Apprentissage des langues : le numérique aide, mais ne détrône pas l’humain

Un nombre croissant de startups surfent sur la vague de l’apprentissage des langues via le numérique. Si les outils 2.0 permettent d’acquérir des connaissances de façon originale, beaucoup d’enseignants les considèrent comme des compléments à une pédagogie « présentielle » qui reste indispensable.
Charlotte, 10 ans, a rendez-vous avec sa coach Abby, une fois par semaine via la plateforme VivaLing pour des discussions en anglais. Ancienne expatriée de retour en France, la jeune fille et sa famille avaient peur de perdre son niveau de langue en retrouvant le système scolaire français.

Apprendre l'anglais via une application, regarder des vidéos en allemand ou répondre à des quiz en ligne en espagnol... le numérique s'empare de l'apprentissage des langues. En témoigne la multiplication des applications et logiciels proposés par les startups de l'EdTech spécialisées dans l'enseignement des langues. En classe, les professeurs aussi proposent des cours de langue en recourant aux outils du numérique - on parle de « classes inversées », de tableaux interactifs, de QCM en ligne.

Mais, tandis que le gouvernement Valls a présenté, en 2015, un plan numérique pour l'éducation, et qu'Emmanuel Macron a renouvelé la volonté d'inclure dans l'enseignement ces outils, du côté du corps enseignant, les avis divergent.

De l'enthousiasme démesuré à un usage raisonné

Beaucoup de professeurs ressentent encore des craintes vis-à-vis des nouvelles technologies et s'attachent à la poursuite des cours traditionnels. D'autres en revanche, s'appuient sur ces outils pour enrichir leurs cours, sans pour autant en faire une apologie sans limite.

C'est le cas de Géraldine Larguier, enseignante de français à l'université de Pau, qui utilise le numérique dans ses cours depuis une demi-douzaine d'années. Elle a commencé en Turquie, lors de cours de français.

« J'ai vraiment vécu la transition : on est passé par un enthousiasme démesuré, à un recul certain pour finir par une position modérée. »

Et c'est, en effet avec précaution que la professeure utilise aujourd'hui le numérique dans ses cours. Elle fonctionne en « classe inversée », demandant à ses élèves de regarder des capsules vidéo avant les cours pour les préparer, « une façon de toucher différents canaux sensoriels ». Elle utilise aussi des plateformes pour créer des quiz en ligne ; ou réalise des « nuages de mots » pour travailler sur les représentations. Géraldine Larguier utilise souvent des outils collaboratifs, les teste en amont et donne ensuite son avis à ces collègues via les réseaux sociaux.

Pour l'enseignante, intégrer les outils numériques à son cours demande un travail supplémentaire mais les résultats sont visibles sur le long terme.

« Parce que j'ai de l'expérience, je ne sépare pas la conception du cours, des outils numériques. Je les intègre directement dans le processus de construction du cours. (...) Enseigner avec le numérique, c'est énergivore, chronophage. Ça demande plus d'investissement que les cours traditionnels. Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que c'est un gain de temps sur le long terme. »

« L'alternance entre les cours magistraux et numériques est importante »

L'enseignante insiste sur un point, cependant : le numérique appelle à la prudence. Il lui arrive de ne pas se servir du tout de ces outils : « Faire un cours en tout numérique reviendrait à la même monotonie qu'un cours totalement magistral. Ce qui est important, c'est l'alternance entre les deux. » Géraldine Larguier en est consciente, un marché énorme est en train de se développer concernant l'EdTech mais pour elle apprendre les langues exclusivement via le numérique est risqué. « Il faut l'utiliser en complément du présentiel. »

| Lire aussi : EdTech: les startups de l'éducation fourmillent

Elle cite l'exemple d'étudiants, qui ont appris le français par des plateformes : « Pour eux, tout ce qui était de l'ordre de l'interaction était impossible. Ils avaient d'énormes lacunes et n'étaient pas capables d'improviser. Les plateformes peuvent être un complément mais ce n'est pas suffisant pour l'apprentissage des langues. » Le risque, avec ces canaux de diffusion numériques, serait de « se contenter de mettre des contenus en ligne » sans un accompagnement humain. « L'enseignement des langues ne peut être satisfaisant que lorsqu'il y a un groupe car cela est réaliste et répond aux conditions de la vie réelle. (...) Un ordinateur ne sera jamais une personne. »

Apprendre par l'interaction

Et si, les applications purement numériques fleurissent, certaines startups ont justement fait le choix de se démarquer par une dimension humaine à travers les outils 2.0. Parmi ces EdTech, on peut citer Absolutely French, une startup qui permet aux conjoints d'expatriés d'apprendre le français. « Le digital est un outil », mais tout repose sur des expériences pratiques. « Nous sommes partis du principe que nous retenons davantage ce que l'on vit », explique Armelle Perben, fondatrice de la startup.« Ainsi, à travers des ateliers, les apprenants se rendent au marché, font des jeux de piste dans Paris, se glissent dans des rôles en petit groupe ou encore cuisine. » En complément de ces mises en situation, « le digital est obligatoire », précise-t-elle. Absolutely French développe ainsi une plateforme de e-learning pour qu'avec le présentiel, des exercices ludiques soient présents en ligne. Une application est également en préparation qui proposera un mot en français chaque jour. « Cela nous permet de nous faire connaître, d'apprendre et de réviser », ajoute Armelle Perben.

C'est également sur l'interaction qu'a misé Vivaling, qui se présente comme une académie en ligne. La startup proposer aux enfants, âgés de 3 à 18 ans, des cours de langue via le numérique. Mais, au lieu de regarder de simples vidéos, les utilisateurs apprennent en interagissant avec des professeurs dont la langue maternelle est celle enseignée. « En construisant notre pédagogie, nous avons conclu que, pour bien apprendre, il faut que ce soit fait avec une personne native du pays de la langue, et que l'enseignement soit actif, donc dans un contexte de communication », note Ludivine Hamy, responsable communication et marketing à Vivaling. « Ainsi, il ne s'agit pas de, simplement regarder un dessin animé par exemple. Les parents, qui ont pu être dubitatifs au début, voient qu'il y a une vraie personne derrière l'écran (un coach) qui réagit aux mimiques de l'enfant par exemple et qui personnalise les sujets d'apprentissage. »

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VivaLing EdTech jeune fille + ordinateur

(Charlotte et sa coach Abby discutent via la plateforme VivaLing une fois par semaine. Crédits photos : AF)

C'est le cas de Charlotte, 10 ans, qui a rendez-vous avec sa coach Abby, une fois par semaine. Pour cette jeune Francilienne et ses parents, bien qu'étant inscrite à un cours « d'anglais renforcé » en plus de ses quatre heures de langue vivante hebdomadaires, cela n'était pas suffisant. Après avoir vécu 2 ans à Singapour avec sa famille expatriée, l'écolière et ses parents ont eu peur qu'en réintégrant le système scolaire français, son niveau d'anglais chute. « Il y a quand même de gros soucis pour l'apprentissage des langues en France », estime Elodie, la maman de Charlotte. Avec VivaLing, une fois par semaine, à la manière d'un vidéochat type Skype, la jeune fille échange avec sa coach sur « Halloween, noël, le sport ou l'équitation », des thématiques auxquelles elle est sensible. Et c'est donc, en plus de l'aspect pratique lié au choix du créneau horaire, pour le côté « hyperpersonnalisation » et « discussion » que la famille de Charlotte a tranché pour VivaLing.

L'impulsion des dirigeants de l'Education nationale

A l'image de Charlotte, les plateformes numériques servent souvent de complément pour les jeunes apprenant de langues étrangères à l'école. De nombreuses startups se présentent comme un appui plutôt qu'en remplacement les cours traditionnels. Une position modérée partagée par des enseignants de plus en plus nombreux mais qui peinent encore à convaincre leurs semblables, les parents et mêmes certains élèves. « Bien qu'ils se servent d'Internet et de leur smartphone au quotidien, ils sont complètement perdus pour le faire dans le cadre scolaire », relève Anne Hatterer, professeure d'anglais dans un collège de Bischheim (Bas-Rhin). « Tout un travail de pédagogie est à faire là-dessus », complète-t-elle. Et pour cela, il ne faut pas non plus négliger « l'impulsion des décideurs : chefs d'établissement, directeur, proviseur, préfet... », ajoute l'enseignante Géraldine Larguier. Car si « oui, le numérique a un coût », le principal obstacle à une pédagogie enrichie par le numérique reste le manque d'un élan plus important.

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Commentaires 3
à écrit le 31/10/2017 à 3:28
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Rien ne remplacera jamais un bon pedagogue. La psychologie est le premier acte dans l'enseignement. Une machine n'a pas de sensibilte.

à écrit le 30/10/2017 à 20:59
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Il faut arrêter de dire que certains enseignants ont des craintes vis-à-vis des nouvelles technologies sous prétexte qu'ils prônent un usage raisonné, tout ça pour écrire un article qui livre la même conclusion. Tout cela véhicule des clichés. Le num...

à écrit le 30/10/2017 à 16:50
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"Apprentissage des langues : le numérique aide, mais ne détrône pas l’humain" En effet, d'autant plus qu'il parait que les langues servent aux humains à dialoguer entre eux. Mais ne le répétez pas à n'importe qui, c'est nouveau, ça vient de sortir et...

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