Cloud : « Microsoft est le Goliath et Box son David »

Six mois après avoir annoncé son introduction en Bourse finalement reportée, la jeune pousse californienne du stockage dans le cloud Box a levé de quoi poursuivre sa croissance échevelée et atteindre la profitabilité, tout en attaquant les grands comptes dans tous les secteurs, face aux géants Google, Amazon et Microsoft. De passage à Paris, son cofondateur et directeur général, l’iconoclaste et survolté Aaron Levie (29 ans) explique à La Tribune sa stratégie.
« La guerre du stockage dans le cloud n’est pas encore terminée » reconnaît Aaron Levie.

Vous avez repoussé à plus tard votre introduction en Bourse. Est-ce que les marchés sont prêts pour de belles histoires de cloud comme Dropbox et Box ?

Aaron Levie - Nous nous trouvons à un moment de notre courbe d'investissements où nous voulons juste poursuivre notre forte croissance. Lorsque nous avons vu que les marchés devenaient très volatils, nous nous sommes dits qu'il valait mieux nous concentrer là-dessus. Nous avons préféré lever de l'argent cet été, 150 millions de dollars, auprès de deux fonds de capital-risque, TPG et celui de deux frères français, Coatue. Nous avons assez d'argent pour mener cette phase de croissance et atteindre la profitabilité d'ici deux ans, même si nous irons sans doute en Bourse d'ici là. Nous avons beaucoup investi, bâti notre infrastructure, recruté les personnes dont nous avons besoin et nous sommes 1.100 personnes maintenant. Notre chiffre d'affaires [+110% à 124 millions de dollars en 2013] va désormais croître plus vite que nos investissements. La fenêtre des marchés financiers est ouverte aujourd'hui mais nous pouvons nous permettre d'attendre puisque n'avons plus de contraintes de capitaux pour l'instant.

La guerre du stockage dans le cloud est-elle vraiment finie, comme vous le prédisiez en juillet ?

 J'ai peut-être un peu anticipé ! La guerre des prix n'est pas encore complètement finie. Quand nous avons démarré Box il y a 9 ans et demi, les disques durs pouvaient stocker 200 Gigaoctets de données, il fallait en acheter des centaines. Aujourd'hui, nous en achetons de 8 Téractotets, c'est 40 fois plus dans un même espace ! Au cours des vingt dernières années, le coût du stockage a même été divisé par 22.000 ! A l'époque, cela n'avait d'ailleurs pas de sens économique de se lancer dans ce business. On pourra encore sans doute stocker 40 fois plus de données dans dix ans et les particuliers pourront stocker toutes les données qu'ils créent au cours de leur vie sans payer un centime.

Nous avons pris conscience qu'il ne fallait plus se battre sur la quantité de stockage. Nous avons supprimé les limitations et proposé de l'illimité pour nos clients entreprises.

Dans l'ensemble, les coûts d'informatique ont diminué par un facteur de plusieurs milliers, mais tout n'a pas changé aussi vite dans l'entreprise, les coûts de transport dans le monde n'ont pas baissé autant par exemple. Certains dirigeants, dont le job n'a pas beaucoup évolué en vingt ans, sont pris au dépourvu par la rapidité de ces changements autour d'eux, par la révolution technologique que nous vivons : le consommateur veut un service à la demande, en ligne, disponible partout, ce qui change la façon dont on sert ses clients. Il faut de nouvelles technologies, de nouveaux outils pour cela et c'est là que nous intervenons.

Vous affrontez des géants, Google, Amazon, Microsoft. Quel est votre concurrent le plus redoutable ?

Microsoft est l'acteur auquel nous prêtons le plus d'attention. Car les directeurs informatiques travaillent avec ce groupe depuis des décennies. C'est l'acteur historique du marché, nous sommes un peu leur David et eux notre Goliath, c'est avec eux que nous sommes le plus en concurrence. Cependant, nous travaillons aussi avec eux, notre solution est compatible avec Office 365 [leur suite logicielle par abonnement]. Il y a aussi de nombreuses startups agiles et puis Google, qui est difficile à définir : est-ce un acteur du marché des entreprises, parfois oui, en ce moment plutôt non, mais nous regardons constamment ce qu'ils font. Et nous sommes aussi partenaires de Google : nous sommes évidemment compatibles avec les téléphones Android, notre service fonctionne avec Google Docs mais on est concurrent de Google Drive. C'est une des réalités de notre secteur, cette compétition mêlée de partenariats.

Notre positionnement est d'aider les entreprises de toutes tailles à être plus productives, à tirer le meilleur parti de leurs données, à les utiliser de façon plus collaborative, en fonction des besoins de chaque secteur. Par exemple, dans le domaine médical, nous venons de racheter la société MedXT, qui a développé une technologie qui donne un aperçu des radios ou scanners, des fichiers lourds aux formats spécifiques, et permet de les consulter à la demande en ligne, que vous soyez radiologue, médecin, patient. Nous ferons sans doute d'autres acquisitions pour compléter notre expertise. Après nous être consacrés au stockage et au partage sécurisé de documents au cours des dix premières années de Box, nous passons à un autre niveau en proposant des expériences uniques dans chaque secteur.

Or nos concurrents ne sont pas concentrés sur ces questions, ils développent des messageries, des applications de calendrier ou de partage de photos. Chez Box, nous sommes uniquement sur le marché des entreprises, afin de les aider à gérer et partager leurs contenus.

Le cloud a-t-il souffert de l'effet Snowden, de l'affaire Prism ?

C'est une question super importante. Le gouvernement américain a placé les autres Etats dans une situation embarrassante et n'a pas mesuré les dommages collatéraux sur la productivité et l'intégrité de l'Internet. Internet est une plateforme mondiale, c'est un tissu qui permet à des entreprises de travailler ensemble, à des individus de communiquer ou de regarder des vidéos produites dans un autre pays, c'est la puissance de l'Internet. Il ne faut pas balkaniser l'Internet.

Mais il y a une grande différence entre les problèmes posés pour Facebook et Gmail et les plateformes mondiales de collaboration. Heureusement, nous sommes sur le créneau des entreprises et les préoccupations nées des révélations de Snowden portent sur le grand public, sur le respect de la vie privée, pas sur les plateformes BtoB. L'affaire n'a pas nui au business : les clients font davantage attention, mais cela a plutôt renforcé les convictions de chaque camp. Les conservateurs ont trouvé de quoi justifier leur intention de ne pas basculer dans le cloud, de toute façon. Ceux qui remettent en cause leur business et cherchent à accroître leur productivité ont réfléchi et continué à utiliser le cloud.

Quelle image avez-vous de la France et de sa maturité à l'égard du cloud ?

Nous avons une dizaine d'ingénieurs français, essentiellement à des postes de direction, comme Pierre-Alexandre Masse, Antoine Boulanger, Florian Jourda, souvent venus faire un master à Stanford ou Berkeley : ils sont formidables, très collaboratifs. Vous avez de grandes écoles d'ingénieurs et d'informatique en France, notamment Polytechnique qui est fantastique. Je devrais peut-être d'ailleurs aller faire un tour sur les campus ! Je suis venu en France rencontrer des clients. Nous sentons un intérêt naissant mais croissant pour des solutions telles que les nôtres en France, où Salesforce mène l'offensive, notre offre complète la leur. Schneider Electric est un de nos premiers clients dans le monde, leur directeur informatique Hervé Coureil est un vrai visionnaire en matière de cloud. Son groupe avait besoin de solutions souples pour partager des contenus avec ses équipes disséminées dans le monde. Il a été très innovant et a adopté les outils de Salesforce, puis les nôtres. Dans chaque secteur, il y a un de ces visionnaires, en avance sur son marché. Mais Schneider est plutôt un exemple précoce de ce qu'il va se produire.

L'actualité du secteur et de ses grandes figures vous inspirent sur Twitter. Avez-vous un modèle, comme Steve Jobs que vous affichez en photo avec Bill Gates sur votre profil ?

C'est vrai, et j'aime les deux ! Je ne m'inspire pas d'une seule personne, mais j'essaie de tirer des leçons, de prendre des idées des uns ou des autres. Il existe de nombreux dirigeants qui ont fait de grandes choses, Steve Jobs évidemment dans le passé, Elon Musk (Tesla, Space X) ou Jack Dorsey (Twitter, Square) aujourd'hui, mais je trouve aussi passionnante la façon dont Marrissa (Mayer) dirige Yahoo et Meg (Whitman) HP.

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