« Dans les télécoms, l’Europe doit être plus pro-investissements » (Anne Bouverot, GSMA)

Directrice depuis 2011 de l’Association mondiale des opérateurs mobiles (GSMA), Anne Bouverot va prendre la tête de Morpho, une filiale de Safran spécialisée dans l’électronique pour la sécurité. Pour elle, l’Union européenne doit revoir la façon dont elle régule les télécoms, sous peine de voir ses champions perdre du terrain face à leurs concurrents américains et asiatiques.
Pierre Manière
Pour Anne Bouverot, le retard européen dans la 4G pèse sur la compétitivité des entreprises.

Dans les années 1990, l'Europe a été leader dans la 2G avec le développement du standard GSM. La dynamique s'est poursuivie avec la 3G. Mais le Vieux Continent a raté le virage de la 4G, face à des acteurs américains et asiatiques de plus en plus offensifs... Où en est-on ?

Il est important de rappeler que l'Europe a été une locomotive pour déployer la 2G et l'imposer comme une technologie mondiale. Cela a été un grand succès et a permis d'accoucher de la plus grande plateforme mobile du monde. Les constructeurs, comme Apple et Samsung, en ont largement profité. Désormais, il y a 7 milliards de cartes SIM dans le monde. Beaucoup d'individus disposent de deux puces, mais en moyenne, on estime que 3,7 milliards de personnes utilisent un mobile. Cela représente la moitié de la population mondiale. C'est beaucoup, mais on voit qu'il reste des choses à faire...

Concernant la 4G, il est clair que l'Europe a pris beaucoup de retard par rapport aux Etats-Unis et à plusieurs pays asiatiques, comme le Japon ou la Corée du Sud. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. En premier lieu, les fréquences 4G ont été octroyées tardivement et de manière disparate en Europe. Alors qu'aux Etats-Unis, la procédure a été gérée au niveau fédéral, ce qui a permis d'aller beaucoup plus vite.

En outre, dans plusieurs pays comme en Allemagne ou au Royaume-Uni, les fréquences 3G ont été vendues à prix d'or. Dans un contexte de morosité économique, les Etats ont voulu en tirer des prix élevés auprès des opérateurs, ce qui a plombé leurs comptes et leurs investissements. Pendant ce temps-là, les Etats-Unis et le Japon ont fait de gros efforts sur la 4G. Il en va de même pour la Chine, où le mobile devient l'accès à Internet de référence.

L'enjeu apparaît pourtant crucial, comme en témoigne l'essor fulgurant de la consommation de données sur mobile...

Le retard européen a un impact sur la compétitivité de ses entreprises, c'est évident. Mettre en place des écosystèmes de startups sur un réseau 3G quand ses concurrents bénéficient de la 4G, par exemple, s'avère problématique. En outre, cela ralentit la transformation digitale des entreprises. Les investissements dans les infrastructures doivent redevenir une priorité. On discute beaucoup d'ailleurs avec la Commission européenne pour choisir quels leviers activer. Ce que l'on souhaite surtout, c'est que le cadre réglementaire soit plus pro-investissements qu'il ne l'est actuellement.

Dans ce contexte, que pensez-vous des mouvements de concentration à l'œuvre sur le Vieux Continent ? Y voyez-vous, comme certains, un moyen de rehausser les prix, et donc de dégager plus de fonds pour investir dans les réseaux ?

Oui, nous pensons que la concentration est une bonne chose. Il y a quelques temps, en Europe, la mode était au lancement d'un quatrième voire d'un cinquième opérateur. Or, depuis deux ans, un mouvement de consolidation est à l'œuvre. Les rapprochements et les discussions en ce sens vont bon train. C'est notamment le cas en Allemagne, en Autriche, en Irlande et en France. Pourquoi ? Parce que dans bien des cas, les nouveaux opérateurs perdaient de l'argent sur le long terme. Nous pensons qu'un retour à trois acteurs serait plus sain dans de nombreux pays : cela permettrait de relancer l'investissement tout en gardant un bon niveau de concurrence. Pour mémoire, il y environ 150 opérateurs en Europe qui disposent d'un réseau mobile, contre sept aux Etats-Unis, et trois en Chine... Regardez ce qui se passe au Danemark : quatre opérateurs sont présents dans le mobile. Mais pour un si petit pays, déployer quatre réseaux 4G n'a pas de sens...

En clair, vous ne partagez pas la position de Margrethe Vestager. Début juin, la commissaire européenne à la Concurrence a déclaré qu'« il y a de nombreux exemples où une consolidation excessive débouche sur une moindre concurrence, un renchérissement des factures payées par les consommateurs et une moindre innovation »... La politique de l'UE à l'égard des télécoms est-elle, selon vous, à revoir ?

Je vais répondre par un exemple. Il y a un an et demi, en Autriche, Orange a cédé sa participation dans Orange Austria au profit d'une filiale de Hutchinson Whampoa, un opérateur local. Or, à ce moment-là, la Commission a accepté, mais a demandé à ce qu'une partie des fréquences soit mise aux enchères. Son objectif ? Permettre à un quatrième opérateur de voir le jour. Au final, personne n'a voulu acheter ces fréquences...

L'Europe a-t-elle des moyens de refaire son retard ? Et de ne pas rater le coche de la 5G ?

Il est important pour les opérateurs de participer activement à la standardisation de la 5G. Si les Européens sont bien placés, cela permettra notamment à des groupes comme Nokia et Ericsson d'être d'emblée bien positionnés. Il s'agit d'une course de vitesse. Le Japon et la Corée du Sud, en particulier, veulent être les premiers à déployer cette technologie. En témoigne, d'ailleurs, le souhait de Séoul de lancer la 5G lors des Jeux Olympique d'hiver [de Pyeongchang, Ndlr], en 2018. Même s'il est probable que les premières offres commerciales arriveront plutôt vers 2020.

La sécurité est un des grands enjeux du très haut débit mobile. Sur ce créneau, le Vieux Continent est bien positionné. Vous allez d'ailleurs prendre la tête de Morpho, une filiale de Safran, leader dans ce domaine...

De fait, la sécurité devient très importante sur mobile, car de plus en plus de données sensibles (liées à la santé, aux comptes en banque...) y transitent. Les opérateurs en ont conscience, et c'est pour cela qu'ils ont lancé, il y a un an, lors du Mobile World Congress du GSMA, le service Mobile Connect. [Celui-ci permet aux clients de bénéficier d'une identité universelle qui les authentifie lorsqu'ils accèdent à des services comme Deezer ou Amazon, Ndlr] Cette année, 15 opérateurs l'ont lancé. En France, Orange et SFR vont bientôt le mettre en place.

Pour ma part, j'ai fait le choix de Morpho car je suis persuadé qu'il s'agit d'un secteur d'avenir. Il y a énormément de choses à développer, comme la biométrie sur smartphone, ou le développement d'algorithmes de vérification à l'entrée des services sensibles.

Pierre Manière

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Commentaire 1
à écrit le 10/07/2015 à 10:46
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Safran sécurité s est fait double par une petite Pme française qui a lancée sont système d encryptage voix ét data pour les entreprises 150€ le boîtier avec à la clé une optimisation du roaming a l Internationnal ! Square by vivaction tiens la dragée...

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