La France peut-elle devenir un leader de l'IA face aux Gafam et aux BATX  ?

La France peut-elle devenir un leader mondial de l'intelligence artificielle ? Pour la vingtaine d'intervenants réunis jeudi 8 février lors de la première Nuit de l'IA, c'est possible. À condition d'assouplir certaines barrières administratives et de convaincre le grand public.
« Beaucoup de Français ont encore peur de l'IA. Ils ne sont qu'un tiers à la voir positivement, contre 80% en Chine. Et 20% de nos concitoyens ne savent pas utiliser une interface numérique. Ceux-là doivent être notre priorité ».
« Beaucoup de Français ont encore peur de l'IA. Ils ne sont qu'un tiers à la voir positivement, contre 80% en Chine. Et 20% de nos concitoyens ne savent pas utiliser une interface numérique. Ceux-là doivent être notre priorité ». (Crédits : DR)

Une salle pleine et beaucoup de gens debout. La Nuit de l'lA qui a eu lieu jeudi 8 février au Palais de Tokyo a réussi son pari malgré des conditions météo difficiles : réunir l'écosystème français de l'intelligence artificielle, qui sera sans conteste le sujet chaud de 2018. Les organisateurs, l'agence Artefact et l'association France is AI (soutenue par France Digitale), veulent faire de la France un hub mondial de cet ensemble de technologies qui, selon le Forum de Davos, constitue le moteur de la quatrième Révolution Industrielle.

Un objectif pour le moins ambitieux, vu l'avance prise par les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et IBM, et les investissements considérables programmés par le gouvernement chinois (50 milliards de dollars d'ici 2025) et les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi).

Pour Damien Gromier, président de France is AI, « l'écosystème français de l'intelligence artificielle existe, mais il faut le rendre plus visible », grâce par exemple à une cartographie qui met en valeur les 280 startups, les 100 laboratoires de recherche publics et privés et les diverses communautés qui travaillent sur des projets liés à l'IA. Et selon Jean-David Chamboredon, coprésident de France Digitale et investisseur avec le fonds ISAI, il faut jouer collectif et « lever le pied sur le RGPD (1), qui, sous couvert de protection des consommateurs, fait le jeu des GAFA ».

Pour ce zélateur de l'entrepreneuriat, si la messe est dite concernant l'exploitation des datas consommateurs - les GAFA ont déjà gagné - il reste des niches (mobilité, santé, énergie, sécurité) pour lesquelles le jeu reste ouvert pour les entreprises françaises.

Le RGPD, cadeau aux GAFAM ?

Cette manifestation a aussi réussi un exploit : faire prononcer un discours positif par le docteur Laurent Alexandre (fondateur de DNAVision et actionnaire minoritaire de la Tribune) sur les politiques français et les instances européennes en matière d'IA, lui qui a plutôt l'habitude de les juger sévèrement.

« Il se passe quelque chose. L'État commence à comprendre qu'il faut cesser de changer les lois sans arrêt et d'essayer de fabriquer un Monopoly industriel en subventionnant les canards boiteux. Même à Bruxelles, des gens se rendent compte de l'absurdité du RGPD et de la directive e-privacy, qui sont des cadeaux faits aux GAFAM et risquent de tuer l'écosystème ».

L'auteur de la « Guerre des Intelligences » (JC Lattes) salue l'annonce par Cédric Villani d'un investissement de 30 milliards d'euros dans l'IA à l'échelle européenne, mais il estime que cette somme devrait être plutôt de 200 milliards.

« L'IA a besoin de temps long : il faudra des années et des milliers de sociétés pour créer des champions européens. Tencent (géant de l'Internet chinois), c'est 250 fois OVH (leader européen du cloud) ! » rappelle Laurent Alexandre, pour qui l'IA nécessite d'énormes masses de data, et donc une réglementation plus souple sur leur usage.

Illustration avec la startup Cardiologs. Pour créer sa base de données de 700.000 ECG (électro cardiogrammes), la startup a dû aller se fournir en data aux États-Unis, en Chine et en Inde.

« La France ne peut être compétitive dans le domaine de la santé en matière d'IA, car l'accès aux données est impossible. Donc le futur leader de ce secteur sera certainement américain » regrette Yann Fleureau, fondateur de Cardiologs.

Rassurer les Français

Malgré ses réserves, Laurent Alexandre voit apparaître « une fenêtre d'opportunité pour l'IA française, grâce à un écosystème dynamique et un gouvernement qui veut avancer ». Le secrétaire d'État chargé du Numérique, Mounir Mahjoubi était présent pour présenter la vision de l'État sur l'intelligence artificielle. Pour le ministre, il faut trouver un équilibre entre performance et humanité :

« beaucoup de Français ont encore peur de l'IA. Ils ne sont qu'un tiers à la voir positivement, contre 80% en Chine. Et 20% de nos concitoyens ne savent pas utiliser une interface numérique. Ceux-là doivent être notre priorité ».

Ce jeudi 8, l'Assemblée Nationale a débattu du futur RGPD, et selon le Secrétaire d'État, les députés sont inquiets et prêts à interdire tout usage des données personnelles de santé, énergétiques, etc.

« J'ai entendu de la peur. La condition absolue est donc de susciter un engagement autour de l'IA, qui présente de nombreuses opportunités, et ce dès le plus jeune âge » a conclu Mounir Mahjoubi.

Une des manières de rassurer le grand public est d'augmenter la sécurisation des données utilisées par les algorithmes des IA. C'est l'objectif de Dathena, fondée par Christopher Muffat, venu spécialement de Singapour pour présenter sa société. Embauché en 2008 par HSBC Suisse en pleine affaire des Swiss Leaks (blanchiment de fraude fiscale, procédure juridique toujours en cours, Ndlr), il décide de trouver une méthode simple pour mieux organiser les données.

La troisième vague de l'IA

Après cinq ans de R&D, Dathena propose une solution à base de traitement naturel du langage et de machine learning pour retrouver, auditer et organiser ses datas, et ainsi aider les sociétés à se mettre en conformité avec le RGPD. Pour que l'IA française compte au plan mondial, il faudra également produire des talents. Or, selon Bernard Ourghanlian, CTO de Microsoft France, seuls 1087 data scientists ont été diplômés en 2016, très loin des besoins évalués par Lionel Touati, Cloud Platform Sales Engineer chez Google, a un million de data scientist et 21 millions de développeurs à l'échelle mondiale.

La France est pourtant capable d'engendrer des champions mondiaux, comme elle l'a prouvé avec Aldebaran et ses robots Pepper et NAO, racheté par le japonais Softbank. Bruno Maisonnier, fondateur d'Aldebaran, a présenté son nouveau projet Another Brain, qui veut dépasser les réseaux de neurones et le deep learning pour surfer sur la troisième vague de l'IA avec des « circuits intégrés d'IA bio inspirés pour un apprentissage autonome et non supervisé ».

« Certains expliquent qu'il faudra des années pour atteindre cette troisième vague. Nous disons que nous le ferons d'ici vingt mois » affirme Bruno Maisonnier, qui a levé 10 millions d'euros et vise les marchés de l'IoT, de la robotique, de la défense et des voitures autonomes.

Finalement, l'IA du futur pourrait bien être made in France.

---

(1) Le Règlement Général pour la Protection des Données entrera en vigueur le 25 mai prochain. Il instaure de nouvelles obligations pour toute entité qui gère des volumes massifs de données personnelles. La directive e-privacy, toujours en discussion, traite du consentement des internautes à recevoir des cookies

______

ENTRETIEN AVEC...

MOUNIR MAHJOUBI, Secrétaire d'État auprès du Premier ministre chargé du Numérique

JEAN-DAVID CHAMBOREDON, co-Président de France Digitale et CEO de ISAI

VINCENT LUCIANI, Artefact Créateur de AI Night 2018

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 32
à écrit le 12/02/2018 à 17:35
Signaler
Ne laissons pas passer le train ! http://up-magazine.info/index.php/intelligence-artificielle/intelligence-artificielle/7358-intelligence-artificielle-ne-laissons-pas-passer-le-train Les Français plébiscitent l'intelligence artificielle dans le do...

à écrit le 12/02/2018 à 16:58
Signaler
Les gens fantasment. Ils ne faut pas oublier que la santé connectée comme les payements sans contact ne décollent pas en France à cause de l'excellence des infra structures . La visite d'un généraliste à l'étranger frise les 100 dollars .... donc on ...

à écrit le 12/02/2018 à 13:21
Signaler
A Alain D : "Outscale, la filiale cloud de Dassault Systèmes, compte disposer de 35 datacenters en 2025 https://www.usine-digitale.fr/article/outscale-la-filiale-cloud-de-dassault-systemes-compte-disposer-de-35-datacenters-en-2025.N617238" Vous ...

le 12/02/2018 à 20:18
Signaler
Outscale ne vise pas la quantité mais la qualité et la sécurité. Le Cloud de Microsoft est lié à la vente de ses logiciels. Le Cloud d'Amazon à son commerce. Ces deux là ne sont pas effectivement pas dans des niches, ce sont les discounteurs du C...

à écrit le 11/02/2018 à 18:37
Signaler
Je serais bref , le modèle des GAFAs se base sur des financements privés massifs que nous n'avons pas en France , sans compter l'incompétence des élites françaises dans le domaine ...

à écrit le 11/02/2018 à 16:27
Signaler
Attention ! Vous dîtes que concernant l'exploitation des datas consommateurs la messe est dite, les GAFA ont déjà gagné. Oui on pourrait dire que concernant les voitures de luxe les Allemands ont déjà gagné, mais c'est pas vrai. On aurait pu dire il ...

le 11/02/2018 à 20:05
Signaler
Peut-être y a t-il de l'espoir du côté européen, je le crois, je le souhaite... mais en revanche je ne parierais pas un sou là-dessus. Le marché européen est, en principe, le plus vaste du monde mais vous oubliez de dire que les États européens s...

le 11/02/2018 à 20:20
Signaler
Peut-être y a t-il de l'espoir du côté européen, je le crois, je le souhaite... mais en revanche je ne parierais pas un sou là-dessus. Le marché européen est, en principe, le plus vaste du monde mais vous oubliez de dire que les États européens...

le 12/02/2018 à 19:58
Signaler
@Wemopachi : est ce que vous vous écoutez parler ? On dirait un déballage de poncifs et patati et patata ! Oui c'est clair vous aimez vous écouter. LOL ! L'Europe est foutue, l'Europe est dépassée, etc. Libre à vous de le croire. Moi je pense que c...

à écrit le 10/02/2018 à 23:51
Signaler
Les scénaristes de SF passent pour des imbéciles avec leurs distopies sur l'IA. La réalité est tellement plus sinique et déplorable... Je crois que la SF de l'IA va devenir de plus en plus interessante. A moins qu'elle ne soit écrite par des IA... ...

le 11/02/2018 à 22:56
Signaler
Intéressant réquisitoire, et très lyrique... mais êtes-vous si sûr que nous allions vers le passé du futur du subjonctif avec 1984 dans le rétroviseur ?

à écrit le 10/02/2018 à 22:24
Signaler
Je préférerais qu'on nous parle d'abord de la multitude de projet fondés sur la technologie BLOCKCHAIN que l'on couplera ou non avec des services d'IA selon les opportunités. En essayant d'imiter les GAFAM et les BATX je suis convaincu que nous pe...

à écrit le 10/02/2018 à 21:13
Signaler
Vous remarquerez que ce genre d'articles sont rarement signés... probablement qu'ils sont ''construits'' par des robots à partir de dépêches qui proviennent d'un peu partout.

à écrit le 10/02/2018 à 20:16
Signaler
Le millionième article sur le potentiel de la France ? La millionième incantation de politiques qui "veulent" mais bien souvent ne maîtrisent pas les sujets : au passage connaissant par des tiers le ministre de l'économie numérique, il n'a jamais a...

le 10/02/2018 à 21:16
Signaler
Je dois dire que vous apportez des arguments intéressants... surtout dans le dernier paragraphe.

le 10/02/2018 à 23:59
Signaler
Entièrement d'accord, je ne suis pas un fan du protectionnisme mais sur l'économie numérique c'est la seule façon de se faire une place alors il faut s'assoir sur les dogmes libéraux qui sont bien quand on fait partie des gagnants.

le 11/02/2018 à 4:25
Signaler
A Mounir de rire

le 11/02/2018 à 18:25
Signaler
Arrêtez de critiquer ! La France va être sauvé par le management new age. J'ai vu une émission ou un "expert" français expliquait qu'il fallait changer une équipe qui gagne car statistiquement elle finirait un jour par perdre (une lapalissade). Logiq...

le 11/02/2018 à 19:49
Signaler
En 2011, avec son 5ème Datacenter, OVH était quasiment inconnu. OVH en 2012 était Rikiki, il avait du bagarrer longuement avec les pouvoirs publics, toujours aussi nuls, pour obtenir un terrain. https://www.usinenouvelle.com/article/ovh-va-embauche...

à écrit le 10/02/2018 à 19:13
Signaler
Peut-être si l'Etat ne s'en mêle pas, et favorise juste la mise la à disposition de moyens financiers pour le développement du secteur, sinon cela finira en plan calcul de sinistre mémoire.

le 11/02/2018 à 14:49
Signaler
Et voila ,on retombe dans le négativisme a la française!....au contraire,unissons nos forces pour développer l'AI grace aux nombreuses structures compétentes(CCI,Régions,Départements,Métropoles et communautés de commune)Toutes ont une expertise et de...

à écrit le 10/02/2018 à 18:38
Signaler
Et pourquoi pas laisser faire le travail par les autres et faire une récupération de technologie le moment venue? L'Europe n'est pour l'instant qu'un continent avec un appareil administratif dogmatique qu'est l'UE de Bruxelles, une monnaie sans patri...

à écrit le 10/02/2018 à 16:23
Signaler
Si je compte bien... Google a lui tout seul doit investir 2000 fois plus en AI que le gouvernement Francais. Ca va quand meme etre difficile .

à écrit le 10/02/2018 à 16:19
Signaler
C'est simple, il faut du fric, c'est le nerf de la guerre, inutile de chercher plus loin. A l'échelle de la France, ce n'est pas possible de rivaliser, à l'échelle de l'UE oui. Il faut donc investir, convaincre nos alliés européens d'investir . I...

à écrit le 10/02/2018 à 15:56
Signaler
La France a toutes ses chances à condition de bien définir comment elle veut utiliser l'IA, qui n'est quand même qu'un outil. Si c'est pour nous envoyer toujours plus de pubs et nous transformer en robots, qu'elle passe son chemin. Tout est dans la f...

à écrit le 10/02/2018 à 15:21
Signaler
La France, et notamment Paris, possède probablement un des meilleurs écosystèmes du monde pour l'IA . Le nombre et le montant des levées de fond pour nos startup vient de dépasser la GB, trois fois plus que l'Allemagne, et continuent a augmenter. Le...

le 10/02/2018 à 17:38
Signaler
On sent que vous vous bombez le poitrail d'un patriotisme débridé, bien que je respecte le principe et le geste, il reste que celui-ci est totalement irrationnel et dénué de tout fondement. Non seulement la France n'est même pas à l'aube d'être u...

à écrit le 10/02/2018 à 13:34
Signaler
Mais c’est ridicule!!! La France n’est même pas dans les 20 premiers pays les plus avancés sur le plan numérique selon le dernier classement de l’OCDE... Comme par hasard, les médias français n’en parlent pas.

le 10/02/2018 à 17:58
Signaler
@ Ardisson C'est tout à fait juste, la France est totalement déclassée sur le plan du numérique, comme l'Europe l'est aussi, par ailleurs. Ce qui explique aussi le gigantesque déficit commercial Français. Je déplore aussi cette façon que les m...

à écrit le 10/02/2018 à 13:22
Signaler
Comment monsieur Mounir compte-t-il intégrer de l'humanité dans l'IA alors qu'il y en a de moins en moins dans l'organisation du travail, dans l'action sociale, dans l'éducation, dans la politique en générale. Avant d'inventer l'IA en France, il faud...

à écrit le 10/02/2018 à 12:19
Signaler
La France n’a tout simplement aucune chance parce qu'elle ne dispose que de très peu de budget et encore moins d’une expertise suffisante. Par contre, une coentreprise européenne du type Airbus mais pour l’IA... m’apparaît un projet plus plausible et...

à écrit le 10/02/2018 à 11:54
Signaler
La France a déjà perdu la course à l'IA. Elle risque d'avoir encore une guerre de retard. Il faudrait qu'elle investisse dans le tueur d'IA, tout comme la NSA a investi massivement dans le malware. L'objectif serait de d'influencer, de prendre le con...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.