SFR : qui de Numericable ou Bouygues a la plus belle offre ?

Bouygues a-t-il des chances de l’emporter avec sa surenchère sur SFR contre l’offre de Numericable, entré en négociations exclusives avec Vivendi il y a une semaine ? Revue de détail des points forts et points faibles des deux propositions, au regard des critères de la maison-mère de SFR.
Delphine Cuny

Quelles sont les chances de succès de Bouygues sur SFR ? Econduit, le groupe de BTP est reparti à l'assaut de l'opérateur télécoms en déposant jeudi auprès de Vivendi une nouvelle offre de rachat comprenant un volet en cash de 13,15 milliards d'euros, valable jusqu'au 8 avril. Mais Vivendi est en négociations exclusives avec Altice la maison-mère de Numericable depuis une semaine, et pour deux semaines encore, jusqu'au 4 avril. Si Bouygues a marqué des points en gonflant la partie cash, le risque réglementaire et le volet social demeurent ses points faibles.

Cash et valorisation : avantage Bouygues

La nouvelle offre de Bouygues propose 13,15 milliards d'euros en cash à Vivendi, soit 1,4 milliard de plus que celle de Numericable. Mais Bouygues a diminué la valeur de son offre totale, qui valorise SFR à « 17,4 milliards d'euros, en intégrant la totalité des synergies », contre « près de 20 milliards » dans son offre rehaussée du 12 mars. Ce qui fait bondir le camp adverse, qui demande en substance où est « l'amélioration substantielle » mise en avant par Bouygues. Vivendi récupérerait in fine 21,5% d'un ensemble fusionné SFR-Bouygues, contre 43% dans l'offre du 12 mars. De son côté, Numericable propose 32% du capital du nouvel ensemble mais cela pourrait évoluer, autour de 25% selon une source, autour de 17-18% selon une autre, en contre-partie de plus de cash, qui demeure le critère primordial, car tangible et objectif, de Vivendi. Malgré les sommes colossales en jeu, la sécurité du financement n'est pas vraiment en question : il est déjà quasi bouclé pour Numericable et Bouygues bénéficie de sa très bonne signature sur le marché.

En réalité, la question de la valorisation totale ramène au débat sur les synergies. Or sur ce terrain, l'avantage irait à Bouygues. Selon une source bien informée, le conseil de Vivendi n'a retenu que la moitié, au maximum, du milliard d'euros de synergies annuelles annoncé par Numericable, alors qu'il juge concordantes avec ses analyses internes celles de 10 milliards mises en avant par Bouygues, « dont 5 milliards d'euros sécurisées par l'accord signé avec Free » précise le groupe de BTP. Mais revers de la médaille de ces synergies : sur le plan réglementaire, l'examen d'un tel rapprochement par les autorités prendrait plus de temps et serait plus aléatoire...

 Exécution : avantage Numericable

C'est le grand point fort de l'offre de Numericable. Un rapprochement du câblo et de SFR ne passerait pas comme une lettre à la poste devant l'Autorité de la Concurrence mais le processus devrait être bouclé en quelques mois, en acceptant des compromis, notamment sur les chaînes en exclusivité chez Numericable, sur la gouvernance (Vivendi étant aussi actionnaire de Canal Plus). En revanche, même si Bouygues est allé jusqu'à sacrifier son réseau, en le promettant à Free, avec des fréquences, au prix bradé de 1,8 milliard d'euros (contre une valeur estimée de plus de 3 milliards selon Credit Suisse), son rachat de SFR serait scruté de près, et forcément longuement par l'Autorité de la Concurrence. En outre, si le président du gendarme français de la concurrence, Bruno Lasserre, a assuré qu'il serait « l'arbitre impartial » de cette recomposition du marché, il n'est « pas exclu que l'autorité compétente soit la Commission européenne » indique une note confidentielle de la représentation permanente de la France à l'Union européenne, que la Tribune a pu consulter.

 

« Le dossier français fait l'objet d'une forte attention de la part du Commissaire Almunia […] Dans une note préliminaire sur le cas, le DG concurrence, M. Italianer rappelle que la CE, si elle n'est a priori pas autorité de contrôle par défaut de la concentration, pourrait demander à l'autorité française de la concurrence le renvoi au titre de l'article 22 du règlement 139/2004 sur les concentrations, le chiffre d'affaires de Bouygues en 2013 étant proche du seuil de notification [moins des deux tiers du chiffre d'affaires en France, NDLR]. La demande de renvoi serait justifiée par le souci de la CE d'assurer un contrôle harmonisé et cohérent des cas de concentrations qui réduisent de quatre à trois le nombre d'opérateurs de réseau sur un marché national des télécoms. »

 

Le cabinet du Commissaire européen à la Concurrence serait « d'autant plus sensible à l'argument que les commentaires politiques en soutien du scénario SFR/Bouygues Tel font écho au vif débat engagé par le ministre du Redressement productif (« organiser les ententes ») » poursuit ainsi cette note, datée de la semaine dernière. Sur le volet « faisabilité » et certitude d'exécution, qui pèse semble-t-il très lourd aux yeux des administrateurs de Vivendi, l'avantage demeure sans conteste à Numericable. « Aucun actionnaire de Vivendi n'a envie d'être en l'air pendant un an et demi » fait valoir un proche des discussions.

Liquidité : égalité

Vivendi veut sortir des télécoms et se recentrer sur les médias : d'où son projet initial de scission de SFR par introduction en Bourse, en distribuant des actions de sa filiale à ses actionnaires. Le nouveau Vivendi n'a pas vocation à rester ad vitam au capital d'un groupe de télécom issu de la fusion de SFR et d'un autre acteur : la question de la liquidité est donc cruciale. D'un côté, Numericable dispose d'un avantage évident : le groupe est déjà coté en Bourse. Les actions que Vivendi récupérerait seront donc par définition liquides, cessibles sur le marché. Or si Bouygues assure que l'introduction en Bourse du nouvel ensemble aurait lieu « dès la réalisation de la fusion », ni Bouygues Telecom ni SFR ne sont cotés à ce jour. De l'autre côté, « Altice a ajouté des clauses prévoyant une sorte d'incessibilité des 32% pendant un an après la réalisation de l'accord, ils sont en fait quasi illiquides avant fin 2015. Il y a ensuite des clauses de sortie en 2016, 2017, qui encadrent la vente, soit à des partenaires, soit à Altice » indique une source bien informée. Bouygues aurait de son côté prévu des mécanismes pour offrir une réelle liquidité à Vivendi.

 Emploi : avantage Numericable

« Pas de casse sociale » avaient prévenu Vivendi et SFR. Or toute fusion, avec son lot de synergies de coûts opérationnels, fait craindre des suppressions d'emploi. Mais ce volet demeure un handicap de l'offre de Bouygues, y compris aux yeux du gouvernement, malgré les déclarations tonitruantes d'Arnaud Montebourg, qui ne reflètent pas la vision de tout l'exécutif. « La casse sociale pourrait être assez violente, ce n'est pas un jugement de valeur, c'est factuel : il y a beaucoup plus de redondances. Si l'on ne regarde que les boutiques, SFR et Bouygues en ont des centaines l'une en face de l'autre » confie une source gouvernementale haut placée, tranchant avec le discours pro-Bouygues du ministre du Redressement productif. Or « à la différence de Numericable, le groupe Bouygues n'a pas annoncé pour l'instant qu'il inscrirait dans sa licence mobile les engagements de maintien de l'emploi pris oralement » déplore cette source.

Les repreneurs avaient été invités à formaliser leurs engagements par la ministre déléguée à l'Economie numérique, Fleur Pellerin, qui a reçu lundi les syndicats de SFR à ce sujet. Martin Bouygues s'est engagé oralement à ne pas supprimer d'emplois. Mais le gouvernement aurait aimé que cela soit gravé dans le marbre de la licence et pas seulement une affaire de « parole. » Les syndicats aussi : même s'ils se montrent méfiants à l'égard du magnat du câble qui n'a pas hésité à mener de drastiques plans sociaux par le passé, la perspective d'un rapprochement avec Bouygues suscite plutôt davantage de craintes chez les salariés de SFR.

Une note des services de Bercy rédigée à l'attention d'Arnaud Montebourg pour préparer son entrevue avec Patrick Drahi, révélée par Les Echos, estimait « entre 1.500 et 3.000 emplois » le risque pesant en cas de fusion SFR-Bouygues, qui emploient chacun 9.000 personnes, du fait du « fort recouvrement des activités dans le mobile », et ce avant l'annonce de l'accord de cession du réseau à Free, contre « au minimum 1.000 » dans une offre de Numericable. Ce dernier avance ses propres projections « 5 à 6.000 emplois menacés dans un mariage SFR-Bouygues » selon Raymond Soubie, l'ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, mandaté par Patrick Drahi.

Vincent Bolloré lui-même, le premier actionnaire de Vivendi, avait justifié le choix du groupe le week-end dernier en déclarant « Numericable a apporté 450 millions d'euros supplémentaires de cash, 5.000 destructions d'emplois en moins, une plus grande facilité dans un rapprochement fibre-mobile. » Il peut paraître difficile de balayer cet argumentaire quelques jours plus tard. « Il suffirait de donner 1,4 milliard de plus et le souci de l'emploi disparaît ? » s'étonne un proche du dossier.

Projet industriel : égalité

Le PDG de SFR, Jean-Yves Charlier, a lui-même défendu le « superbe projet de croissance » d'un rapprochement de l'opérateur et du câblo. Patrick Drahi a souligné la logique allant « dans le sens de l'histoire » de la convergence du câble et du mobile, conforté par les annonces de rachats de Vodafone dans le secteur (Ono en Espagne après Kabel Deutschland). A l'inverse, le mariage de deux opérateurs à dominante mobile que sont Bouygues Telecom et SFR est présenté comme un « projet de décroissance » par ses détracteurs, axé sur les économies avant tout. Ce qui est en partie faux : la fusion créerait un nouveau numéro un français du mobile devant Orange et renforcerait sa capacité de développement dans le fixe.

« Sur le plan industriel, il n'y a pas de doute que le projet de Bouygues est supérieur, il offre le double de synergies, mécaniquement » relève une source proche de Vivendi.

Et ce d'autant plus qu'il y a l'effet « market repair » dans le jargon du secteur, l'assainissement du marché mobile attendu en repassant de quatre à trois opérateurs : mais selon une source bien informée, « ce critère du market repair a été sous-pondéré dans l'avis du comité : c'est impossible de l'écrire », sans s'exposer au risque que le gendarme de la concurrence ne découvre cette expression très fâcheuse. A contrario, le renforcement de Free Mobile, qui récupérerait un réseau national et des fréquences, amoindrirait l'effet réel de cette accalmie souhaitée sur les prix.

Intérêt national : indéterminé

L'entrée en jeu de la Caisse des dépôts, qui apporterait 300 millions d'euros de financement au projet de Bouygues, a laissé penser que l'Etat donnait son soutien à ce dernier. Au contraire, au gouvernement, on relativise : « c'est une participation financière classique. La Caisse c'est un peu la principauté de l'Etat, ce n'est plus son bras armé statutairement, c'est la Bpi qui joue ce rôle » insiste un haut fonctionnaire. C'est « une belle offre du capitalisme français, il y a presque toutes les grandes familles » ironise-t-on à Bercy. Le directeur général de la Caisse, Jean-Pierre Jouyet, proche de François Hollande, assure d'ailleurs dans un entretien au Figaro que « la CDC n'a nullement été missionnée par l'État dans ce dossier. »

En réalité, « il n'y a aucune solution dans laquelle l'Etat est tout à fait l'aise » affirme une source gouvernementale haut placée. Même sur le retour d'un marché à trois opérateurs et de son éventuel impact sur les prix, la vision n'est pas tranchée. L'exécutif continue de marteler qu'il veut avant tout protéger l'emploi et l'investissement et que la décision reste aux mains de Vivendi.

« Il y avait aussi un critère d'intérêt national, qui donnait l'avantage à l'offre de Bouygues, mais il n'a pas beaucoup pesé dans la décision du conseil » rapporte un proche de Vivendi. Or le conseil de cette entreprise privée reste souverain.

 

Le marché table toujours sur Numericable

Si les jeux ne sont pas faits, les investisseurs semblaient continuer à croire davantage dans la solution Numericable. L'action Bouygues qui gagnait plus de 1% vendredi matin a finalement perdu 2,64%. Le titre Numericable, qui perdait plus de 3% en matinée, a terminé la séance en hausse de 1,34%. Et Vivendi reculé de 1,35%. L'Association de défense des actionnaires minoritaires (Adam) a écrit à Vivendi lui demandant de publier le contenu des offres et de montrer que la décision du conseil de surveillance « s'appuie sur les conclusions d'un expert réellement indépendant - c'est-à-dire n'appartenant ni directement ni indirectement au syndicat bancaire qui finance l'opération. »

Delphine Cuny

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Commentaires 7
à écrit le 23/03/2014 à 15:46
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Si numéricable parvient à acheter SFR, il est probable que d'ici quelques mois, nous assisterons au mariage de Free et de Bouygues telecom. La seule question est de savoir s'il y a de la place sur le marché français pour 4 opérateurs. Free ayant rem...

le 24/03/2014 à 23:07
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En total accord avec votre analyse.

à écrit le 23/03/2014 à 8:41
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entre le jeu de monopoly , le bluff , les surenchères, les pertes d'emploi programmées, le jeu des banquiers et des traders, dites moi où est l'intérêt de l'usager des services de SFR? et tout le monde s'en fout des cris de Montebourg. Il ne peut rie...

à écrit le 22/03/2014 à 20:17
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bonjour il, me semble que il et prevue 2000a 3000 supression de pôstes si numericables obtien satisfaction et avec un S A V tel que numericables on risque davoir de gros mouvement de client ver tout les autre operateur et les sous traitemp au chaum...

à écrit le 22/03/2014 à 19:05
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A lire cet article si j'étais actionnaire de Vivendi, je continuerais à préférer l'offre de Numéricable qui de plus socialement sera moins destructrice d'emplois (les doublons étant moins important qu'avec BouyguesTelecom), n'en déplaise à nos fins s...

le 24/03/2014 à 10:32
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Où se situe le SAV de Numéricable? Et celui de Bouygues?

à écrit le 22/03/2014 à 18:56
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Tres bon papier : clair, synthetique, factuel

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