Hadopi : état des lieux avant l'envoi des premiers courriers

Rappel des personnes visées par la loi contre le téléchargement illégal sur Internet et ses dispositions clés, avant que la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) n'envoie dans les prochains jours, les premiers courriers d'avertissement aux pirates.

On se souvient des multiples rebondissements pour faire voter le projet de loi qui s'appuyait sur le rapport de Denis Olivennes, l'ex PDG de la Fnac. Les députés socialistes se sont cachés derrière les rideaux pour le premier vote, le conseil constitutionnel a rejeté la première version du texte... Mais retenons que la loi création et Internet a finalement été votée en juin 2009, créant notamment la Haute autorité pour la diffusion des ?uvres et la protection des droits sur Internet, Hadopi. Il s'agit plus précisément de l'instance chargée d' envoyer les premiers courrier d'avertissements aux internautes qui téléchargent illégalement.

Rappel du mode opératoire :  

La Hadopi, autorité publique indépendante, est un intermédiaire entre ceux qui détiennent des droits pour des films ou des musiques et la justice. Les premiers s'occupent de repérer les fraudes sur les réseaux de partages de fichiers (peer-to-peer). Ensuite, ils envoient l'identifiant Internet des pirates, leur adresse IP, à l'autorité publique. A ce stade, la Hadopi contacte les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) pour connaître l'identité civile de la personne associée à cette adresse IP. Une fois le fraudeur démasqué, la procédure d'avertissement peut alors démarrer.

Tout d'abord, ce fraudeur reçoit un premier courriel d'avertissement dans lequel on lui demande d'arrêter de télécharger illégalement. S'il continue malgré l'avertissement, un second courriel accompagné d'une lettre recommandée lui est envoyé. Enfin, si le fraudeur persiste et signe, le dossier peut être transmis à un juge qui peut prononcer la suspension de l'accès à Internet pour une durée maximum d'un mois.

Durant cette période, l'abonné sanctionné ne pourra pas souscrire à un nouvel abonnement sous peine de sanctions plus sévères allant jusqu'à 37.500 euros d'amendes et deux ans d'emprisonnement. A noter que le juge pourra être saisi, soit par la Hadopi, soit par les ayants-droit des ?uvres. Par ailleurs, la Hadopi peut aussi s'attaquer à la "négligence caractérisée" : autrement dit, si quelqu'un se sert de la connexion Internet d'un tiers pour télécharger illégalement de la musique ou des films, ledit tiers est considéré comme responsable.

Quelques grains de sable pourraient toutefois gêner les rouages de la Hadopi et quelques point restent à préciser.

Qui paie les coûts liés à l'identification des pirates ? 

On ne sait toujours pas qui va payer les frais occasionnés par la recherche de l'identité de l'individu associé à une adresse IP. La majorité des fournisseurs d'accès à Internet (FAI) ont réclamé à ce que l'Etat leur paie une facture, demande rejetée jusqu'à présent par le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand. Néanmoins la position des FAI n'est pas unanime : SFR serait prêt à faire face lui-même à ces frais (Vivendi un des ses actionnaires soutient la loi création et Internet) alors que dans le même temps Free exige un remboursement total des frais.

Comment se protéger des pirates, squatteurs de connexion ? 

La Hadopi doit labéliser des moyens pour permettre à chacun de sécuriser son accès Internet et éviter qu'un pirate ne l'utilise pour télécharger illégalement. De cette manière, les internautes pourront se défendre en cas d'accusation de "négligence caractérisée" et prouver leur bonne foi. La Hadopi a lancé fin juillet une consultation auprès des professionnels et laisse une adresse mail ([email protected]) à disposition jusqu'au 10 septembre pour que ces derniers puissent proposer des logiciels ou du matériel comme des routeurs (les Box Internet) assurant la sécurisation des connexions Internet. Cette labellisation a vocation à être un service d'accompagnement de l'utilisateur d'Internet, la volonté de la Hadopi étant de clarifier l'utilisation de cet outil. Le recours à des dispositifs labélisés ne sera cependant pas obligatoire.

Sur quels décrets va pouvoir s'appuyer la Hadopi ? 

Parmi les décrets qui donnent une base juridique permettant à la Hadopi de faire son travail, deux font l'objet de recours auprès du conseil d'Etat et pourraient même être annulés. C'est l'association French Data Network (FDN), crée en 1992 pour offrir des services Internet à prix bas qui a déposé ces recours en sa qualité de fournisseur d'accès à Internet déclaré à l'Arcep. Pour eux, le décret du 5 mars 2010, qui définit les modalités d'utilisation des données recueillies par les ayant droits et celles transmises par les fournisseurs d'accès à Internet, aurait du être avalisé par l'Arcep, le régulateur des télécoms. Pour Benjamin Bayart, président de la FDN qui a déposé un recours en annulation, cette consultation aurait permis de révéler et corriger des incohérences techniques dans ce décret crucial pour le fonctionnement de la Hadopi.

Le Conseil d'Etat ne s'étant pas prononcé sur sa légalité, la FDN a déposé depuis deux autre recours, toujours auprès de cette instance, concernant un autre décret datant du 26 juillet. Il fait lui aussi l'objet d'un recours en annulation puisqu'il s'appuie sur celui du 5 mars. Mais le fournisseur d'accès a aussi demandé début août la mise en ?uvre d'une procédure accélérée permettant de suspendre l'application du dernier décret et éviter que la Hadopi ne puisse envoyer ses premiers courriers, action qui serait juridiquement très fragilisée si le conseil d'Etat annulait les deux décrets.

Contacté par Latribune.fr, le président de l'association FDN se dit très confiant quand à l'avancée des recours en annulation. Concernant le recours en référé dont l'audience est prévue le 8 septembre, Benjamin Bayart est plus réservé mais considère qu'une suspension serait plus prudente : "Si des procédures sont entamées sur la base du décret du 5 mars, et qu'il est annulé en fin de compte, toutes les procédures en cours (de la Hadopi) devront être annulées. La suspension serait donc plus prudente..."

Pour faire face à ce problème juridique, le ministère de la culture aurait, selon le site Internet Numerama, transmis au mois de juillet un projet de décret à la Cnil (la Commission nationale informatique et libertés) visant à remplacer celui du 5 mars attaqué pour vice de procédure et pour lequel il est fort probable que l'Arcep soit consulté.

Quel contrôle pour les téléchargements hors Peer-to-peer ?  

C'est l'une des principales critiques faite à la Hadopi. Celle-ci ne s'intéresse pour l'instant qu'aux réseaux de "peer-to-peer" où les fichiers sont échangés d'un internaute à un autre. Pour des raisons techniques, les ayants droits ne peuvent s'attaquer qu'aux internautes qui téléchargent via ces réseaux.  Or, ces réseaux de téléchargement sont de plus en plus délaissés au profit des sites de téléchargement direct, appelés "direct download".

Alors qu'avec l'ancien système, on téléchargeait un fichier qui se trouvait sur l'ordinateur d'un autre internaute, (ce qui permet de retrouver les adresses IP), les pirates téléchargent désormais en majorité sur des sites Internet, qui hébergent films et musique et sont, grâce à la publicité, très lucratifs. Ces sites auraient même vu une hausse de leur fréquentation depuis le vote de la loi sur la Hadopi. Deux des plus connus, Rapidshare et Megaupload, figurent d'ailleurs parmi les 60 sites web qui sont les plus visités au monde selon le classement Google.

Il est difficile de lutter contre ce mode de téléchargement, la directive européenne sur le commerce électronique, impose seulement aux hébergeurs de retirer les contenus qu'après avoir été notifié de leur caractère illicite. Ils ne sont pas tenus en amont de vérifier la légalité des contenus. Une contrainte quasiment sans impact. Si par exemple un ayant droit découvre que son film est disponible gratuitement sur un site Internet, il ne peut demander que le retrait du ou des fichiers qu'elle aura repéré. Une fois ces fichiers supprimés du site, il est possible d'en renvoyer, sous un nom différent par exemple. Le détenteur des droits devra à nouveau signaler la présence illégale d'un fichier sur le site pour le voir supprimer. Un jeu du chat et de la souris qui joue en défaveur des ayants droit.

Pour l'instant peu de solutions systématiques s'offrent aux ayants droit pour leur permettre de répertorier tous ces fichiers efficacement. Il n'est par exemple pas possible d'exiger le retrait des tous les fichiers portant un nom proche de celui d'un film ou d'une chanson puisqu'il est possible que parmi les fichiers portant ce nom, des internautes aient simplement déposé leur vidéo de vacances ce qui est parfaitement légal.

Ces pratiques consistant à filtrer les contenus mis en ligne portent atteinte en outre à la liberté de communication. D'ailleurs le Conseil constitutionnel, lorsqu'il avait rejeté le premier projet de loi Hadopi, avait soumis à plusieurs conditions strictes la possibilité d'opérer un filtrage des fichiers mis sur le Web : il exigeait l'intervention d'un juge, à qui il appartiendra "de veiller au caractère proportionné des mesures qu'il ordonnera ", ainsi que la mise en place d'une procédure contradictoire qui suppose que des arguments très sérieux soient avancés pour mettre en place un système de filtrage.

Les incitations à des pratiques légales :  

Pour inciter les jeunes à plus se diriger vers les modes de téléchargement légaux et payants, le gouvernement devrait lancer à la rentrée la carte Musique Jeune qui permet de subventionner la consommation de musique des 12-25 ans. Les jeunes pourront acheter de la musique pour une valeur de 50 euros sur des plateformes de téléchargement légal en ne dépensant que 25 euros, l'autre moitié de la facture étant financée par l'Etat qui dépensera 25 millions pour cette mesure.
 

 

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