Mobile : les secrets de l'irrésistible ascension du chinois Huawei

Fondé en 1988, l'équipementier télécoms a multiplié par treize son chiffre d'affaires en dix ans et quasi doublé ses effectifs en cinq ans. L'entreprise, qui réalise déjà les deux tiers de son activité à l'international, veut faire de l'Europe sa deuxième base domestique et renforcer son implantation locale.
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Sous les dorures du salon Roland Bonaparte du somptueux hôtel Shangri-La, à deux pas de la Tour Eiffel, Ken Hu, le Pdg en exercice du numéro deux mondial des équipements télécoms, Huawei (prononcer « ouai-ouaye »), explique, dans un anglais parfait, après quelques mots en français pour la forme, comment le géant chinois « peut aider » la France et ses régions à accélérer dans le très haut débit. « Nous avons beaucoup à offrir », fait valoir ce quadra jovial, entré en 1990 chez Huawei comme 41e employé. Il rappelle que l'entreprise de Shenzhen, présente depuis dix ans dans l'Hexagone, y emploie 650 personnes « hautement qualifiées » (à 78% des Français) et fournit des équipements (antennes-relais, boxes, etc.) aux principaux opérateurs (Orange, SFR, Bouygues Telecom, Free).

« La France est un grand pays, qui possède une riche histoire en matière d'ingénierie et un système d'éducation de rang mondial », complimente le PDG. Du miel aux oreilles des nombreux élus locaux conviés à ce grand raout, organisé à la mi-avril, où sont notamment intervenus André Santini, le député-maire d'Issy-les-Moulineaux, le député de Paris Jean-Marie Le Guen, ou le sénateur de Haute-Savoie Pierre Hérisson.

Les difficultés du concurrent français, Alcatel-Lucent

L'offensive de charme est opportune, alors que la France s'apprête à dépenser des milliards d'euros dans le déploiement de réseaux de fibre optique. C'est aussi une opération de communication nécessaire à l'heure où certains, jusqu'au ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, l'accusent, par son agressivité commerciale, d'être responsable des difficultés de son concurrent français, Alcatel-Lucent. Elle s'inscrit dans une campagne marketing mondiale qu'a engagée l'entreprise, consciente de ses problèmes d'image. « Nous avons longtemps fait l'autruche, la tête dans le sable. Nous devons maintenant nous ouvrir », reconnaît Zhu Yonggang, le responsable de la marque.

« Ouverture », « transparence », ces deux mots sont martelés au cours de la conférence annuelle pour les analystes, organisée à la fin d'avril par Huawei dans un grand hôtel de Shenzhen, au Sud de la Chine. Pour la dixième édition de cette conférence, le groupe, fondé il y a vingt-cinq ans, a reçu plus de 500 personnes, analystes industriels et financiers, investisseurs, journalistes d'une dizaine de pays, curieux de mieux connaître cette réussite chinoise fulgurante, qui a multiplié par treize son chiffre d'affaires en dix ans et bouleversé le palmarès mondial du secteur, mais encore nimbée de mystère. Notamment autour de son fondateur, Ren Zhengfei, 68 ans, toujours président, dont le passé d'ancien ingénieur de l'armée chinoise a nourri les rumeurs (infondées, dixit Huawei) de contrôle indirect par l'État.

L'ancien "suiveur" est devenu leader

« Nous sommes probablement l'entreprise la plus auditée au monde », se défend François Quentin, le président de Huawei France, en référence aux nombreux rapports et enquêtes ayant porté sur l'entreprise, contrôlée par KPMG depuis 2000. « C'est normal : en tant qu'équipementier télécoms, les gens veulent savoir ce qu'il se passe chez nous », observe CT Johnson, le contrôleur de gestion, un Américain débauché chez Ericsson, un des nombreux cadres de haut niveau recrutés chez les concurrents ces deux dernières années. Présentations détaillées des comptes de l'entreprise, de la stratégie par chaque patron de division en anglais sans traducteur, séances de questions-réponses feutrées, discussions informelles sans tabou, mais pas d'apparition de M. Ren au sommet, pour les analystes.

« Nous étions un suiveur, qui vendait moins cher. Nous sommes devenus un équipementier de premier plan, un partenaire stratégique pour 45 des 50 premiers opérateurs mondiaux, qui représentent un tiers de la population de la planète », fait valoir un dirigeant de la branche opérateurs (plus de 70 % du chiffre d'affaires du groupe). « Huawei a longtemps joué le rôle de lièvre dans les appels d'offres en Europe, forçant Alcatel-Lucent et Nokia Siemens à casser leurs tarifs. Aujourd'hui, on ne le choisit plus pour ses prix mais pour sa technologie. En particulier ses équipements Single RAN, qui regroupent en un seul gros boîtier sur une antenne-relais mobile de quoi émettre et capter en 2G, 3G et 4G », confirme le responsable du réseau d'un opérateur français, qui a fait plusieurs fois le déplacement à Shenzhen.

Des visiteurs de toutes nationalités

Dans cette volonté d'ouvrir les portes de son entreprise, Huawei fait défiler des visiteurs de toutes nationalités sur son campus à l'américaine qui s'étend sur 2 km2, en face du complexe du mastodonte Foxconn, le sous-traitant d'Apple. Certains veulent voir les dortoirs modèles, avec piscine et espaces verts, appartements à loyers modérés pour les nouvelles recrues. Tous ont droit à la visite guidée de l'immense showroom ultramoderne, tout en laqué blanc, qui présente sur plusieurs étages les dernières innovations du groupe, notamment ses smartphones, dont il espère écouler 60 millions d'exemplaires cette année. Écrans plats, tablettes, mobilier design : rien à voir avec les rangées d'antennes, de serveurs et de boîtiers gris du hall d'exposition d'il y a cinq ans, aux allures d'entrepôt. On y croise même des prospects de firmes américaines, comme le géant de la distribution Wal-Mart.

Pourtant, l'équipementier a annoncé aux analystes au cours du sommet qu'il faisait une croix sur les États-Unis, où il emploie 1.800 personnes en Californie et au Texas. Les portes du marché américain lui étant complètement fermées (lire ci-dessous : Sécurité et dumping, pourquoi la Chine fait peur), du moins concernant les équipements de réseaux, jugés par le Congrès trop sensibles pour la sécurité nationale, Huawei a décidé de miser à fond sur l'Europe et d'en faire « sa deuxième base domestique ». La région est déjà, en incluant le Moyen-Orient et l'Afrique, la zone où il réalise le plus de business (38%), devant la Chine (33%). Attaqué comme un destructeur d'emplois chez ses concurrents, Huawei a multiplié ces derniers mois les annonces d'embauches et d'ouverture de centres de R&D sur le Vieux Continent, où il devrait quasi doubler ses effectifs, passant de 7.500 à 13.000 salariés dans les cinq ans à venir. Au Premier ministre britannique, David Cameron, il a même promis d'investir 2 milliards de dollars au Royaume-Uni d'ici à 2017.

Ni entreprise étatique... Ni société privée

Au-delà de l'affichage, la démarche est révélatrice de la révolution interne, du tournant que Huawei est en train de vivre, passant du statut d'entreprise internationale, réalisant les deux tiers de son chiffre d'affaires de 35 milliards de dollars hors de Chine, à celui de multinationale, de groupe vraiment mondial. « Huawei emploie aujourd'hui plus de 15.0000 salariés, dont près d'un tiers ne sont pas Chinois, issus de 150 pays différents », relève Scott Sykes, le directeur des relations avec les médias internationaux, un ancien d'Alcatel, installé à Shenzhen. Près de la moitié des salariés sont ingénieurs et l'âge moyen est de 30 ans. Un cas atypique à côté d'un Foxconn aux effectifs huit fois plus nombreux mais massivement ouvriers, ou d'un Lenovo, déjà très mondialisé du fait de sa croissance par acquisitions, et qui emploie cinq fois moins de personnes. « Nous avons réussi l'internationalisation. Comment deviendrons-nous une entreprise globale, mondiale ? C'est notre défi pour les années à venir », relève le directeur du développement stratégique, Will Zhang. Donner plus de pouvoir aux équipes locales, renforcer le management des filiales, décentraliser. Or, le conseil d'administration et le comité exécutif sont encore 100 % chinois.

Un cas à part dans l'économie chinoise

Ni entreprise étatique comme bon nombre de colosses chinois, ni entreprise privée cotée en Bourse comme son rival plus petit ZTE, Huawei est un cas à part dans l'économie chinoise qui se décrit elle même comme « une entreprise privée qui appartient à 100% à ses employés », dont la gouvernance demeure cependant opaque, loin de l'autogestion ou de la Scop. « Cette structure coopérative crée de la loyauté », assure un cadre. Ren Zhengfei, le premier actionnaire, n'aurait que 1,4% du capital. Au total, 7.0000 salariés détiendraient des actions donnant droit à des dividendes pouvant atteindre « plusieurs dizaines de milliers de dollars par an pour les plus anciens et les plus méritants », affirme un expatrié qui, lui, n'y a pas droit, selon la loi chinoise. L'un des chantiers de 2013 est d'ailleurs de réfléchir à un mode d'intéressement des personnels non chinois, dans les filiales étrangères ou à Shenzhen, pour attirer les meilleurs talents.

Car Huawei n'est pas au bout de sa grande marche. Il espère détrôner bientôt le leader mondial des équipements télécoms, Ericsson. Mais il a d'autres géants dans le viseur. « Qui fait le meilleur smartphone ? Certains disent Apple, d'autres Samsung ou Nokia. Dans quelques années, vous direz Huawei », prédit le responsable de la branche Terminaux. Il est déjà le troisième constructeur mondial de smartphones.

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Sécurité et dumping, pourquoi la Chine fait peur

Si Huawei a fait une croix sur les États-Unis, c'est que ses tentatives d'entrer sur ce marché lucratif ont été stoppées net. Il a dû renoncer à l'acquisition de 3COM en 2008 puis à celle de 3Leaf en 2010 face à l'opposition du Congrès. En octobre, un rapport de la commission du renseignement de la Chambre des représentants a carrément conclu que « Huawei et ZTE ne peuvent pas garantir leur indépendance par rapport à l'influence d'un État étranger » ce qui crée « une menace pour la sécurité des États-Unis ». Les opérateurs américains sont donc priés de ne pas faire affaire avec eux, sauf pour les smartphones et les clés modems, moins sensibles.

En Australie aussi, le gouvernement, qui a lancé un grand plan de déploiement de la fibre optique, a écarté Huawei pour raisons de sécurité. En France, le rapport du sénateur Bockel a préconisé l'été dernier « une totale interdiction des routeurs chinois ». Mais, en Europe, le danger est autre que les accusations d'espionnage. La Commission européenne vient de menacer d'ouvrir une enquête concernant des pratiques anti-dumping ou aides d'État concernant les équipementiers télécoms chinois, Huawei et ZTE, sans les nommer. Les concurrents européens dénoncent ce dumping depuis une décennie, mais aucun n'a porté plainte de peur d'être, en représailles, banni de l'immense marché chinois, en plein boom. Pékin a déjà menacé de riposte. Une enquête similaire sur les clés 3G avait été classée sans suite en 2011.

 

 

Lire aussi :

Huawei présente le Smartphone 4G le plus rapide au monde lors du Mobile World Congress 2013

Le slogan « Make it possible » renvoie à l'objectif que s'est fixé Huawei de s'imposer comme « une des principales marques de smartphone dans les années à venir » et de se plier au désir des consommateurs de connaître des « expériences extraordinaires » à travers le monde, a expliqué le directeur général de la division, Richard Yu. Lire la suite de l'article...
La vidéo de Huawei

 

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Commentaires 2
à écrit le 02/06/2013 à 21:12
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C'est etonnant que l'on parle de l'espionnage chinois mais pas de l'espionnage US avec leur produits bourrées de points d'entrées pour la CIA (windows, CISCO...). Nos politiques ne voyent pas que le principal danger c'est les US qui espionnent toute ...

à écrit le 30/05/2013 à 8:14
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Bravo à tous nos opérateurs européens et collectivités locales/organismes publiques de leur ouvrir ainsi les portes de l'Europe... Alcatel est mort, avec tout ça nous n'aurons plus aucun champion high-tech et qu'importe leurs annonces d'embauches, il...

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