Fiscalité du numérique : la polémique relancée sur la « taxe Google »

La publication du rapport de France Stratégie a fait réagir les acteurs du secteur, des éditeurs de services Internet (ASIC) aux sociétés vivant de la publicité en ligne (IAB France). Pour l’instant, Bercy se montre cependant prudent sur un sujet complexe et explosif.
Delphine Cuny
La secrétaire d'Etat chargée du numérique veut "explorer des solutions pratiques, réalistes et ambitieuses pour appliquer ce principe aux entreprises du numérique comme aux autres secteurs. »

Et revoilà (encore) la taxe Google ? Ou son pendant e-commerce la taxe Amazon ? La présentation lundi du rapport de France Stratégie, organisme de concertation rattaché au Premier ministre, sur la fiscalité du numérique a été accueillie fraîchement par les acteurs concernés, qui espéraient que les pistes déjà explorées, pour certaines depuis bientôt cinq ans, comme la « taxe Google » portée par le sénateur Pierre Marini, étaient abandonnées, au moins au niveau national.

Très remontée, l'Association des services Internet communautaires (ASIC), qui comptent parmi ses membres les principaux acteurs de l'Internet, français et étrangers, de Dailymotion à Deezer ou Priceminister, en passant par Google, Facebook, Yahoo et Airbnb, déplore le manque de concertation et d'échanges et fustige le principe même d'une fiscalité spécifique au numérique, « qui n'est plus un secteur à part entière » assure-t-elle.


La France en voie de « récession numérique »

Ce rapport « stigmatise l'économie numérique sans comprendre que toute l'économie devient numérique » s'inquiète l'ASIC, qui n'hésite pas à dramatiser :

« La France est sur le chemin de la récession numérique » n'hésite pas à dramatiser l'association des hébergeurs dans un communiqué.


Le lobby des acteurs Internet critique point par point les mesures envisagées par le rapport. Une taxe sur les données échangées conduirait à « installer des sondes pour espionner chaque fait et geste d'un internaute en France » raille l'ASIC, celle sur le stockage des données risquerait de renchérir les coûts sur le territoire au profit des « concurrents européens » (exploitant des centres de données hors de France, mais aussi américains), une taxe en fonction du nombre d'utilisateurs français serait « une excellente incitation à lancer sa start-up ou son entreprise, ailleurs qu'en France »... Un sujet forcément sensible pour la secrétaire d'Etat au Numérique, Axelle Lemaire, qui a assisté lundi à la présentation de ce rapport.
Quant aux taxes sur la publicité en ligne, en général ou ciblée, elles pénaliseraient les seuls acteurs français et apporteraient « un avantage sans doute concurrentiel pour toutes les entreprises basées hors de France. »

Modèle économique dépendant de la pub

Discours presque identique chez l'Interactive Advertising Bureau France (IAB), qui représente « les différentes composantes de la chaîne de valeur de la communication digitale » (Facebook, Google, Criteo, agences spécialisées, régies purement Internet ou filiales de TF1, M6, France TV, Havas etc). L'association professionnelle « met en garde contre les effets contreproductifs d'une fiscalité dissuasive et stigmatisante. » et juge les « recommandations particulièrement préoccupantes pour l'attractivité numérique du marché français. »

« Une part importante du modèle économique d'Internet dépend de [la publicité en ligne] et permet aux internautes de bénéficier de nombreux services gratuits. La publicité fait partie intégrante du modèle de développement de nombreux secteurs de l'économie numérique. Une telle taxe aurait ainsi des répercussions aujourd'hui difficiles à évaluer sur la plupart des sites internet, petits ou grands » souligne l'IAB France, qui est actuellement présidé par David Lacombled (directeur délégué à la stratégie de contenus du groupe Orange).


Stéphane Richard, le PDG d'Orange, est de son côté l'un des patrons les plus diserts sur l'inéquité fiscale dont souffrent les télécoms vis-à-vis des GAFA les Google Amazon Facebook Apple.


L'IAB France fait valoir que « l'écosystème de l'économie numérique est encore fragile, et son équilibre délicat - notamment dans un contexte de concurrence internationale accrue. » Le marché de la pub sur Internet progresse (+4% en 2014), notamment au détriment des autres médias traditionnels, mais moins vite que dans les pays voisins et, surtout, Google se taille la part du lion (près de 60% des revenus publicitaires en ligne en 2014 selon l'étude PwC pour le SRI).

Prudence de Bercy


Les deux associations appellent le gouvernement à privilégier « les travaux en cours au sein de l'OCDE relatifs à l'érosion des bases fiscales (BEPS) quand bien même ceux-ci viseraient l'ensemble des multinationales et non exclusivement celles du numérique » fait valoir l'ASIC, tandis que l'IAB souhaite « une solution portant sur l'économie numérique dans sa globalité en n'isolant pas économiquement la France. »


Les acteurs de l'Internet et de la pub en ligne ont-ils raison de s'inquiéter ? Les ministres de Bercy se sont exprimés de façon assez prudente :

« La France a eu un rôle précurseur pour inscrire la lutte contre l'optimisation fiscale des grandes multinationales, numériques ou non, au premier rang des agendas internationaux, tant au G20 qu'au sein de l'Union européenne. Je suis déterminé à faire aboutir ces chantiers essentiels le plus rapidement possible » a déclaré Michel Sapin, le ministre des Finances.


Pour Emmanuel Macron, le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique :

« Le défi qui est posé est crucial : il s'agit ni plus ni moins de l'adaptation de notre modèle économique et fiscal au monde nouveau. Toutes les entreprises doivent être traitées de la même manière, qu'elles vendent des produits industriels ou des services numériques » estime-t-il.


Axelle Lemaire, qui s'était rendue lundi après-midi à la présentation de la note d'analyse de France Stratégie, qui s'appuie sur une étude menée par un groupe de chercheurs des Ecoles d'économie de Paris, de Toulouse et de l'Institut Mines-Télécom, a commenté de son côté tout en nuances :

« Ce travail est une nouvelle illustration de la détermination de la France à avancer au plan international dans ce dossier et à mobiliser les communautés de recherche pour explorer des solutions pratiques, réalistes et ambitieuses pour appliquer ce principe aux entreprises du numérique comme aux autres secteurs. »


Surtout pas de stigmatisation évidemment, même si le problème de l'optimisation fiscale est bel et bien réel, mais pas cantonné aux entreprises du numérique, comme le montre le graphique de France Stratégie, plaçant General Electric Pfizer et Coca-Cola aussi dans la liste des champions de cette pratique qui n'est pas récente.

Entre soutien aux startups françaises réunies au sein du mouvement de la French Tech et travail de communication pour améliorer l'image de la France aux yeux des investisseurs étrangers, on comprend bien que la partition est compliquée pour la ministre qui n'a aucune envie de se mettre à dos les acteurs de son secteur et de recréer un mouvement bis des Pigeons...

Delphine Cuny

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 16/03/2015 à 9:38
Signaler
"conduirait à « installer des sondes pour espionner chaque fait et geste d'un internaute en France » raille l'ASIC" .... c'est déjà le cas puisque tous les opérateurs ont du DPI pour "gérer" la qualité de service... et pour la LOPSI 2. Il serait ...

à écrit le 14/03/2015 à 17:45
Signaler
Comme toujours en France le réflexe plavolien c'est : il n' y a pas un problème que ne puisse résoudre une taxe nouvelle.

à écrit le 14/03/2015 à 17:30
Signaler
Dans la plus grande tradition française, l’État-jacobin-Robin-des-bois qui s'était habitué à tondre des entreprises-moutons, bêtes extrêmement dociles, est maintenant confronté à la capture problématique de nouvelles espèces migratrices, plus proches...

à écrit le 14/03/2015 à 16:05
Signaler
forcement la france est au bord de la recession ( pas seulement dans le numerique), avec une politique qui consiste a decourager tout le monde et a mettre les boites rentables dehors... quant au numerique prprement dit ' version telecom' , on ne c...

à écrit le 14/03/2015 à 15:28
Signaler
Il est trop simple de supprimer l'IS sur les benefices à 35% par un impot à 3 ou 5% sur le CA. Plus personne ne pourrait tricher, et beaucoup d'avocats perdraient du business. Et puis les usines à gaz, c'est beaucoup mieux...

à écrit le 14/03/2015 à 13:36
Signaler
Qu`ils soient taxés comme tous les commerces qui ont pignon sur rue.... Le monde virtuel chacun chez soit élevé comme dans un pot de fleur.. non merci

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.