Hollande, l’ami des startups et de la surveillance de masse

Après une entame de mandat qui a braqué les entrepreneurs, François Hollande a rectifié le tir et œuvré au renforcement de l’écosystème d’innovation français. On retiendra de véritables succès, comme le Plan Très Haut Débit, la création de Bpifrance et de la French Tech, ainsi que l’essor de l’open data. Mais aussi des virages à 180 degrés (chiffrement des données, biens communs…), quelques timidités (neutralité du net, loi Numérique) et une approche sécuritaire vis-à-vis d’internet caractérisée par la surveillance de masse.
Sylvain Rolland
François Hollande pourra revendiquer d'avoir structuré et renforcé l'écosystème d'innovation français. Mais il laisse aussi de nombreux chantiers et sera le président de la surveillance de masse.

Que restera-t-il de l'action de François Hollande dans le domaine du numérique? Au lendemain de l'annonce du président renonçant à briguer un deuxième mandat, les acteurs du secteur dressent un bilan plutôt favorable de son action. Du moins sur le plan économique. "L'air de rien, François Hollande a un vrai bilan. C'est sous son quinquennat que le numérique est devenu un vrai enjeu industriel et non plus seulement télécom, et que la transformation digitale de la société et de l'économie a été prise en compte", relève Benoît Thieulin, le président de la société de conseil La Netscouade et ancien président du Conseil national du numérique (CNNum) de 2013 au début de 2016.

Succession de ratés au début du mandat

Pourtant, une succession de ratés ont pesé sur l'entame du quinquennat. Contrairement au "geek" François Fillon, un spécialiste des télécoms qui consacre une partie de son programme présidentiel au numérique, François Hollande avait très peu abordé les enjeux de la nouvelle économie dans sa campagne de 2012.

Une fois à l'Elysée, "l'adversaire de la finance" n'a pas tardé pour braquer les milieux économiques en général, et les entrepreneurs en particulier. La taxe à 75%, le mouvement des Pigeons et ses multiples déclinaisons, le bras de fer entre Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, et Dailymotion, puis la gestion calamiteuse du conflit entre Uber et les taxis, ont donné l'image désastreuse d'une France archaïque et empêtrée dans ses blocages.

"Ces initiatives ont effrayé les grands groupes et les fonds d'investissement étrangers", se souvient Olivier Mathiot, le PDG de Price Minister et co-président de France Digitale. "Pire, elles révélaient que François Hollande et son gouvernement ignoraient les mécanismes de l'innovation. Car une startup en hyper-croissance a besoin d'un environnement stable, business-friendly, et il ne faut pas oublier que beaucoup ont vocation à se faire racheter".

Les hésitations et les incohérences du président, incapable de faire adopter à son gouvernement une ligne politique claire et continue, ont pesé pendant tout le mandat, et particulièrement dans les premières années.

"Hollande a gouverné par paradoxes. Pendant que Fleur Pellerin, alors secrétaire d'Etat au Numérique, envoyait des messages positifs à l'écosystème tech, Bercy s'obstinait à alourdir la fiscalité pour les investisseurs, qui sont pourtant au cœur du modèle de croissance de l'innovation", regrette Loïc Rivière, le secrétaire général de Tech In France, l'un des principaux syndicats professionnels des entreprises du numérique, plutôt classé à droite.

Hollande, l'adversaire de la finance qui devient l'ami des startups

Mais François Hollande a changé son fusil d'épaule et s'est transformé en véritable VRP des startups françaises. En février 2014, il a été le premier président à visiter la Silicon Valley depuis François Mitterrand, trente ans plus tôt.

"Il a fini par comprendre que le numérique va façonner l'économie de demain et il a su s'entourer de personnes compétentes, dotées d'une approche plus moderne et moins idéologue, comme Fleur Pellerin, Emmanuel Macron puis Axelle Lemaire", poursuit Olivier Mathiot.

Au final, le chef de l'Etat pourra revendiquer un vrai succès, celui d'avoir renforcé l'écosystème d'innovation français. La Banque publique d'investissement (Bpifrance), créée en 2013, est progressivement montée en puissance. Chose rare pour un organisme public, tous les acteurs du secteur, y compris les fonds privés, estiment aujourd'hui que la BPI a contribué à l'explosion du phénomène startup en créant un cercle vertueux autour du financement.

La sanctuarisation des dispositifs d'aide à l'innovation, notamment le Crédit Impôt Recherche (CIR), est également plébiscitée. Tout comme la French Tech. Créée par Fleur Pellerin en janvier 2014, l'initiative remplit parfaitement son rôle de fédérer et de promouvoir l'innovation made in France. Les démonstrations de force des startups bleu-blanc-rouge aux deux derniers CES de la Las Vegas, ainsi que les multiples initiatives comme le French Tech Ticket, les French Tech Hubs à l'international, le Pass French Tech ou les programmes d'accélération à l'étranger de Business France, contribuent à alimenter la dynamique.

François Hollande a aussi su mener l'indispensable chantier de la modernisation des réseaux. Son gouvernement a réussi à imposer aux opérateurs télécoms un Plan Très Haut Débit (PTHD) ambitieux pour couvrir le territoire en fibre et répondre aux besoins de plus en plus importants en bande-passante. Lancé en 2013, le plan devrait s'achever en 2022. Il coûtera environ 20 milliards d'euros, dont 7 milliards d'euros à la charge des opérateurs télécoms.

     | Pour aller plus loin. La bataille du très haut débit pour tous

La loi pour une République numérique, un succès relatif

En plus de prendre une place plus importante dans tous les domaines de l'action publique (loi Macron, loi El Khomri, plan numérique pour l'éducation, développement de l'e-administration...), le numérique aura fait l'objet, pour la première fois, d'une loi entièrement dédiée. Portée par Axelle Lemaire, la Loi pour une République numérique a été adoptée à l'automne. Beaucoup moins ambitieuse que prévu, considérée comme tiède par l'opposition -qui ne s'est pas opposée à son adoption-, cette loi inscrit tout de même dans le marbre de nombreuses avancées.

Tout d'abord, le texte met enfin sur pied un cadre ambitieux pour l'ouverture des données publiques (open data) pour créer une véritable "économie de la donnée".

"On le réalise pas forcément mais c'est un progrès majeur car l'ouverture des données publiques aux citoyens et aux entreprises va créer de nombreuses opportunités économiques, en plus de contribuer à la transparence de l'Etat", se réjouit Elisabeth Grosdhomme-Lulin, auteur du livre "Gouverner à l'ère du big data. Promesses et périls de l'action publique algorithmique" (Institut de l'Entreprise, 2015).

Anticipant le Règlement européen sur la protection des données, qui s'appliquera en mai 2018, le texte renforce les pouvoirs de contrôle et de sanction de la CNIL et établit une série de nouveaux droits pour protéger la vie privée des citoyens/consommateurs (droit à l'oubli, portabilité des données, "mort" numérique...). Enfin, la loi s'attaque -un peu- aux inégalités d'accès au numérique, notamment en imposant le « droit à la connexion minimale » aux opérateurs télécoms pour les obliger à ne pas couper Internet aux populations les plus précaires.

     | Lire. Les laissés-pour-compte du numérique, un défi pour l'Etat

Reculades et contradictions sur les biens communs

Par contre, si sa méthode de co-création -via une plateforme internet de propositions citoyennes- a insufflé un indéniable vent de fraîcheur démocratique, ses résultats divisent.

"Le gouvernement n'a intégré que cinq articles sur des sujets consensuels comme l'e-sport, mais a cédé au lobby des télécoms sur la neutralité du net et à ceux des ayant-droits sur les biens communs", déplore Adrienne Charmet-Alix, la directrice des campagnes de l'association La Quadrature du Net.

     | Lire. Le gouvernement s'intéresse enfin à la mine d'or de l'e-sport

Effectivement, la notion des communs, qui désigne des biens dont tout le monde peut profiter sans en détenir la propriété -comme les logiciels libres-, devait être promue et mieux encadrée dans la loi pour une République numérique. Axelle Lemaire s'est même battue pour cela, mais comme souvent, la secrétaire d'Etat au Numérique et à l'Innovation n'a pas pesé lourd face aux ténors du gouvernement. Dans ce cas, c'est Matignon qui a apposé son véto pour ne pas froisser l'industrie de la culture, qui considère les communs comme une menace pour les ayant-droits.

Clap de fin ? Même pas. De manière paradoxale, le sujet est revenu sur la table en septembre dernier, lorsque François Hollande a désigné les biens communs numériques comme une priorité de la France lors de sa présidence du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO), une organisation internationale que le pays dirigera en 2017.

Manque de courage politique sur le chiffrement des données

Ce genre de reculades et d'annonces contradictoires en fonction de l'actualité ou de la pression des lobbys ont eu lieu dans plusieurs autres dossiers, du conflit taxis/VTC à la gestion de la loi El Khomri, lointaine cousine de l'avortée loi Macron II sur les "nouvelles opportunités économiques".

L'un des exemples les plus révélateurs est la position de la France par rapport au chiffrement des données. Cette méthode consiste à rendre illisible, indéchiffrable, le contenu des échanges sur internet, pour protéger les données de l'espionnage étranger et du piratage par les cybercriminels. Pilier de la confiance dans les services numériques -un bon chiffrement garantit qu'on n'interceptera pas vos données bancaires et protège votre vie privée-, le chiffrement a été soutenu dans la loi Lemaire.

Mais depuis les attentats de novembre 2015 et de juillet 2016, deux lignes s'affrontent au sein même du gouvernement: celle d'Axelle Lemaire, qui veut protéger le chiffrement coûte que coûte, et celle de Manuel Valls et du ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve. Ces derniers souhaitent que les services de renseignement bénéficient de brèches dans le système pour accéder aux contenus chiffrés, notamment les données contenues dans les smartphones et les messageries instantanées, pour mieux enquêter sur les terroristes. Mais il est impossible de s'assurer que ces vulnérabilités, si elles étaient créées, ne bénéficieraient pas aussi aux cybercriminels et aux espions étrangers...

Coincé entre deux impératifs -la lutte contre le terrorisme par tous les moyens d'un côté, la nécessaire protection de la vie privée et de la sécurité informatique de l'autre-, François Hollande a louvoyé. Fidèle à sa fameuse synthèse, il a laissé s'exprimer ces deux points de vue irréconciliables et a refilé la patate chaude à l'Union européenne.

     | Pour aller plus loin. Pourquoi le gouvernement est complètement incohérent sur le chiffrement

Recul des libertés, surveillance de masse

Pour les défenseurs des libertés, le quinquennat de François Hollande restera celui qui a fait entrer la France dans l'ère de la surveillance de masse. La Loi Renseignement (2015), la loi antiterrorisme (2016), l'Etat d'urgence et ses nombreuses mesures sécuritaires transposées ensuite dans le l'état de droit, ont donné aux services de renseignement et aux forces de l'ordre un arsenal inédit d'outils numériques pour surveiller l'ensemble de la population.

     | A lire. Sécurité : l'inquiétante dérive vers la surveillance de masse

Des IMSI-catchers (fausses antennes-relais qui captent toutes les conversations téléphoniques dans un périmètre donné) à l'algorithme de détection des comportements présumés suspects sur la Toile, en passant par les fameuses "boîtes noires" pour aspirer les données directement sur les réseaux, les outils numériques mis à disposition des agents du renseignement sont nombreux. Et même si les finalités de cette surveillance sont censées concerner uniquement la lutte contre le terrorisme, les textes restent vagues, notamment sur la notion "d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation", qui justifie de nombreuses intrusions. Et les contre-pouvoirs sont bien trop faibles, estime Adrienne Charmet-Alix, de la Quadrature du Net:

"La régression des libertés publiques sous Hollande est spectaculaire. L'état d'urgence et la réforme pénale de juin dernier ont même étendu aux forces de police des pratiques jusqu'alors réservées au renseignement. L'équilibre des pouvoirs a été mis à mal avec un affaiblissement du juge judiciaire et des recours d'un côté, et un renforcement du juge administratif de l'autre. Hollande a attaqué les libertés au-delà de ce qu'aurait pu faire un gouvernement de droite".

La plupart des autres experts, du Conseil national du numérique à la Cnil, en passant par les fédérations professionnelles et les spécialistes du droit, sont à peine plus nuancés. A l'image de Camille Viazaga, la secrétaire générale du cercle de réflexion Renaissance numérique:

"La Commission nationale de contrôle (CNRT), créé en guise de contre-pouvoir dans la Loi Renseignement, a été un peu renforcée suite aux polémiques, mais son existence est plus symbolique qu'autre chose. La réalité est que l'Etat s'est octroyé un pouvoir considérable sur nos données personnelles".

Sylvain Rolland

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Commentaires 5
à écrit le 05/12/2016 à 13:59
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de plus en plus, des start-up s'amusent à créer des logiciels piochant dans vos comptes sociaux et vos traces internet, pour créer des statistiques, pour fixer les prix des assurances, il y'en a même qui peuvent dire, si vous allez être un bon locata...

à écrit le 05/12/2016 à 11:32
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Je n'ai pas vraiment peur de la surveillance:dans un pays ou les fonctionnaires ne travaillent pas trop,n'attendons pas trop de zèle dans leur mission

le 05/12/2016 à 13:35
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le zèle ne viendra pas d'eux, mais des concepteurs externes et de la puissance logiciel qui ne sera pas atteinte par le bore out, entrainant un excès de pouvoir, par application systématique de règles que personne ne peux connaitre, car elles sont tr...

à écrit le 05/12/2016 à 10:05
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Bon article qui montre bien que les limites de Hollande: au debut on y connait rien, apres on essaie de reparer les pots cassés et au final on finit par du securitaire et espionner tout le monde, sans compter le calinage des zayant-droits (bon c est ...

à écrit le 05/12/2016 à 9:12
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D'un autre côté en situation d'état d'urgence permanente il est obligé que nos droits reculent. Échanger une pseudo sécurité contre nos libertés c'est vieux comme le monde.

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