18 startups de la French Tech à la conquête de l'Amérique

La troisième promotion du programme d'accélération ubi i/o, mené par Business France et Bpifrance, a été dévoilée. Dix-huit pépites françaises, dont Lima, Qowisio, iTrust, S4M ou encore Redbird, font partie de cette promotion prestigieuse et vont s'immerger durant dix semaines dans la Silicon Valley de San Francisco ou la Silicon Alley de New York. Avec l'objectif de percer aux États-Unis.
Sylvain Rolland

« Vous parlez trop de votre technologie et pas assez de votre business. Qui êtes-vous ? Quelle est, en quelques mots, votre proposition de valeur ? À quel besoin répondez-vous et comment le faites-vous mieux que les autres ? Les investisseurs ont besoin de savoir pourquoi ils devraient croire en vous. »

Jeudi 10 mars, 11 heures. La célèbre coach Laura Elmore, réputée pour avoir conseillé les plus grands dirigeants de la Silicon Valley, y compris Steve Jobs, passe au crible le modèle économique de deux pépites françaises, Tilkee (un logiciel pour stimuler les ventes) et AB Tasty (marketing prédictif). Cette première séance se déroule dans une salle de réunion du hub de Bpifrance, à Paris. L'objectif ? « Faire réfléchir » les dirigeants des deux startups sur leur proposition de valeur, de manière à améliorer leur capacité à « pitcher » auprès d'investisseurs américains.

Car, dans quelques semaines, Tilkee et AB Tasty, ainsi que 16 autres joyaux de la French Tech, s'envoleront vers les États-Unis. Ils participeront à la promotion 2016 du programme d'accélération ubi i/o, mené par Business France et Bpifrance. Du 18 avril au 24 juin, ces entrepreneurs, souvent jeunes, vivront une immersion totale et intensive là où « tout se passe ».

Dix startups poseront leurs valises à San Francisco, dans la Silicon Valley. Les huit autres, principalement des « adtech » (technologies de la publicité) et des startups du logiciel, atterriront à New York, dans la Silicon Alley, le deuxième écosystème d'innovation au monde, derrière celui de la côte californienne.

« De la sueur, du sang et des larmes... de joie »

Dans la lignée de sa stratégie d'internationalisation des entreprises françaises, la French Tech met les petits plats dans les grands pour ouvrir les portes de l'international aux startups bleu-blanc-rouge. Pour sa troisième édition, le programme ubi i/o change de dimension.

« Il y aura cette année davantage de startups accompagnées que lors des deux précédentes éditions réunies, soit 18 en 2016 contre 16 jusqu'à présent », relève Nicolas Dufourcq, le directeur de Bpifrance.

Le but est clair : favoriser l'éclosion de nouvelles licornes aux côtés de Criteo ou de Blablacar. Pour cela, réussir son implantation aux États-Unis est indispensable.

« Toute startup qui veut changer de dimension et devenir un acteur mondial dans son secteur doit se déployer aux États-Unis le plus vite possible », a expliqué Nicolas Dufourcq, dans son discours aux participants.

Triés sur le volet parmi une centaine de candidats, les participants ont été choisis en fonction de la maturité et du potentiel de leur startup. Lima (réseau dans le nuage personnel), Qowisio (opérateur télécom pour l'Internet des objets), iTrust (cybersécurité), S4M (publicité sur mobile) ou encore Redbird (drones) feront aussi partie de cette promotion prestigieuse.

Mais le voyage ne ressemblera pas à une sinécure.

« Je vous promets de la sueur, du sang et des larmes... mais à la fin, des larmes de joie », lance Henri Baïssas, le directeur général délégué export de Business France.

« Vous n'allez pas beaucoup dormir, vous allez beaucoup travailler, mais au bout du compte vous allez réaliser en dix semaines ce qui se fait d'ordinaire en un an », ajoute Nicolas Dufourcq.

Coaching intensif sur la scénarisation

Ce que propose ubi i/o, c'est avant tout l'accès à un réseau. Les startups rencontreront des investisseurs de premier plan, des grands groupes américains et la crème des coachs, à l'image de Laura Elmore. Ce réseau s'appuie sur les connexions de Bpifrance et de Business France aux États-Unis, et sur l'écosystème des Frenchies déjà installés à San Francisco et à New York. Stéphane Alisse, le directeur des activités high-tech de Business France, joue un rôle clé dans ce dispositif. Installé à San Francisco depuis quinze ans, ce fin connaisseur de la Silicon Valley dispose d'un carnet d'adresses tentaculaire, qu'il met à la disposition des startups d'ubi i/o. C'est lui qui a convaincu Laura Elmore de participer au programme, par exemple.

Le premier objectif de cette immersion de dix semaines est d'adapter les Français à la culture entrepreneuriale très spécifique des États-Unis. Ubi i/o est né du constat qu'il est très difficile pour un entrepreneur non américain de comprendre et de s'ajuster au marché étatsunien.

Comme l'explique Stéphane Alisse, « on ne fait pas du tout du business de la même façon. En France, une entreprise technologique naît souvent dans un laboratoire. D'abord on crée la technologie, qui est souvent remarquable, puis on trouve à quoi elle va pouvoir servir. Aux États-Unis, c'est l'inverse. On part de l'identification d'un besoin, d'un marché, puis on se pose la question de comment on va y répondre. Cette inversion des pratiques nécessite un gros travail de préparation et d'adaptation. »

Conseils juridiques et fiscaux, coaching intensif sur la scénarisation, sur le « pitch » face aux investisseurs ou sur la gestion de produits (product management)... Le premier but d'ubi i/o est d'acquérir rapidement cette culture, indispensable pour signer des « deals » avec des grands groupes et partenaires, et séduire les investisseurs dans un contexte ultra-concurrentiel.

« Notre ambition est désormais de parvenir à identifier rapidement les distributeurs avec lesquels travailler pour faire connaître notre offre et nous implanter durablement aux États-Unis », espère Sylvain Tillon, le président fondateur de Tilkee, membre de la promo 2016.

Ainsi, chaque startup sera obligée de participer, toutes les semaines, à des concours de « pitch ». Elle devra aussi jongler avec « une cinquantaine de rendez-vous très ciblés, que ce soit avec des clients potentiels, des investisseurs ou des journalistes », précise Stéphane Alisse. Est-ce que ça marche ? Les résultats des deux premières promotions sont, en tout cas, très positifs. Sur 16 startups qui ont bénéficié du programme, 14 se sont implantées aux États-Unis, soit un taux de succès de 88 %. Elles ont levé 50 millions de dollars pendant ou à l'issue du programme et ont signé plus de 150 contrats commerciaux grâce à ubi i/o. Parmi elles, Giroptic (caméra à 360°, distingué au CES de Las Vegas), Pradeo (cybersécurité) ou encore Tradelab (« adtech »), font partie des plus belles réussites.

Pour Philippe Laval, le PDG d'Evercontact, issu de la promotion 2015, ubi i/o a fait office de « déclic ». Son service propose gratuitement aux particuliers, et via un abonnement aux entreprises, de récupérer toutes les données de contact des messageries électroniques pour constituer un carnet d'adresses remis à jour en permanence. « On s'est rendu compte qu'on avait une technologie de très haut niveau, mais qu'on ne l'exploitait pas à la hauteur de son potentiel. Cette réflexion nous a poussés à modifier à la fois notre proposition de valeur et notre modèle économique », indique-t-il.

Si l'entrepreneur a eu besoin de « cinq semaines » pour s'ajuster à la culture entrepreneuriale américaine, il estime avoir appris à « avoir davantage d'ambition » et à penser « business first ». « Lors de notre premier "pitch" face à 15 autres startups, on s'est fait massacrer, on a terminé dans les derniers. Trois semaines plus tard, on finissait quatrième.

Encore un mois après, on gagnait le concours », se souvient-il avec fierté. Grâce aux contacts glanés, l'entreprise travaille actuellement sur une levée de fonds de 2 millions d'euros. Philippe Laval a déménagé à San Francisco et n'exclut pas de délocaliser le siège social d'Evercontact dans la Silicon Valley si ses futurs investisseurs le réclament.

La tentation de la délocalisation

Pour sa part, Mathieu Lhoumeau, le PDG-fondateur de Concord Now, qui s'illustre dans l'informatique en nuage, a effectué cette transition. Issu de la promotion 2014, l'entrepreneur a levé en 2015 2,7 millions de dollars auprès d'investisseurs rencontrés lors de rendez-vous organisés par ubi i/o.

« Nous avons changé notre discours marketing, notre manière de "pitcher", on a compris comment se distinguer de la concurrence pour mieux se développer, car la compétition est beaucoup plus féroce aux États-Unis », indique celui qui se fait appeler « Matt » outre-Atlantique.

Même s'il conserve sa R et D à Paris, sa startup est aujourd'hui établie à San Francisco. C'est le revers de la médaille. Si ubi i/o permet à des pépites françaises de réussir leur implantation aux États-Unis en un temps record en leur fournissant conseils et réseau, la tentation est grande de larguer les amarres... pour de bon.

Sylvain Rolland

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