Après sa cure minceur, Alcatel-Lucent mise sur l’innovation collaborative et l’esprit startup

L’équipementier télécoms a inauguré mardi sa « cité de l’innovation » francilienne, son principal centre de R&D en Europe, après la fermeture de cinq sites en France. Quand son concurrent chinois Huawei promet investissement et recrutement dans l’Hexagone, Alcatel-Lucent mise sur les partenariats, avec les grands groupes comme Orange, JC Decaux et Accenture, ou les startups, pour relancer l’innovation en interne.
Delphine Cuny
L'équipementier a inuguré mardi sa Cité de l'innovation dans l'Essonne, où travaillent près de 5.000 personnes..

Tourner la page des restructurations et repartir de l'avant. L'inauguration officielle de la « Cité de l'innovation » d'Alcatel-Lucent à Nozay (Essonne), qui s'est tenue en grande pompe mardi, en présence de la secrétaire d'Etat au Numérique, Axelle Lemaire, doit incarner « le nouveau chapitre du plan Shift » mis en œuvre par Michel Combes il y a dix-huit mois : « nous remettons l'accent sur la croissance et l'innovation » a insisté le directeur général de l'équipementier télécoms. Situé sur le lieu-dit de Villarceaux où Alcatel est implanté depuis 50 ans, ce site de 36 hectares a été repensé « dans un esprit campus » et étendu pour accueillir les 2.500 salariés du site de Vélizy (Yvelines), qui a fermé.

Seul site français maintenu avec celui de Lannion (Côtes d'Armor), Villarceaux est désormais, avec près de 5.000 personnes, dont près des deux tiers en recherche et développement, « le plus grand centre de R&D d'Alcatel en Europe, le deuxième dans le monde », après le siège historique des Bell Labs à Murray Hill (New Jersey). Michel Combes s'est félicité d'avoir diminué « le nombre de sites de R&D dans le monde, passés de 54, dont 7 en France à mon arrivée, à une trentaine aujourd'hui. Il faut encore le réduire car il faut une taille critique pour attirer des talents et proposer des parcours de carrière. » Face au discours volontariste et enthousiaste du patron, malgré l'ambiance festive de cette journée portes ouvertes, certains salariés et syndicats se montrent toutefois plus mitigés.

 « Derrière les décorations récentes du site et ses sièges de jardin couleur bonbon, la réalité est plus dure pour les salariés. Ce site est issu de la fermeture de tous les autres sites de la région parisienne, excepté le siège maintenant à Boulogne-Billancourt. En particulier, avec la fermeture du site historique de Vélizy, ce sont des milliers de salariés qui ont subi un allongement important de leur temps de trajet » a réagi la CGT d'Alcatel-Lucent.

Suppressions de postes dans la R&D

 Certains salariés mettraient en effet près de deux heures pour se rendre sur leur nouveau lieu de travail. Un blog « Je vais bosser à Nozay Villarceaux » a même été créé pour informer sur les horaires de bus et coordonner le covoiturage. L'entreprise favorise cependant le télétravail et 50% des salariés du site le pratiquent un ou deux jours par semaine. La CGT souligne que « des suppressions de poste sont en cours en R&D, et même les fameuses Bell Labs ont vu leur effectif baisser d'un quart en 2 ans en France. » L'équipementier télécoms a ramené à 594 suppressions d'emplois en France son plan social, qui portait initialement sur 900 postes, après concertation avec les représentants du personnel.

Le patron d'Alcatel-Lucent reconnaît que la R&D de l'équipementier est désormais « sur un secteur plus réduit, sur quelques domaines particuliers : nous avons arrêté à Villarceaux la recherche sur le multimédia et celle sur l'accélération de plateforme, qui étaient un peu déconnectées de notre métier et occupaient 40 collaborateurs. Nous nous sommes redéployés dans l'optique et les mathématiques, où nous avons recruté » fait-il valoir. La Cité de l'innovation accueille « un centre d'excellence mondial » de 100 personnes consacré aux « small cells », de petites cellules qui améliorent la couverture de téléphonie mobile en intérieur ou à l'extérieur.

Maintien de la R&D en France grâce au crédit d'impôt recherche

 « A l'issue du plan Shift, 50% de l'effort de R&D du groupe en Europe sera en France » a insisté Michel Combes. Et ce « grâce à la sanctuarisation par le gouvernement du crédit d'impôt recherche », dont Alcatel-Lucent est un des premiers bénéficiaires. Le directeur général refuse de communiquer sur le montant précis reçu, qui est estimé autour de 90 millions d'euros par an. La CGT confirme que « le groupe a perçu près de 500 millions d'euros de CIR » sur la période 2008-2013. Une grande partie de ces sommes a d'ailleurs été cédée sous forme de créances à des banques. Michel Combes a relevé que « le coût de la R&D en France est compétitif au niveau européen grâce au crédit d'impôt recherche, mais il reste élevé par rapport à l'Inde et la Chine. »

 Malgré l'optimisation de la R&D et les coupes budgétaires, Alcatel-Lucent emploie « 20.000 chercheurs dans le monde et investit 2,2 milliards d'euros d'investissement dans la R&D, ce qui en fait une des principales entreprises technologiques » a fait valoir l'ex-patron de Vodafone Europe et ancien directeur financier de France Télécom.

Le chinois Huawei et ses chercheurs « prétextes »

Michel Combes a raillé son concurrent chinois Huawei, numéro deux mondial des équipements télécoms mobiles, dont le président fondateur Ren Zhengfei, reçu lundi à Matignon par le Premier ministre Manuel Valls, a annoncé un plan d'investissement de 1,5 milliard d'euros en France sur trois ans et son intention d'embaucher pour son nouveau centre de R&D à Sofia-Antipolis, inauguré il y a deux semaines.

« Huawei annonce un investissement qui concerne essentiellement le domaine des smartphones, où nous ne sommes pas. Il a dit qu'il allait recruter 200 chercheurs à terme, d'ici 2018, c'est assez lointain. On se demande si ce ne sont pas des chercheurs prétextes » a lancé Michel Combes.

Axelle Lemaire a tenu à justifier la démarche du gouvernement, tout en se gardant bien de donner son avis sur le « patriotisme économique » cher à l'ex-ministre de l'Economie Arnaud Montebourg, qui avait enjoint les opérateurs français à acheter des équipements Alcatel-Lucent.

« Alcatel-Lucent n'est pas redevenu, il est, reste et restera un équipementier absolument majeur sur la scène internationale. Il est d'ailleurs perçu comme tel par des acteurs étrangers que nous recevons aussi. Le gouvernement suit à la fois une stratégie de terre d'accueil pour les investisseurs étrangers et une stratégie de soutien aux acteurs français dans leur déploiement à l'international. Il n'y aucun paradoxe, aucune contradiction » a défendu la ministre.

Des partenariats par choix et par nécessité

Dans sa configuration amincie, Alcatel-Lucent mise sur les partenariats, à la fois par choix stratégique et par nécessité. Notamment avec le cabinet de conseil Accenture « qui va nous permettre d'améliorer notre capacité d'exécution et de déploiement », décriée par certains clients de l'équipementier ces dernières années, « par exemple pour aider un opérateur à migrer son infrastructure de la commutation standard au tout-IP ou pour un déploiement mondial de small cells, avec une offre commune de bout en bout, grâce au savoir-faire d'intégrateur d'Accenture » a souligné Michel Combes.

Dans les small cells, Alcatel s'est aussi allié au fabricant de puces Qualcomm, qui équipe ses boîtiers, au groupe JC Decaux, avec lequel il teste du mobilier urbain connecté WiFi et 4G à Amsterdam, et à Orange, avec lequel il expérimente des boîtiers Femtocells connectés au réseau commercial de l'opérateur pour les collaborateurs du site de Villarceaux. Les chercheurs d'Alcatel travaillent entre autres sur « le réseau de demain qui s'adaptera au terminal, saura comprendre que vous allez entrer dans un tunnel et « bufferiser » [mettre en mémoire tampon] la vidéo que vous regardez pour maintenir une qualité parfaite sur toute la séquence de communication. »

« Tout ce champ de recherche est important pour Orange. C'est un élément essentiel dans la bataille de la décennie à venir, celle du partage de la valeur avec les grands acteurs « over-the-top » [les géants du Web NDLR] qui maîtrisent les systèmes d'exploitation et la fabrication de terminaux » a relevé Gervais Pellissier, le directeur général délégué d'Orange, présent à l'inauguration.

Chez Alcatel-Lucent, « on a pensé pendant des années au débit. Là, c'est une conception différente, il faut partir de l'expérience client. On redonne de la valeur au réseau par ce biais », a ajouté Michel Combes.

« Culture de collaboration issue du digital » et esprit startup

Cette innovation ouverte avec les grands groupes se double d'une collaboration qui sera renforcée avec des startups et des établissements de recherche de l'écosystème du plateau de Saclay, en s'inspirant de la « culture de collaboration issue du digital » indique Michel Combes. Alcatel-Lucent travaille déjà avec l'incubateur d'Orsay Incuballiance et va accueillir dans un espace réservé plusieurs jeunes pousses télécoms, notamment Greenflops et Red Technologies.

L'équipementier souhaite aussi insuffler cet esprit startup dans le groupe et stimuler l'inventivité de tous ses salariés : il a ouvert cet été « le Garage », un « fab lab » interne avec imprimante 3D accessible en libre service à l'heure du déjeuner, où chacun peut venir bricoler son idée sur son temps libre, « dans une démarche de hacking, de détournement d'objets que l'on trouve dans le commerce comme un robot ou un drone » explique un des responsables du lieu. Selon le groupe, qui espère voir émerger des « graines de startups » et encourager le dialogue hors des silos organisationnels, « Le Garage est la première implémentation de la nouvelle façon d'innover chez Alcatel-Lucent. »

Delphine Cuny

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Commentaires 5
à écrit le 02/10/2014 à 10:56
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Je sens que désormais ALU est entre de bonnes mains, pourvu que ça dure...

le 02/10/2014 à 21:25
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ALU n'embauche plus des communicants...

à écrit le 02/10/2014 à 7:53
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20 ans de plans d amaigrissements de fusion etc ... le gros est devenu petit et quand les maigres maigrissent ils disparaisent !!! il y a 25 ans avec pierre suarn alcatel etait l égal de siemens !!! tristesse et décadence de la france

le 02/10/2014 à 8:27
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y a trop de bofeux dans ce pays. voilà pourquoi on n'avance pas.

le 02/10/2014 à 21:20
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Alcatel s'est fait bouffer par Lucent, la France et l'Europe se font piller par les US et c'est pour ça que l'on n'avance pas .... Cf le TAFTA qui va achever de faire de la France le 52ième état Américain....

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