Altice/SFR : pourquoi les investisseurs font grise mine

Par Pierre Manière  |   |  883  mots
Patrick Drahi, le fondateur et propriétaire d'Altice, maison-mère de SFR.
Ces six derniers jours, le titre du géant des télécoms et des médias Altice a chuté de plus de 27% à la Bourse d’Amsterdam, à 11,77 euros. De nombreux investisseurs ont préféré jeter l’éponge, visiblement très déçus par les derniers résultats de sa filiale SFR. Selon plusieurs analystes financiers, les marchés s’interrogent désormais sur la stratégie du groupe du milliardaire Patrick Drahi.

C'est une sacrée volée de bois vert. Vendredi dernier, le titre d'Altice, le groupe de télécoms et de médias du milliardaire Patrick Drahi, a essuyé un gros revers à la Bourse d'Amsterdam. Pendant cette séance, le titre s'est effondré de plus de 22,5%, à 12,51 euros. Les jours suivants, l'action a continué de baisser plus légèrement. Mercredi, à la clôture des marchés, le titre ne valait plus que 11,77 euros. En matière de valeur boursière, Altice a donc perdu près de 6 milliards d'euros en moins d'une semaine.

Cette dégringolade est intervenue dans la foulée de la publication des résultats trimestriels du groupe. Les regards se sont notamment portés sur SFR, sa principale filiale, qui a une nouvelle fois affiché ses difficultés. Au troisième trimestre, l'opérateur au carré rouge a vu ses ventes reculer de 1,3%, à 2,76 milliards d'euros. Si l'ex-filiale de Vivendi regagne enfin des abonnés dans le mobile (16.000 sur la période), le revenu moyen par abonné, un indicateur très suivi, baisse. Mais surtout, dans l'Internet fixe, le groupe a perdu pas moins de 75.000 clients, couplé, encore une fois, à une baisse du revenu par abonné.

Pour Stéphane Beyazian, analyste chez Raymond James, « les mauvais résultats de SFR » expliquent bien la grogne des investisseurs. « Trois ans après son rachat par Altice, le bilan de l'opérateur est discutable au regard de ses performances commerciales et financières », poursuit-il. « En outre, enchaîne-t-il, les investisseurs deviennent très réticents sur une stratégie d'investissement massif dans un contexte de remontée des taux d'intérêt, alors qu'Altice est le groupe le plus endetté du secteur. » Pour rappel, la dette du géant des télécoms et des médias, qui a racheté en quelques années SFR, mais aussi Portugal Telecom, ou encore les cablo-opérateurs américains Suddenlink et Cablevision, dépasse désormais les 50 milliards d'euros. La crainte des investisseurs, selon l'analyste, c'est que les activités d'Altice aux Etats-Unis, qui pèsent désormais presque 34% de son chiffre d'affaires - contre 48% pour la France - suivent la même trajectoire que SFR. C'est à dire que les réductions de coûts ne débouchent in fine sur un long recul des ventes.

Selon lui, « si la situation de SFR devait se prolonger et si les taux devaient continuer à monter, cela pourrait forcer le groupe à revenir sur certains de ses engagements ». Parmi eux, il cite son récent plan visant à fibrer seul la France sans argent public. Mais aussi sa stratégie d'investissement tous azimuts dans les contenus, et en particulier dans le football. « A terme dans un scénario extrême, enchaîne Stéphane Beyazian, Altice pourrait envisager de vendre certains actifs, comme SFR ou Portugal Telecom. » Toutefois, il souligne que le groupe « n'est pas aujourd'hui en situation de danger financier ». Pourquoi ? D'une part parce qu'il n'a pas d'échéance majeure de remboursement avant 2022. Et d'autre part, parce que 80% de sa dette est à taux fixe.

Déception sur le désendettement

De son côté, Nicolas Didio, analyste chez Berenberg, estime qu'Altice paye probablement les promesses non-tenues émises lors du rachat de SFR en 2014. « La promesse de rétablir la croissance en conquérant des abonnés est constamment reportée », prend-t-il en exemple. « Malgré toutes les hausses de prix et le fait qu'il bénéficie encore d'une TVA avantageuse dans ses offres, le chiffre d'affaires de son cœur de métier, les télécoms, ne progresse toujours pas », affirme l'analyste. Lequel renchérit : « C'est le seul des quatre grands opérateurs français qui, depuis trois ans et son rachat par Altice, a perdu des abonnés à ses forfaits mobiles et dans l'Internet fixe à haut débit. »

Outre les résultats commerciaux et financiers, Nicolas Didio estime que la « volatilité du management » de SFR ne constitue pas, non plus, un point rassurant pour les investisseurs. Récemment, « ils se sont séparés de Michel Paulin [ex-DG de l'opérateur au carré rouge, NDLR], qui avait bonne presse et était redouté par la concurrence, rappelle Nicolas Didio. On a aussi assisté à plusieurs changements de directeurs financiers. » Au passage, il relève qu'avec son plan pour fibrer la France, le groupe « s'est mis à dos une partie du gouvernement », soucieux de préserver son propre plan national Très haut débit. De plus, « SFR n'a rien dit concernant le financement de son plan fibre », continue-t-il. Ce qui représente, selon lui, une erreur pour un groupe coté en Bourse. Dans ce contexte, Nicolas Didio juge que le risque pour Altice et SFR est que les marchés finissent par perdre confiance.

Analyste chez Oddo Securities, Vincent Maulay juge, pour sa part, que ce revers boursier est lié au fait que lors de la présentation de ses derniers résultats, « Altice a abaissé pour la première fois ses objectifs concernant ses revenus et son excédent brut d'exploitation ». En parallèle, l'analyste souligne que « le groupe n'a pas réussi à réduire sa dette, ce qui a participé à la déception ».