Droits du foot anglais : Drahi s’attaque au gagne-pain de Bolloré

En mettant la main sur les droits de la Premier League au nez et à la barbe de Canal+, Altice, la holding de Patrick Drahi vient marcher sur les plates-bandes de Bolloré. Il relance ainsi la bataille entre les cadors français des télécoms et des médias.
Pierre Manière
Patrick Drahi, le patron d'Altice, maison-mère de Numericable-SFR.
Patrick Drahi, le patron d'Altice, maison-mère de Numericable-SFR. (Crédits : © Philippe Wojazer / Reuters)

Ce coup de tonnerre risque fort d'accélérer les grandes manœuvres dans les télécoms et les médias. Mercredi soir, le groupe Altice (maison-mère de Numericable-SFR) a confirmé avoir décroché les droits de la Premier League pour la période 2016-2019 pour la France et Monaco. Le groupe n'a pas dévoilé le montant, mais selon Reuters et Les Echos, celui-ci serait faramineux, de l'ordre de 300 millions d'euros. C'est-à-dire beaucoup plus que les 62 millions d'euros par an déboursés par Canal+ pour la période précédente 2013-2016.

En agissant de la sorte, Patrick Drahi, le patron d'Altice, s'attaque directement à Vincent Bolloré, le tout-puissant patron de Vivendi, dont Canal+ constitue un de ses plus importants actifs. Le foot constitue en effet un des produits d'appels phare de la chaîne. Le coup est donc rude à plus d'un titre. D'une part, la perte de ce contrat et cette nouvelle concurrence promet d'avoir un impact sur sa base d'abonnés. Sachant qu'on niveau du groupe Canal+, en France, celle-ci s'érode depuis un an. « Sur le football payant, on passe à un marché à trois acteurs, avec Canal+, BeIn Sports, et maintenant Altice », rappelle Sylvain Chevallier, spécialiste des télécoms chez BearingPoint. D'autre part, cela risque mécaniquement de renchérir ses coûts fixes, c'est à dire les tickets d'entrée pour les droits de diffusion des prochaines compétitions de football. Interrogé par La Tribune, Vivendi ne fait « pas de commentaires » sur le sujet.

« Altice 1-0 Vivendi »

C'est peu dire que cette perte de la Premier League, considérée par beaucoup comme le meilleur championnat de football sur le Vieux Continent, a constitué une « surprise » pour beaucoup d'analystes et observateurs des médias. Il y a deux semaines, lors de la présentation de son plan stratégique aux équipes de Canal+, Vincent Bolloré n'avait-il pas indiqué « qu'il fallait avoir le courage d'investir quand cela allait mal » ? Avant de juger « indispensable » de miser dans le sport pour garder ses abonnés... Dans une note titrée « Altice 1-0 Vivendi », les analystes de Morgan Stanley jugent ainsi qu'il s'agit d'une « mauvaise nouvelle pour Canal+ », dans la mesure où la Premier League constituait « un des produits les plus qualitatif et différenciant » de la chaîne.

Du côté d'Altice, cette emplette vient confirmer sa stratégie de « convergence » entre les médias et les télécoms. Avec le foot anglais, Altice affiche une politique de contenus globale, englobant l'actualité, avec NextRadioTV (BFM, RMC), le cinéma, avec notamment Zive (un nouveau service de SVOD semblable à Netflix, lancé au début du mois), en plus de ses chaîne de sports et de documentaires existantes.

Le savoir-faire de Drahi dans les contenus

Si par le passé, certains opérateurs télécoms ont essayé de prendre pied dans les médias avec des fortunes diverses, la stratégie d'Altice apparaît différente. Pour Sylvain Chevallier, il ne faut pas oublier que Patrick Drahi vient du monde du câble et la télévision payante. « Altice a un vrai savoir-faire, explique-t-il. C'est depuis longtemps son métier de vendre des contenus via des bouquets spécifiques. Ils savent rentrer chez le client pour générer des RGU (pour « Revenu Generating Unit », qui exprime le nombre de services - voix fixe et mobile, Internet, télévision... - souscrits par un abonné). »

Cette stratégie commerciale est donc sur le fond bien différente des autres opérateurs télécoms, dont le métier consiste d'abord à fidéliser leurs clients le plus longtemps possible, via un accès à l'Internet fixe. Et à partir de là, de leurs proposer des services complémentaires, comme le mobile ou de la vidéo à la demande, pour augmenter l'ARPU, c'est-à-dire le chiffre d'affaires moyen réalisé par un opérateur avec un client. C'est notamment la stratégie mise en place par Orange à la fin des années 2000. L'opérateur historique avait décroché l'exclusivité sur certains matchs de la League 1. En les réservant à ses clients, il s'en était servi comme simple produit d'appel, moyennant un abonnement complémentaire. Mais l'initiative s'est soldée par un cuisant échec. Suite à des plaintes de la concurrence, Orange a finalement été condamné en justice. Et depuis, l'opérateur privilégie les partenariats pour diffuser des contenus sportifs.

Le pari de Bolloré à l'International

Avec son étiquette d'« acteur des télécoms et des médias », plus que celle d'un simple opérateur de télécommunications, Patrick Drahi vient donc clairement menacer Canal+ et Vincent Bolloré, sur le sport comme sur le cinéma. C'est pourquoi, selon plusieurs observateurs du secteur, il est fort probable que la concurrence d'Altice pousse le chef de file de Vivendi à accélérer sa stratégie d'internationalisation. Largement recentré dans les contenus, Vincent Bolloré multiplie actuellement les offensives pour élargir sa base de clients hors des frontières de l'Hexagone. Ces derniers mois, Vivendi a ainsi lancé des chaînes dédiées au sport pour diffuser la Ligue 1 en Afrique Subsaharienne, et au mois de septembre, il a augmenté sa participation dans Dailymotion, la portant à 90%.

Surtout, Vincent Bolloré semble également miser sur les télécoms, en témoigne sa montée au capital de Telecom Italia, dont il est devenu le premier actionnaire avec plus de 20% du capital. Et ce, même s'il doit faire face sur ce dossier à la fronde de Xavier Niel, le patron d'Iliad (Free), qui dispose d'une participation potentielle de plus de 15% dans l'opérateur transalpin.

Bientôt un rapprochement entre Canal+ et le Qatar ?

D'après Bruno Hareng, analyste médias chez Oddo Securities, la perte des droits du foot pourrait accélérer un rapprochement entre Canal+ et le Qatar, propriétaire de BeIn Sports. Citant une source « qui connaît bien le monde de la TV payante », l'analyste précise que ce rapprochement pourrait avoir du sens. Pourquoi ? Parce que « ceci permettrait d'une part de limiter la concurrence en France, mais aussi de mettre en place des synergies au niveau mondial », notamment « dans les pays du Golfe, en Asie et en Afrique », rapporte l'analyste. La bataille pour les télécoms et les médias est donc bien loin d'être terminée.

Pierre Manière

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Commentaire 1
à écrit le 30/11/2015 à 18:29
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Bollore a l'air d'avoir tout faux Il a viré pratiquement toute la direction de canal et voila le resultat il n a rien vu venir Si on pense que la Moitié des abonnées environ 3 millions viennent chez canal pour le foot c'est mal barré surtout qu il...

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