FabLabs : vive la micro-industrie pour tous !

Les ateliers de fabrication numérique rendent accessibles au plus grand nombre des machines de prototypage rapide. Ce phénomène mondial développe une culture du concevoir global et du produire local. Reste que les FabLabs cherchent leurs modèles économiques.
Au FabLab de Strasbourg, les geeks et autres amateurs de nouvelles technos peuvent transformer facilement une idée en objet bien réel, grâce à leur imprimante 3D. / DR

Designers, ingénieurs, chercheurs, entrepreneurs, artisans, étudiants, écoliers, retraités... cet te population hétérogène va en côtoyer une autre tout aussi variée : makers, hackers et autres autodidactes. Leurs nouveaux terrains de jeu ? Artilect à Toulouse, Net-Iki à Biarne (Jura), FacLab à l'université de Cergy-Pontoise, Nybi-CCD à Nancy, TyFab à Brest, PMC Lab à l'université Pierre-et-Marie-Curie de Paris... Pour ne citer qu'eux.

Contraction anglo-saxonne de Fabrication et de Laboratories, les FabLabs poussent comme des champignons partout en France et dans le monde. Leur attrait : chacun peut venir y concevoir, fabriquer, modifier et transformer tous les objets dont il a besoin. Le tout en s'appuyant sur les compétences et l'aide des autres pour, ensuite, partager ses connaissances avec la communauté.

Comme dans le logiciel libre à code source ouvert. Pour y parvenir, les FabLabs mettent à la disposition de leur public imprimantes 3D, fraiseuses à commande numérique, machines à découpe laser, perceuses à colonne, machines à coudre, ordinateurs dotés de logiciels de conception et de contrôle-commande des machines-outils. Autant de joujoux technologiques autrefois réservés à la grande industrie.

Quand le virtuel devient réel

C'est vers la fin des années 1990 que Neil Gershenfeld, un chercheur du MediaLab au MIT (Massachusetts Institute of Technology), lance le concept des FabLabs afin de lutter à la fois contre les produits universels à l'obsolescence programmée et la délocalisation de la fabrication industrielle en Asie - et donc des emplois.

En France, c'est Nicolas Lassabe, actuellement chercheur à l'Office national d'études et recherches aérospatiales (Onera) qui, en 2009, installe le premier FabLab, à Toulouse :

« J'étais en post-doctorat chez Hod Lipson [professeur et ingénieur en robotique, directeur du Laboratoire de machines créatives de l'université de Cornell, ndlr] qui menait des recherches sur l'impression 3D [il a remis un rapport au président Obama sur ce sujet] et l'auto-réplication des robots. Il m'a parlé d'un réseau international de FabLabs. En rentrant en France, j'ai voulu monter le mien. »

Aujourd'hui, les FabLabs représentent un enjeu majeur pour l'économie de la transition numérique. Le gouvernement français l'a d'ailleurs bien compris :

« Ce mouvement s'inscrit dans une dynamique mondiale et redessine notre rapport à l'objet manufacturé. Avec les FabLabs, on concrétise le virtuel », commentait dès l'année dernière Fleur Pellerin, ministre de l'Économie numérique, qui a lancé l'appel à projets FabLabs 2013, le 25 juin 2013.

Objectif : faire passer leur nombre d'une trentaine à une centaine sur l'ensemble du territoire. Clos le 13 septembre dernier, cet appel à projets a reçu un accueil surprenant : pas moins de 154 dossiers ont été déposés en provenance de 23 des 27 régions françaises, dont 70 % en dehors de l'Île-de-France. Les 10 projets lauréats recevront une subvention de 50.000 à 200.000 euros.

De fait, la compétition est serrée. Selon le site wiki.fablab.is, plus de 280 FabLabs respectant la charte du MIT (non obligatoire) sont répertoriés et identifiés à ce jour dans le monde. En réalité, il est bien difficile de quantifier précisément le phénomène. Il s'ouvre des FabLabs tous les jours, partout. Quel impact les FabLabs auront-ils ? Difficile à dire, mais les perspectives sont prometteuses tant sur le plan culturel que sociétal.

« Les gens se reparlent, collaborent et s'entraident. On voit des jeunes avec des étoiles dans les yeux ! Une personne qui a un projet de smartphone, ou de robot, peut le mettre en oeuvre. On peut se lancer dans de petites séries à valeur ajoutée. Voire fabriquer à un seul exemplaire un objet très sophistiqué », enthousiasme Pascal Minguet, cofondateur de NetIki, premier FabLab rural de France, situé à Biarne, un village du Jura peuplé de... 350 habitants. « Dans le Jura, il existait le ''travail à la fenêtre''. L'hiver, les paysans effectuaient des travaux de précision chez eux pour l'industrie de l'horlogerie, de la lunetterie ou du jouet, raconte Pascal Minguet. Dans cet esprit, les FabLabs démontrent que les villages sont plus que des zones dortoir, qu'ils peuvent devenir des lieux d'innovation, de collaboration, d'échange et de fabrication ! »

Bienvenue dans l'ère du "glocal"

D'autant que, grâce à Internet, développer les échanges internationaux devient un jeu d'enfant.

« Lorsque mon ami du FabLab de Nairobi [Kenya] bloque sur un problème, je cherche à prototyper sa pièce ici et lui envoie la solution par mail. Et réciproquement, souligne Jean-Michel Molenaar, Project Manager du FabLab de Grenoble. Il a d'ailleurs conçu un équipement pour étendre la couverture d'un réseau Wi-Fi à un coût très faible. Les plans sont libres et gratuits. Les bonnes idées surgissent de n'importe où. Les FabLabs conduisent à penser globalement et à fabriquer localement. »

Bienvenue dans l'ère du « glocal » ! Outre les réseaux à la fois mondialisés et localisés, que se passe-t-il lorsque l'on donne accès à tous à des machines professionnelles ?

« Certaines personnes, qui se sentaient dévalorisées, reprennent confiance en elles car elles s'approprient les outils de la micro-industrialisation. Elles développent leur curiosité et apprennent à coopérer avec d'autres, confie Emmanuelle Roux, cofondatrice avec Laurent Ricard du FacLab à l'université de Cergy-Pontoise. J'ai vu des chômeurs qui sont ainsi devenus autosuffisants, de l'idée jusqu'à la commercialisation, dépassant même le seuil de l'autoentreprise. »

Les FabLabs, une arme antichômage ? La piste mérite d'être explorée. De son côté, Jean-Michel Molenaar, qui a travaillé dans différents FabLabs en Europe du Nord, constate que des ingénieurs salariés de grandes organisations, frustrés de la séparation des tâches, renouent enfin avec le bonheur de passer du virtuel au concret.

À l'instar du logiciel libre à code source ouvert (Open Source Software), souvent gratuit, que l'on peut partager, modifier à loisir et redistribuer, les FabLabs développent la culture de l'Open Hardware, son petit frère matérialisé dans des objets comme les meubles, les cartes électroniques de contrôle-commande pour machines numériques ou même les imprimantes 3D afin de réduire drastiquement les coûts.

On s'en doute, cette évolution culturelle réclame d'inventer de nouveaux modèles économiques pour sortir du paradoxe de l'économie du gratuit. Première phase : obtenir des subventions d'une collectivité territoriale. Comme Net-Iki avec le conseil général du Jura, ou Artilect qui, grâce au soutien de Toulouse Métropole, bénéficie d'un local de 1.000 m2 partagé avec l'association La Serre (développement durable et économie sociale et solidaire).

De son côté, FacLab a reçu un financement de l'université de Cergy-Pontoise, une des premières à ouvrir son FabLab, suivie par le PMC Lab à l'université Pierre-et-Marie-Curie, qui reçoit des aides du pôle recherche enseignement supérieur (PRES) et par le Photonic FabLab à Orsay, issu du centre entrepreneurial de l'Institut d'optique Graduate School de Palaiseau.

Cotisations ou Fabathons, à chacun son financement

Une chose est cependant certaine : les FabLabs ne seront viables que s'ils trouvent leur propre rentabilité.

« Nous faisons payer une cotisation annuelle de 20 à 30 euros à nos 350 membres », reconnaît Nicolas Lassabe, d'Artilect.

Ce qui est loin de financer les permanences pour accueillir le public, surtout pendant la journée. L'essentiel des revenus est ailleurs.

« Nous louons l'utilisation horaire de certaines machines et facturons 60 euros de l'heure l'accompagnement aux personnes qui ne savent pas s'en servir de façon autonome », précise Nicolas Lassabe.

D'autres prestations voient le jour, comme les actions de sensibilisation aux technologies de micro-industrie dans les écoles, ou les formations.

« Nous demandons 250 euros pour la demi-journée de formation à la découpe laser, puis 40 euros de l'heure pour l'utiliser... », complète Jean-Michel Molenaar.

Une vision que ne partagent pas tous les FabLabs car elle effrite la notion de partage et de liberté. C'est le cas notamment d'Emmanuelle Roux :

« Nous ne louons le temps machine, par exemple 100 euros la matinée de découpe laser, qu'à ceux qui ne veulent pas partager leurs projets. »

BeMyApp commercialise l'organisation partout dans le monde de « Hackathons », des compétitions qui réunissent des développeurs, des designers et des porteurs de projets pour coder des applications mobiles en 48 heures chrono. Forte de cette expérience développée en Europe et aux États-Unis, la société veut répliquer ce modèle avec les FabLabs, dont le MPC Lab.

En janvier prochain, elle va par exemple mettre sur pied une « Fabathon » pour le groupe Technicolor. Objectif : développer des produits connectés pour la domotique autour de sa technologie Qeo. De quoi espérer, pour les meilleurs porteurs de projet, trouver de rapides débouchés industriels et commerciaux.

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