Apple a annoncé lundi le lancement de ResearchKit, un "cadre logiciel" qui permettra à des médecins et des chercheurs d'accéder massivement aux données santé qui concernent leur domaine médical afin d'alimenter des travaux de recherche. Ces données proviendront des "applications santé" que des patients auront préalablement installées sur leur appareils (smartphone, montre connectée...). Ces patients, bien sûr volontaires, donnent leur accord pour que leurs données santé soient transmises dans le but de participer à telle ou telle étude médicale, et faire ainsi avancer la recherche. Les pathologies concernées par le "cadre logiciel" de ResearchKit sont l'asthme, le cancer du sein, les maladies cardiovasculaires, la maladie de Parkinson ou le diabète.
Ces patients partageront ainsi avec des équipes de recherche leur taux de glucose, poids, prises de médicaments, etc., via l'application dédiée. Et ce, sous forme de questionnaire, de recueil de mouvement ou d'activité. Derrière chaque application (une par pathologie), un éditeur sera associé à un hôpital spécialisé dans la pathologie. Ensemble, ils récupèreront, analyseront les données que les patients auront accepté de transmettre. Ils pourront ainsi les utiliser pour mener des études cliniques plus efficaces.
La Tribune. Êtes-vous convaincu par l'intérêt de ce nouvel outil lancé par Apple ?
Guillaume Marchand. ResearchKit est vraiment pertinent sur le plan médical. Outre son intérêt pour la recherche scientifique, le patient utilisant l'une de ces applications sera un acteur de sa santé, de la lutte contre sa pathologie. Il sera plus attentif et responsable en ce qui concerne son traitement médical.
En outre, ces applis présentent un intérêt fort pour les industries pharmaceutiques. Ces dernières pourront améliorer la communication avec toutes les personnes qui testent leurs médicaments en phase d'essai (phase 4 en essai clinique). Concrètement, ResearchKit améliorera le recueil des informations sur leur suivi du traitement.
Pour rappel, le concept de suivi des pathologies qu'exploite ResearchKit existe déjà pour des maladies graves avec certaines applications proposant des informations fiables à l'utilisateur. Mais Apple est un acteur extrêmement influent et puissant. Il dispose d'une vraie force de diffusion avec ses 700 millions d'iPhone vendus au total.
Concrétement, comment l'application peut-elle aider à améliorer la recherche médicale et le bien-être du patient ?
Prenons l'exemple de l'asthme. Lorsqu'en pleine crise,vous utilisez un inhalateur (Ventoline par exemple), vous le notez rarement dans un carnet. Or avec cette application, vous pourrez donner le contexte dans lequel cette crise d'asthme est survenue: en voiture car il y avait trop pollution, parce que vous étiez stressé, par exemple.
Ensuite, toutes ces données rassemblées et analysées permettront de comprendre pourquoi les crises se multiplient à ces moments-là et dans de telles conditions afin d'aider la science à comprendre et mieux agir. Vous pourrez alors être en en mesure de prévenir les crises futures.
ResearchKit permet de recueillir des données santé, donc sensibles. Cela risque-t-il de poser des problèmes d'ordre éthique ?
Il n'y a aucune ambiguïté sur la pertinence de la plateforme de ce côté-là. Apple est en train de créer la confiance dont les gens avaient besoin dans la santé mobile. Dans sa politique de gestions des données, la firme de Cupertino est diamétralement opposé à Google. L'écosystème de ce dernier est plus ouvert à l'utilisation des données personnelles, c'est son business model. Chez Apple c'est un fonctionnement fermé, on ne fait pas ce qu'on veut avec les données de la vie privées. Avec le lancement de ResearchKit, Apple a ainsi choisi d'anonymiser et de ne pas utiliser directement les données santé des patients. Après, Apple impose un coût financier supérieur à celui de Google...
Qui paiera justement ? Apple n'a avancé aucun modèle économique pour ces applications...
Je ne vois pas Apple faire payer les malades, ce serait mal vu. Il se tournera sûrement vers les équipes de recherche et les laboratoires pharmaceutiques pour monétiser ResearchKit.
Apple évoque un cadre "open source" pour ResearchKit ? C'est-à-dire ?
Apple est dans le faux lorsqu'il utilise ce terme d'open source (à disposition de tous, ndlr). L'environnement d'Apple est verrouillé comme je vous le disais, que ce soit au niveau des logiciels ou de la connectique. Pour le cas de ResearchKit, les données "anonymisées" sont confiées à des équipes expertes et elles seules ont le droit de les partager avec la communauté scientifique. En outre, ce sont des équipes américaines. Se pose ainsi la question de la place des équipes françaises et étrangères dans ce projet. Les Etats-Unis sont déjà largement numéro 1 dans le domaine des publications de santé et ce nouvel outil ne va pas changer cela, bien au contraire.
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