La French Tech lance une opération séduction des investisseurs américains

Dans l’espoir de démonter les clichés qui ont la vie dure sur la France, deux entrepreneurs, Tariq Krim et Jérôme Lecat, ont eu l’idée, avec Bpifrance et Bercy, d’inviter de grands noms du capital-risque de la Silicon Valley et de la côte Est à Paris pour rencontrer notre écosystème de startups.
Delphine Cuny

« C'est incroyable, on bosse autant ici que dans la Silicon Valley ! » s'est exclamé un jour Doug Carlisle, directeur général du fonds Menlo Ventures, l'un des pionniers du capital-risque en Californie, en venant visiter les bureaux de Scality à Paris. Jérôme Lecat, le fondateur et directeur général de cette entreprise française qui a développé une technologie de stockage à grande échelle, aurait beaucoup d'anecdotes du même goût à raconter. Pour sa dernière levée de fonds, de 22 millions de dollars l'été dernier, près de 20 « VC » (venture-capital), intéressés de prime abord, lui ont finalement « fermé la porte lorsque j'ai annoncé que la R&D était en France. » Sauf Menlo Ventures, qui a investi aux côtés du français Iris Capital et du fonds FSN PME, géré par Bpifrance.

Dans une « lettre ouverte d'un startupper à François Hollande » en février dernier, au moment de la visite du Président de la République dans la Silicon Valley, l'entrepreneur, installé à San Francisco, soulignait la mauvaise image de la France, en particulier en matière de droit social, auprès des investisseurs américains. De là est née l'idée de mener une campagne de promotion de l'écosystème français des startups, à l'image de ce que font Israël, l'Inde ou l'Irlande, pour en finir avec les nombreux clichés qui ont la vie dure outre-Atlantique.

Lutter contre les images d'Epinal … après l'affaire Dailymotion

Une idée qui a séduit la mission gouvernementale French Tech et Bpifrance, ainsi que l'entrepreneur emblématique du Web français Tariq Krim (Netvibes, Jolicloud) : l'invitation a été lancée auprès d'une cinquantaine de « VC ». Six grands noms du capital-risque de la Silicon Valley ou de la côte Est feront le voyage à Paris cette semaine, dont une représentante du célèbre fonds Andreessen Horowitz, qui a investi dans Skype, Instagram, Airbnb ou les casques Oculus VR, un des gérants de Thrive Capital (Instagram), un autre de Globespan, le célèbre Om Malik, fondateur du site GigaOm désormais associé chez True Venture. Le rédacteur en chef du site influent Venture Beat, Dylan Tweney, sera aussi du voyage. Les participants paient leurs billets d'avion (à prix d'ami consenti par Air France), l'hôtel est offert par la mission French Tech (Bercy), l'association de capitaux-risqueurs et de business angels France Digitale finance la grande soirée de mardi dans les locaux de Criteo, la success story française entrée au Nasdaq à l'automne dernier.

« Il faut montrer que la France a énormément évolué et n'en est pas restée aux images d'Epinal que certains investisseurs américains ont dans la tête, des salariés à vie, travaillant 35 heures par semaine, un système hyperprotectionniste, et la fiscalité, dont ils ignorent les nombreux mécanismes d'allègement comme les BSPCE ou le PEA » relève Jérôme Lecat, qui raconte « pour certains, la France c'est le dernier bastion du communisme en Europe ! »

« Startup safari », visite de l'école de Xavier Niel, réception à l'Elysée

Au programme de cette visite, qui tombe à point nommé en plein festival French Tech et Futur en Seine à Paris pendant lesquelles sont organisées des journées portes ouvertes : un « startup safari » dans le Sentier, où sont implantées de nombreuses jeunes pousses ainsi que la pépinière Numa, la visite de l'école d'informatique « 42 », qui forme gratuitement 1.000 développeurs par an, en présence de son fondateur Xavier Niel (Free), des rencontres avec des entrepreneurs et des investisseurs français, du privé mais aussi Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance. « Les Américains ne comprennent pas ce qu'est une banque publique comme la Bpi, qui est aussi un investisseur en capital-risque » observe Jérôme Lecat.

Des échanges sont aussi prévus avec des membres du gouvernement, en particulier Fleur Pellerin, la secrétaire d'Etat en charge du Commerce extérieur, de la promotion du Tourisme et des Français de l'étranger, qui avait lancé cette initiative French Tech, et Axelle Lemaire, qui lui a succédé au Numérique. Mais aussi avec Arnaud Montebourg, le ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique, dont le passage à la conférence LeWeb en décembre dernier, avait été l'occasion d'un échange musclé avec des « VC » lui reprochant la fameuse affaire Dailymotion-Yahoo, qui a donné l'image d'un Etat français très ingérant. Clou de la visite, les investisseurs américains seront reçus mercredi soir à l'Elysée, où une réunion de travail est programmée avec le Président de la République et sera suivie d'une réception.

Séduire les investisseurs américains pour recruter clients et talents

Une rencontre est aussi prévue au ministère de l'emploi, où seront expliquées les nouvelles modalités de plans sociaux en vigueur depuis l'été dernier (délai de deux mois maximum pour moins de 100 salariés concernés). « Il faut regarder tout cela comme un système, avec des contreparties : les employés français sont plus fidèles et le coût du travail est relativement bas pour les métiers à forte valeur ajoutée comme les nôtres » fait valoir le patron de Scality, qui emploie 50 personnes à Paris et une trentaine à San Francisco. S'il considère que l'on peut trouver « autant d'argent que l'on veut sur le marché français » pour se financer, « il faut avoir un investisseur américain au capital lorsque l'on se lance sur le marché américain : c'est un enjeu de crédibilité, un gage de confiance pour l'acquisition de clients mais aussi pour le recrutement de talents dans la Silicon Valley, où la concurrence est rude ! » D'où l'importance de cette opération séduction, qui ne devrait pas être ponctuelle mais trouver des déclinaisons régulières par la suite.

Delphine Cuny

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Commentaire 1
à écrit le 10/06/2014 à 9:32
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Ça fait chaud au cœur de lire tout ça. Ne plus rester a la traine mais innover!!!! Bravo.

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