aura tout de même « la rationalisation du portefeuille de marques et du parc de boutiques en propre, un réseau unique fixe et mobile, la mutualisation du cœur de réseau » égraine une source proche des discussions, « mais pas de licenciements secs, aucun départ contraint. » Bouygues aurait aussi évoqué la possibilité de reclassement au sein du groupe de BTP qui emploie 128.000 collaborateurs. Il parle même de « redynamisation de l'emploi : pour servir 32 millions de clients mobiles et 7 millions dans le fixe, il faut du monde au front-office » ont expliqué les dirigeants. Les syndicats de SFR sont cependant inquiets, conscients que le nouveau groupe n'emploiera pas forcément 17 à 18.000 salariés, la somme des deux (9.000 chacun environ) et qu'il pourrait y avoir des plans de départs volontaires. Mais « si Numericable prend la main, les salariés ne comprendront pas, une société presque 10 fois plus petite ! Et avec un tel endettement, on sait que ce ne sera pas tenable, on va au casse-pipe ! » s'inquiète un délégué syndical. Patrick Drahi s'est cependant engagé lui aussi à maintenir les effectifs et à ne pas licencier : « personne n'est dupe. Bien sûr, il n'y a pas de doublon au premier abord mais là où il est passé les salariés ont trépassé » ironise ce syndicaliste. Sur ce dossier, l'avantage irait cependant plutôt à Bouygues, le passé jouant davantage en sa faveur.

Le poids du politique

Le vent a-t-il tourné et Vivendi a-t-il changé d'avis ? « Le groupe veut faire vivre les deux offres et faire jouer son pouvoir de négociation » analyse un bon connaisseur des acteurs. Autrement dit faire monter les enchères. Reste à savoir si Vivendi n'a pas déjà choisi le futur époux de SFR. « Numericable est le lièvre qui a permis de faire sortir du bois Bouygues et l'épouvantail brandi devant les pouvoirs publics pour imposer la solution Bouygues comme la plus bénéfique » suppute une source interne, soulignant qu'Altice est immatriculée au Luxembourg et Next la holding de Patrick Drahi à Guernesey. « La question fiscale n'est pas un petit sujet » confirme un haut fonctionnaire. D'autres croient que Bouygues est instrumentalisé : «Jean-René Fourtou est prêt à signer avec Drahi. Mais c'est toujours mieux d'avoir deux offres » glisse dans un sourire une source bien informée. « Bien sûr, le conseil de surveillance est seul maître à bord mais l'enjeu est tellement considérable, cela semble difficile de s'affranchir de l'avis du gouvernement » indique une source proche de Vivendi. Or à ce jeu Martin Bouygues semble bénéficier d'un poids bien plus important que Patrick Drahi, même si ce dernier, moins connu et plus discret, ne manque pas d'appuis et de réseau.

Consolider ou ne pas consolider ?

Pour l'instant, le gouvernement a exposé ses trois critères : « surtout l'emploi évidemment, celui de la capacité à investir dans l'outil industriel et puis celui de la qualité du service qui pourra être fourni aux consommateurs » a déclaré la porte-parole Najat Vallaud-Belkacem. Mais le gouvernement n'a pas encore pris clairement position et sa ligne reste floue. « Bouygues Telecom se trouve clairement dans une situation d'isolement. Dans ses comportements tarifaires, on est bien conscient qu'il lance des appels au secours, sur le mode, retenez-moi ou je casse le marché » confie une source gouvernementale. Qui ajoute « on essaie de nous imposer l'histoire d'un marché mobile au plus mal et ô miracle SFR est à vendre… la situation n'est pas si nette, certes il y a un trou d'air, mais faut-il absolument consolider ? » s'interroge ce haut fonctionnaire. En réalité, « le moteur de ces rapprochements, en France et en Europe, n'est pas tant la consolidation que la convergence inéluctable du fixe et du mobile. Numericable n'est pas dans le mobile, Bouygues très peu dans le fixe. En Allemagne, KPN et Telefonica s'unissent parce qu'ils se disent qu'ils sont morts s'ils restent uniquement dans le mobile » analyse un fin connaisseur du secteur qui se garde bien de faire un pronostic et « n'exclut pas une troisième ou une quatrième offre, mais sans doute pas Iliad, car ça ne passerait pas du tout cette fois sur le plan réglementaire. »

In fine, ce sera à l'Autorité de la Concurrence de trancher si un mariage SFR-Bouygues était scellé. Or Bruno Lasserre, le président, qui vient d'être reconduit, s'était interrogé récemment : « passer de quatre à trois, qu'est-ce que cela veut dire ? Si cela préfigure la marginalisation du troisième acteur et que l'on va vers un duopole, est-ce une solution souhaitable ? » Et une consolidation par rachat « serait-elle la plus favorable à l'investissement, à l'innovation, à l'emploi ? » avait-il soulevé, laissant apparaître un certain scepticisme. Mais sans apporter de réponse formelle.

Delphine Cuny

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Commentaires 13
à écrit le 10/03/2014 à 22:18
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Ce serait le plus grand scandale socialo-oligarco parisien

à écrit le 08/03/2014 à 11:11
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Si la fusion entre Bouygues et SFR se fait, il s'agira d'un véritable scandale. On reviendra à l'oligopole qui avait permis à la bande des trois de se goinfrer allégrement pendant une vingtaine d'année.

le 08/03/2014 à 11:28
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Celle la que l'on va voir si l'autorité de la concurrence, à son utilité et indépendance !? Dans le même temps monsieur Bouygue est allé demander Grace à l élysée pour cet arnaque national ! On se demande pourquoi ils n orientent pas leurs dévelo...

le 08/03/2014 à 15:49
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En offrant la 4G à Free plutôt qu'en sanctionnant l'oligopole Orange/SFR/Bougues (en fixant les tarifs par exemple), l'ARCEP a démontré son inutilité voir son pouvoir de nuisance à la saine concurrence dans le marché des télécoms.

le 08/03/2014 à 15:49
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M.Bouygues a sans doute du faire des concessions sur la teneur de l'information de sa chaîne TV auprès du pouvoir socialiste. Le 13h et 20h de TF1 sont les JT les plus regardés de France. Tout se monnaye et ce monsieur a des arguments à faire valoir.

le 08/03/2014 à 21:55
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C'est le marché concurrentiel, les acteurs se battent, certains se retirent, d'autres rentrent .... Dans ce marché, personne ne veut rentrer, ce qui montre que les marges ne doivent pas être exceptionnel ( si tu regardes les résultats opérationnels...

à écrit le 07/03/2014 à 17:28
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en tous cas , la bourse a déjà parié sur cette fusion. Avec Altice coté à Amsterdam, Orange se plaignant de cette guerre des prix à 4 opérateurs, il est probable que le Gvt fasse le choix de la consolidation.

à écrit le 07/03/2014 à 8:57
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et apres Vivaction rachete bouygues .....! lol ;o))

à écrit le 07/03/2014 à 8:36
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Je reviens d'un semestre aux USA. Les forfaits mobiles sont beaucoup plus chers qu'en France mais au moins les opérateurs investissent massivement! La 4G est présente partout

le 07/03/2014 à 9:45
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Les forfaits fixe Triple Play aussi: 100$ en moyenne au lieu de nos 29,90 € ! Les constructeurs et les opérateurs ne sont pas moribonds comme en France et en Europe...

le 08/03/2014 à 1:06
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@YANKEE Les USA sont géographiquement plus vastes que la France, il n'est pas surprenant que le débit moyen des connexions de la Silicon Valley est bien inférieur que celui dans l'hexagone tout en étant plus onéreux. Le potentiel de l'économie num...

à écrit le 07/03/2014 à 5:41
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2 ste francaise donc uniquement autorite concurrence francaise

à écrit le 06/03/2014 à 22:50
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Vous y croyez un seul instant que l'autorité de la concurrence et les instances de Bruxelles accepteront l'offre de Bouygues avec à la clef un opérateur de moins et un colosse aux pieds d'argile? Ou alors je n'ai rien compris ou alors SFR a une sant...

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