A Mortain, Acome transforme le verre en fibre optique

Dans cette ville normande de 1.700 âmes, l’industriel Acome fabrique chaque jour des milliers de kilomètres de fibre optique nécessaires au déploiement de l’Internet très haut débit dans l’Hexagone.
Pierre Manière
Ces trois prochaines années, Acome prévoit d'investir 12 millions d'euros dans sa filière optique.

Elle est en verre flexible, à première vue aussi fine qu'un cheveu. Et grâce à elle, on peut acheminer des monceaux de données numériques via des signaux lumineux. Cette technologie de pointe, c'est la fibre optique. Pour la concevoir, la France dispose d'un vrai savoir-faire, qu'on retrouve notamment chez Acome. Dans ses usines de Mortain, une petite ville de 1.700 âmes nichée au beau milieu de la Manche, cet industriel tisse chaque jour des milliers de kilomètres de ces précieux fils, qu'il revend ensuite aux grands opérateurs télécoms français (Orange, Numericable-SFR, Free et Bouygues Telecom).

Ce mardi d'hiver, les bâtiments d'Acome sont plongés dans une grisaille pluvieuse dont les employés sont coutumiers. Au total, ils sont environ 1.000 collaborateurs à travailler dans ses différents pôles. Outre, la fibre optique pour les télécoms, qui mobilise environ 200 personnes, l'industriel est aussi spécialisé dans les fils et câbles pour le bâtiment et l'automobile. Née en 1932, cette société coopérative et participative (Scop) s'est très tôt installée à Mortain après le bombardement de ses usines en 1942, en pleine seconde guerre mondiale. Au sein du site, une bâtisse attire d'emblée l'œil du visiteur. Il s'agit d'une grande tour de neuf étages. Baptisée « la fibreuse » par les ouvriers, c'est ici que l'on fabrique la fibre optique, un des fleurons technologiques de la société.

Chasse aux impuretés

Son élaboration, sorte de tissage ultra-moderne, relève de la chirurgie. Pour pénétrer dans la fibreuse, il faut d'abord passer par une « salle blanche », où un système d'aération filtre et évacue en continu toutes les poussières et impuretés. Ici, tous les ouvriers, sans exception, enfilent des combinaisons blanches et des protections pour les chaussures, dont les propriétés permettent de ferrer et de capturer un maximum de particules polluantes. Ceci fait, on peut enfin rentrer dans la tour de fibrage. En bas de l'édifice, Gérard Paris, responsable produit et processus en fibre optique, montre la matière première : de gros barreaux de verre avoisinant les 40 kilos. Ces « préformes », comme on les appelle, sont transportées par chariot tout en haut de la tour pour être chauffés à près de 2.000°C. « On utilise des fours spécialement conçus et protégés par des rideaux pour contrer la chaleur et le rayonnement thermique », explique Gérard Paris, en réajustant ses lunettes de protection obligatoires.

Quelques instants plus tard, une petite goutte commence à tomber. Et sous le simple effet de son poids, le verre commence à s'écouler en un minuscule fil, presque imperceptible, au diamètre de 125 microns. « Dès lors, le verre n'est plus dur, et gagne une grande flexibilité », précise Gérard Paris. Dans les étages en dessous, celui-ci passe par un autre four, moins chaud, avant d'être refroidi et recouvert de plusieurs couches de résine protectrice. D'après notre responsable, « toutes ces étapes sont fondamentales, car si on refroidit la fibre trop vite, on altère ses propriétés de transmission lumineuse ». Rompue à ce complexe manège, la trentaine de techniciens de la fibreuse n'a finalement qu'une hantise : qu'une impureté vienne mettre tout le processus à bas. « Si une poussière touche la fibre, celle-ci casse immédiatement », lâche Gérard Paris, précisant que cela arrive « plusieurs fois par semaine ».

Jusqu'à 864 fibres dans un câble

C'est la raison pour laquelle Acome limite désormais le nombre de visites sur son site. Si les employés se rappellent, non sans fierté, qu'Emmanuel Macron a choisi leur usine pour sa première visite de terrain en septembre 2014, Gérard Paris se souvient, rigolard, que le ministre de l'Economie et sa suite ont provoqué « beaucoup de casses » dans la tour de fibrage.

Les 1.000 kilomètres de fibre obtenu en moyenne pour chaque préforme subissent ensuite une batterie de tests et de vérifications, avant d'être conditionnés dans des bobines de 50 kilomètres. Celles-ci filent ensuite à la câblerie. Ici, les ouvriers confectionnent des « compact tubes », c'est-à-dire des câbles contenant jusqu'à 12 fibres optiques. Au final, en fonction des besoins des opérateurs télécoms, Acome fabrique différents types de câbles. Sachant que les plus gros contiennent jusqu'à 864 fibres optiques.

Le catalyseur du plan très haut débit

D'après Christian Romero, responsable de production pour les télécoms, la câblerie optique fonctionne à plein régime. « On fonctionne par roulement de trois équipes par jour y compris les week-ends. Depuis trois ans, il n'y a pas eu le moindre mois d'arrêt », assure-t-il. Cette année, quelques 80.000 kilomètres de câbles seront sortis de la câblerie, affirme le responsable. Sur le même exercice, il précise que l'activité devrait progresser de 20% par rapport à 2014.

Pourquoi ? Parce que si la filière cuivre d'Acome est déclinante, sa fibre optique bénéficie du plan France très haut débit. Lancé au printemps 2013, cet énorme chantier vise à offrir à tous les Français une connexion Internet dernier cri d'ici à 2022. Or ce plan à 20 milliards d'euros, qui repose sur une initiative public-privée, mise largement sur un déploiement massif de la fibre optique jusque chez l'abonné. Aussi appelé FTTH (pour Fiber To The Home, Ndlr), celui-ci permet en effet d'offrir le plus haut débit possible aux utilisateurs.

12 millions d'euros d'investissements dans la câblerie

Pour faire face à la demande des opérateurs et autres acteurs engagés dans ce programme national, Acome prévoit d'investir 12 millions d'euros dans sa câblerie optique ces trois prochaines années. D'après Jaques De Heere, le PDG de la société, plusieurs dizaines de personnes ont rejoint l'activité optique ces derniers mois. Pour l'heure, le principal souci d'Acome est d'avoir suffisamment de visibilité sur les déploiements en fibre optique des opérateurs, qui doivent aller crescendo, poursuit-il. « Pour nous, industriel et investisseur dans nos moyens de production, le moteur, c'est la visibilité », insiste le PDG. Or à ses yeux, si Orange se montre « transparent » dans ses objectifs de déploiement, cela est moins vrai pour Numericable-SFR, Bouygues Telecom ou Free. Et ce, même si ces derniers se mettent progressivement « dans la roue » de l'opérateur historique.

Reste que grâce aux commandes du plan France THD, Jaques De Heere se montre globalement confiant pour l'avenir du groupe. Il espère passer la barre des 440 millions de chiffre d'affaires cette année, contre 405 millions en 2014. Mais qu'adviendra-t-il de l'activité optique une fois que le déploiement français sera achevé - c'est-à-dire au mieux d'ici 2024-2025, estiment plusieurs observateurs ? D'après Jaques De Heere, « d'autres pays devraient alors suivre l'exemple français ». « L'Allemagne va se convertir à fibre optique, probablement vers 2020. La Pologne s'y met, comme de nombreux pays de l'est. Et on pourra probablement aussi compter sur l'Afrique du nord », se projette le dirigeant. De quoi garder, espère-t-il, des carnets de commandes pleins et à la hauteur de ses capacités de production.

Pierre Manière

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Commentaire 1
à écrit le 06/11/2015 à 11:42
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UN BEL EXEMPLE DE LA TECNOLOGIE FRANCAISE CREATRISE D EMPLOIES? ESPERONS QU A L AVENIR ELLE NE DELOCALISSE PAS ???

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