Révolution numérique : bienvenue dans les villes 3.0

Thales, Bouygues ou Dassault Systèmes veulent être des acteurs majeurs de la conception et de la gestion par le numérique des systèmes urbains. Leurs plates-formes dynamiques permettent de simuler le développement des villes, de visualiser les flux humains et de transports, de prévoir leur évolution en temps réel... et de mieux intégrer les citoyens dans les processus de décision
Copyright Reuters

Racheté mais content. François Gruson est le fondateur et patron d'Archividéo, une société qui, avec l'Institut géographique national, a entrepris de modéliser en 3D l'ensemble du territoire hexagonal et la plupart des grandes villes françaises et européennes. Il vient d'être repris par Dassault Systèmes et il jubile. « Dassault Systèmes a un véritable projet, explique le Rennais. Nous allons pouvoir attaquer une diversification internationale dont nous n'avions même pas osé rêver. » Le dessein ? Fournir aux grandes entreprises et surtout aux collectivités les instruments numériques leur ouvrant la gestion systémique du territoire.

La 5D fait viellir les maquettes

Le coeur du marché, c'est la création de plates-formes numériques permettant de visualiser les projets urbains et leurs modifications en temps réel, les flux de transports et la manière dont les parcours des individus les modifient et, enfin, la façon dont ces projets vont évoluer dans le temps, vont vieillir. On est bientôt dans la 5D. Pour Stéphane Singier de Cap Digital, le pôle de compétitivité numérique de l'Île-de-France, « la plupart des bases urbaines sont en 2D bidouillée. En plus, certaines ne sont pas franchement exactes. La véritable 3D, c'est de l'or en barres. Si l'on y greffe les flux de circulation et de transports on entre dans la 4D. Et dès que l'on trouvera le moyen fiable de montrer l'évolution du projet dans le temps, comment il va réellement vieillir, on sera en 5D ! »

L'un des concurrents de Dassault, Thales, va ainsi présenter, au festival du numérique Futur en Seine, Terra Dynamica, une plateforme d'animation en temps réel et immersive des principaux acteurs (individus, foules, véhicules, trafics, flux) de la vie urbaine. Ils seront immergés dans un environnement 3D, ce sera accessible sur le Web et adaptable à différents domaines applicatifs. « Nous allons commencer à modéliser des villes et présenter des solutions d'aménagement différentes en temps réel, explique Stéphane Singier. C'est un énorme défi d'arriver à modéliser les mouvements de foule et d'individus. »

Les Néo-zélandais de Massive Productions - qui ont développé leur savoir-faire sur les films Le seigneur des Anneaux ou Avatar - le font déjà très bien. On entre là dans l'intelligence artificielle, car les développeurs sont obligés de prédire les choix de parcours des individus dans la ville, de coder leurs stratégies d'évitements comme les dangers qu'ils vont rencontrer ou créer. Or, pour les anticiper et les coder, il faut les connaître et les tester. C'est la mini-révolution amenée par le numérique : les architectes, les urbanistes et les élus vont enfin pouvoir demander leur avis aux vrais gens de la vraie vie sur la manière d'organiser les lieux où ils doivent vivre.

Vers une démocratie numérique directe

Bouygues, par exemple, l'un des acteurs majeurs de la numérisation urbanistique, développe à la Cité des Sciences, dans le Parc de la Villette (Paris 19e), une salle d'immersion qui va dans ce sens. Pour l'instant, dans ces salles d'immersion, les capteurs ne suivent généralement qu'une seule personne pour la plonger dans la réalité virtuelle. Les musées utilisent ces salles d'immersion, l'aéronautique s'en sert et, bien sûr, les armées les utilisent constamment.

Callisto, le projet public-privé dont Bouygues Construction et la Société d'accompagnement à la recherche industrielle (Sari) sont les chefs de file, est une salle de réalité virtuelle simulant la visite de l'intérieur d'un bâtiment, à l'échelle un. En temps réel, plusieurs dizaines de personnes pourront interagir avec le bâtiment, en changer les éléments et voir toutes les conséquences immédiates de leurs actions. Une sorte de démocratie numérique directe. Bouygues cherche ainsi à comprendre, puis à prédire, les comportements des utilisateurs et donc, logiquement, à faire chuter ses coûts de production et à accroître la qualité des décisions de ses clients, collectivités locales en tête. C'est la possibilité pour tous les acteurs de l'urbanisme d'optimiser leurs propositions.

Alain Renk, un architecte et urbaniste francilien, développe, avec son cabinet UFO, des modèles de compréhension des systèmes urbains. En propre avec « Villes sans limite » ou comme conseiller avec le projet en gestation « Futuring Cities » avec Mines Telecom. « On nous demande de construire des bâtiments, des parcs d'attractivité pour des gens et des entreprises comme il y a vingt ans, explique-t-il, et après on s'étonne que cela ait du mal à fonctionner. Pour que les collectivités puissent prendre les bonnes décisions, elles doivent comprendre les attentes des citoyens et voir à quoi peut ressembler le lieu dans le futur. »

Du coup, à Rennes et à Montpellier, bientôt à Evreux et dans la communauté urbaine de Bordeaux, il teste avec une application simple sur iPad la réaction des utilisateurs. Son logiciel offre une représentation interactive hyperréaliste de l'évolution d'un quartier et, en faisant varier le curseur avec six thèmes différents (la densité, la nature, la mobilité, la vie de quartier, la créativité et le numérique), les gens ajoutent ou enlèvent des éléments urbains, font pousser des arbres ou monter les bâtiments. L'utilisateur, qui regarde le paysage urbain qu'il a en face de lui sur la tablette, n'est donc pas sollicité pour donner son avis sur des projets proposés par des professionnels, mais construit le « mix urbain » qui lui correspond.

La fluidité de la ville créera la valeur

« Nous avons fait les premiers tests sur le quartier entourant la gare TGV de Rennes et la démolition de la prison, et nous nous sommes aperçus que les utilisateurs, en construisant ce qu'ils souhaitaient, oubliaient très vite leurs réticences, par exemple à la densité urbaine, et développaient d e s p r o j e t s u rb a i n s q u i allaient souvent à l'encontre des opinions toutes faites. Les gens refusent souvent l'idée même de densité urbaine et d'immeubles hauts, mais l'acceptent dès qu'ils peuvent l'aménager avec leurs propres logiques. » UFO travaille donc, grâce à la modélisation numérique, à l'élaboration de projets urbains plus souples et surtout se sert des tablettes numériques pour éviter, grâce aux discussions, la standardisation et l'automatisation des processus. « Toutes les villes se battent aujourd'hui sur l'attractivité et, bizarrement, cela se traduit par des immeubles standards pour des entreprises standards. »

Nils Aziosmanoff, fondateur et président du Cube, le centre de création numérique d'Issy-les-Moulineaux, va dans le même sens : « Il y a un côté effrayant dans certaines réflexions ou réalisations sur la Smart City, explique-t-il. Le côté formatage, le côté "on met la ville sur un tableur". De plus, tout le monde est sur la modélisation et la production, des Canadiens d'Engine City aux Chinois d'Huawei. La tendance lourde, c'est la domestication du hasard dans les systèmes urbains. Or, le numérique, la ville digitale, la Smart City, c'est d'abord la porosité et dans des villes où la tendance est à une densité de plus en plus grande de l'urbain, la question essentielle est celle de l'hyperproximité, celle de l'écosystème personnel dynamique des habitants. Le vivre ensemble, le social, le culturel, les solidarités sociales, l'éducation numérique, les systèmes de voisinage et de travail à l'ère du numérique, c'est cela l'essentiel de ce qu'il faut mettre dans les plates-formes de prédiction des systèmes urbains. »

Nils Aziosmanoff s'est donc lancé dans une autre aventure, « Smart city + ». Un projet, dans le cadre du grand emprunt, mené avec GPSO. La communauté d'agglomération Grand Paris Seine Ouest rassemble des villes aussi différentes que Boulogne-Billancourt et Marne-la-Coquette. Le développement économique local ne peut pas y être conçu de la même manière. « Notre enjeu est de savoir comment fluidifier les interactions dans chacun des lieux pour créer de la valeur, continue-t-il. Nous essayons de nous démarquer du mainstream, la ville ne se lit pas uniquement à l'aune de son système de transports et en prédisant son évolution des trafics. »

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 15/06/2013 à 9:34
Signaler
Nordiste et fan du Cube, je partage à 100% le commentaire de Nils Aziosmanoff. J'y ajoute une dimension agricole pour le NPDC. On marche sur la tête... Les villages veulent ressembler à des villes. Les villes perdent les acteurs de leur renouvellemen...

à écrit le 14/06/2013 à 15:04
Signaler
il serait bien que le journaliste vérifie ses sources avant de dire n'importe quoi: le projet de salle immersive de la cité des sciences piloté par Bouygues Construction s'appelle Callisto-SARI dans lequel SARI signifie Simulation Architecturale Réal...

à écrit le 11/06/2013 à 12:51
Signaler
Moi aussi j'aimerais bien avoir un iPad et l'application qui va avec pour virer l'ensemble immobilier qui va s'installer juste en face de chez moi à la place de la maison, du jardin et arbres qu'il y a actuellement ! (et aussi raser les autres immeub...

à écrit le 10/06/2013 à 23:58
Signaler
Watch Dogs :p

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.