"Free cultive une discipline de la rupture"

Depuis ses débuts, l'opérateur de Xavier Niel est passé maître dans l'art de faire le buzz autour de ses nouvelles offres. Chercheur en communication, Etienne Candel décortique la stratégie du trublion low cost des télécommunications.
Pierre Manière
Pour Etienne Candel, Free "donne l'impression de ne jamais s’arrêter, de ne jamais se reposer".

Dans un marché des télécoms ultra-concurrentiel, Xavier Niel laisse toujours planer la menace d'une guerre des prix. Le 20 juin dernier, le patron d'Iliad, la maison-mère du trublion low cost Free, a déclaré, lors d'une rencontre avec les associations de consommateurs de l'opérateur, que sur le mobile « on peut faire des choses plus agressives ». Ce mardi, il a ainsi plus que doublé l'offre de données pour son forfait 4G, la passant de 20 Go à 50 Go sur son forfait à 19,99 euros.

L'offensive pourrait bien en amener d'autres. Il y a quelques mois, et comme l'a révélé La Tribune, Xavier Niel n'a-t-il pas envisagé de diviser le prix de son forfait phare par deux ? Ces coups de semonce sont à prendre au sérieux. Free cultive en effet l'art de faire patienter son monde pour renforcer l'impact de ses dégriffes commerciales. Maître de conférences au Celsa Paris-Sorbonne et chercheur au Groupe de recherches interdisciplinaires sur les processus d'information et de communication (Gripic), Etienne Candel décrypte la stratégie marketing et de communication de l'opérateur. Entretien.

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LA TRIBUNE - Xavier Niel a l'art de multiplier les signaux faibles et les déclarations avant de dégainer de nouvelles offres commerciales. Qu'en pensez-vous ?

ETIENNE CANDEL - Ce qui apparaît, c'est que Free s'est fixé en quelque sorte une « discipline de la rupture ». Dès qu'on a le sentiment d'une offre installée ou d'une position acquise sur le marché, l'entreprise semble chercher à surenchérir au plus vite. Là où un acteur normal pourrait se dire qu'en proposant 50 Go de données mobiles, il conviendrait d'attendre les effets de cette offre sur le marché, Free va au contraire se mettre en recherche du prochain coup et se repositionner très rapidement.

L'agressivité de Free tient dans le fait que l'opérateur se veut toujours en mouvement. Une posture qu'il justifie par sa volonté délibérée et affichée de capter de nouveaux utilisateurs. Résultat, il étoffe régulièrement ses offres en y ajoutant, par exemple, des améliorations permettant d'appeler de certains pays étranger sans surcoût. Dans cette course à la compétitivité, Free peut donner l'impression de ne jamais s'arrêter, de ne jamais se reposer, et de fait cela fait partie intégrante de son identité.

L'opérateur donne aussi l'impression de chercher systématiquement à faire le buzz autour de ses offres. Il mise notamment sur la Toile et les réseaux sociaux pour faire caisse de résonance. Cette manière de faire est-elle toujours profitable ?

Cette dimension réseaux sociaux demeure très importante. Mais elle est à double tranchant. Une telle stratégie permet d'aller à la rencontre du grand public, mais aussi, comme Free l'a toujours fait, de jouer sur des relais d'opinion, des personnes « expertes » qui connaissent bien le secteur. Or certaines offres peuvent prêter le flanc à la critique : par exemple un forfait 50 Go en 4G est une offre tentante, mais qui peut facilement prêter le flan à la critique au regard de la qualité du réseau et de la couverture face à la concurrence d'Orange ou Bouygues Telecom...

Pour orchestrer ses buzz et faire les gros titres, Free n'exclut pas le levier politique. L'an dernier, lors d'une conférence à l'école Polytechnique, Xavier Niel s'est même vanté d'avoir instrumentalisé Arnaud Montebourg, en 2013, pour promouvoir son offre 4G. Pour le patron de Free, l'ex-ministre du Redressement productif, par ses tweets contre la marque, s'est même révélé être « un excellent agent marketing, de première classe » !

Certes, mais l'instrumentalisation du politique n'est pas vraiment une nouveauté. C'est même très fréquent dans des domaines où on ne peut pas communiquer comme on veut. Dans l'industrie du tabac ou de la pharmacie, les communicants ont l'habitude de trouver des relais non publicitaires dans l'opinion, par exemple par du lobbying. Bien sûr, les hommes politiques sont des cibles de choix... Là où l'initiative de Free est intéressante, c'est que cette entreprise est la seule à pousser ce levier dans leur secteur, face à des acteurs historiques comme Orange, Bouygues Telecom ou SFR aux pratiques moins audacieuses. En clair, ils transforment une stratégie de lobbying très classique dans l'industrie, en une stratégie de provocation et de prise de position politique grand public.

        >> Regarder à ce sujet l'intervention de Niel à l'X, à partir de la 23e minute :

Toujours avec ce souci de parler au plus grand nombre, Xavier Niel répète souvent qu'en cassant les prix, il a redonné du pouvoir d'achat aux Français. Un argument fort en période de crise...

C'est un positionnement très puissant. Il ressemble d'ailleurs beaucoup à celui de Leclerc [qui se targue d'être dans le camp des clients en leurs proposant « les prix les moins chers quel que soit le produit », Ndlr]. En prenant la défense du pouvoir d'achat et des consommateurs, Xavier Niel n'est plus un simple marchand : il cherche à se donner en leader d'un mouvement citoyen. En outre, il affiche une forte personnalité et invective régulièrement les politiques dans une stratégie qui tient de l'activisme. Un peu à l'instar de Michel-Edouard Leclerc, le PDG du géant de la distribution, qui mise sur son blog pour se faire entendre et pour construire une proximité avec ses consommateurs.

Outre l'interpellation de la sphère politique, Free n'hésite pas à casser du sucre sur la concurrence. Tous les acteurs se rappellent du « Les pigeons, c'est vous ! » lâché par Xavier Niel au lancement de Free Mobile. Pourquoi met-il un point d'honneur à leur envoyer systématiquement des piques ?

Parce que Free se positionne à la fois comme un outsider et un acteur issu du monde du numérique. L'opérateur s'est approprié l'idéologie d'Internet. Depuis les origines de la Toile, il y a l'idée que l'auto-publication et la participation aux réseaux va renverser ou au moins transformer les autorités établies... parmi lesquelles les politiques, mais aussi de gros industriels qui sont là depuis longtemps comme Orange ou Bouygues Telecom. Free se veut donc alternatif. Il revendique une identité nativement numérique, avec les valeurs de transparence et de liberté qui peuvent s'y associer. C'est la raison pour laquelle il affiche une telle proximité avec la communauté des Freenautes.

Justement, grâce à ses fans, Free disposent de légions de fidèles prêts à défendre la marque et ses offres. Un peu comme les inconditionnels d'Apple ?

Oui, mais là où le positionnement de Free rejoint encore plus celui d'Apple, c'est dans sa manière se  présenter en « libérateur » vis-à-vis des monopoles et des autorités établies. En 1984, Apple avait sorti une publicité devenue très célèbre pour le lancement du Macintosh. On y voit un public gris, passif, écoutant les injonctions d'une sorte de Big Brother [le fameux despote du roman « 1984 » de George Orwell, Ndlr]. Une athlète en tenue de sport rouge court entre les rangées, puis lance un marteau sur l'écran. Cette femme, c'est en fait Apple qui vient libérer la foule du géant IBM, clairement visé même s'il n'est pas nommé.

Il y a ici un positionnement qui ressemble de manière frappante à celui de Free. Un peu comme si l'opérateur disait : « Je suis Free, celui qui vous libère, je suis du côté des utilisateurs et d'Internet » !

Pour l'heure, Free se porte bien. Mais après avoir récolté les fruits de ce positionnement, l'opérateur pourrait-il en pâtir, notamment s'il est un jour contraint de remonter ses prix ?

Ce qu'il faut bien voir, c'est que Free flatte l'intelligence de ses consommateurs. Cela va assez loin, puisque Free incite même à discuter ses offres au sein de la communauté des "Freenautes". Or le risque, c'est que ce consommateur malin, encouragé à bien peser ses choix de consommation, s'en aille le jour où une offre concurrente de rupture apparaîtra. En clair, pour conserver ses abonnés sur le long terme, Free s'oblige à garder un positionnement novateur, une stratégie en matière de prix avantageuse, et cette idée que la marque travaille au bénéfice du client.

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>>Lire aussi, cette semaine, dans La Tribune Hebdo :
La bataille fait rage entre les opérateurs télécoms :

Tribune Hebdo

Pierre Manière

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Commentaires 5
à écrit le 08/09/2015 à 12:24
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Merci Free d'avoir poussé les concurrents a baisser leur tarifs. par contre faut vraiment etre bete pour resté sur Free Mobile, le reseau est horrible, impossible de telecharger (j'etais chez B&you, je telecharger environ 2Go par mois, je suis pas...

à écrit le 08/09/2015 à 12:24
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Merci Free d'avoir poussé les concurrents a baisser leur tarifs. par contre faut vraiment etre bete pour resté sur Free Mobile, le reseau est horrible, impossible de telecharger (j'etais chez B&you, je telecharger environ 2Go par mois, je suis pas...

à écrit le 07/09/2015 à 11:57
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Pour ma part, une chose est sure, je n'ai jamais été gros consommateur de téléphone mobile mais grâce à Free, je ne suis plus délesté de 45-50 €pour 2h de communication + 2 heures weekend + 30 sms...maintenant j'ai 2h + sms illimités + internet via w...

le 07/09/2015 à 16:34
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@ Mr Spock : Pour avoir un cout de zéro € il faut d'abord dépenser le cout d'un abonnement de 30 à 38 € et n'oubliez pas que c'est aussi grâce au réseau Orange, sans ce réseau free mobile n'existerait pas. Hier par acquit de conscience j'ai fait une...

le 12/09/2015 à 14:53
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@ tous. Bien que tardif (j'avais perdu le lien sur l'article), je rappelle que je suis un petit consommateur de mobile..le réseau 3G/4G m importe peu, mon téléphone me sert à ...téléphoner ou quelques sms. Le trafic internet c'est via mon pc ! Et si ...

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