Free et son aventure américaine : une probabilité de 40% ?

Le projet de rachat à 15 milliards de dollars d’Iliad sur T-Mobile USA, qui suscite l’incompréhension et le scepticisme de nombreux investisseurs, a cependant des chances non négligeables d’aboutir, selon certains analystes.
Delphine Cuny
L'offre de rachat du quatrième opérateur mobile américain T-Mobile pour 15 milliards de dollars a été rejetée par Deutsche Telekom mais Iliad aurait encore ses chances.

« Les clients sont très, très énervés. Ce n'est pas du tout ce qu'on leur a vendu comme equity story » [histoire boursière] », confie un analyste financier. Les investisseurs qui avaient acheté des actions Iliad, la maison-mère de Free, ne comprennent pas le projet d'offre de rachat à 15 milliards de dollars de T-Mobile USA annoncé par le groupe de Xavier Niel à la fin juillet. Ils avaient d'abord parié sur la réussite de la diversification dans le mobile, puis sur la consolidation du marché français, autour de Bouygues Telecom notamment, mais pas sur un méga-deal dans un marché somme toute lointain. Certains ont déjà voté « avec leurs pieds », en vendant le titre : l'action Iliad a chuté de près de 20% en un mois, l'équivalent de 2,3 milliards d'euros de valeur boursière envolée, sur une capitalisation de 9,7 milliards désormais. La fin de la lune de miel de Free avec la Bourse, après avoir vu son cours tripler en trois ans ?

Or la probabilité d'une opération a semblé se renforcer encore, à la suite d'une information publiée par l'agence Bloomberg jeudi soir : Deutsche Telekom, l'actionnaire de référence de T-Mobile avec une participation de 66%, demanderait au minimum 35 dollars par action, soit seulement 2 dollars de plus que la proposition initiale de Free. Un surcoût de l'ordre de 660 millions loin d'être insurmontable pour Free. Une source proche de l'opérateur allemand, citée par Reuters, a cependant démenti, jugeant ce niveau nettement insuffisant.

Probabilité de 40%

Ira, ira pas ? Alexandre Iatrides, analyste chez Oddo Securities, estime probable à 40% le succès d'une offre d'Iliad. Stéphane Beyazian, chez Raymond James Equities, considère qu'il y a « un tiers de chances que son offre aboutisse. » Pour Deutsche Telekom, après l'échec des discussions avec l'américain Sprint, qui aurait proposé 40 dollars et était perçu comme le repreneur naturel de T-Mobile, la proposition de l'opérateur français reste attractive sur le plan financier, entièrement en cash, sans risque réglementaire, à la différence d'une fusion.

Financièrement, Iliad peut sans problème lever 9 milliards d'euros de dette (et 2 milliards par augmentation de capital) et trouver des partenaires financiers (fonds de private equity notamment) pour relever son offre, même si la remontée du dollar a déjà renchéri de 600 millions d'euros l'addition, selon Oddo. Deutsche Telekom attend sans doute « au moins 36 ou 38 dollars pour commencer à discuter » considère l'analyste de Raymond James.

« Serrer les fesses »

Mais si l'opération se fait, « il va falloir serrer les fesses, boursièrement » prévient un spécialiste de la valeur. Car au-delà de l'incertitude sur l'aboutissement de l'opération, le projet soulève de nombreuses questions : sur les ressources managériales d'une petite entreprise comme Iliad, dont l'attention risquerait d'être détournée par cette aventure américaine de son cœur de métier français; sur l'endettement - « si Iliad consolide toute la dette de T-mobile, il atteindra 24 milliards, contre 28 milliards chez Orange » calcule l'expert d'Oddo; et sur le prix peut-être trop élevé s'il ne parvient pas à accroître significativement la part de marché du plus petit des opérateurs américains (seulement 13%).

« Iliad a fait une grosse erreur de communication en parlant de 10 milliards de dollars de synergies, un mot trompeur qui l'a rendu ridicule » analyse un bon connaisseur du dossier. La maison-mère de Free voulait en fait parler de création de valeur pour les actionnaires de T-Mobile USA qu'elle espère générer grâce à son savoir-faire, sa bonne gestion, sa qualité d'exécution. Les deux opérateurs ont d'ailleurs de nombreux points communs: positionnement, stratégie tarifaire, communication agressive. « Mais les Américains vont lui rire au nez, à voir ces Français qui croient pouvoir faire mieux qu'eux » estime un autre.

D'ailleurs, aux yeux des investisseurs américains, le livre est déjà écrit : « les analystes de Raymond James aux Etats-Unis restent convaincus que la probabilité la plus élevée c'est que Sprint rachète T-mobile, courant 2015, après les enchères de fréquences (AWS) de novembre 2014, mais avant celles de fréquences de télévision, d'autant que le potentiel de synergies entre les deux opérateurs est énorme » observe Stéphane Beyazian.

« Moins sexy, plus complexe »

En fait, plusieurs courtiers partagent le sentiment que cette aventure américaine « arrive un peu trop tôt pour les investisseurs, qui attendent la consolidation sur le marché français, où l'histoire n'est pas finie pour Iliad », la recherche de relais de croissance pouvant venir plus tard. « L'histoire boursière » d'Iliad pour les investisseurs devient « moins sexy, plus complexe » constate l'un d'eux. Or « ce qui intéresse Xavier Niel c'est de s'amuser, de prendre des risques, de tenter de nouveaux paris, pas d'aller se la couler douce avec ses milliards aux Bahamas ! » fait valoir un bon connaisseur de l'entreprise.

Le fondateur de Free, qui possède 55% du capital, ne tirerait « que des avantages », sur le plan patrimonial, de l'opération, qui lui permettrait de « relever un défi entrepreneurial unique en mettant la main sur un opérateur 2 fois plus gros que lui, tout en participant à une augmentation de capital à hauteur de 1 milliard d'euros à un cours décoté » relève Alexandre Iatrides chez Oddo.

Toutefois, Xavier Niel doit veiller à ne pas donner l'impression « qu'il fait supporter des risques aux minoritaires qui n'avaient pas signé pour ça » objecte un spécialiste de la valeur. Et ce dernier de prédire que « si Iliad annule son offre, le titre remonte d'un coup à 190 euros ! »

Delphine Cuny

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Commentaire 1
à écrit le 01/09/2014 à 17:36
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Xavier NIEL a raison de s'intéresser à T Mobile US, car si Deutch Telecom cherche depuis déjà un certain temps à s'en débarrasser c'est qu'ils ont quelque chose en tête au niveau Européen. Et qu'après une rénovation de son propre réseau en Allemag...

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