"Paris peut devenir la capitale mondiale des femmes entrepreneures" Caroline Ramade

L’incubateur Paris Pionnières, créé en 2005 pour aider les femmes entrepreneures à lancer leur startup, fête cette année ses 10 ans. Sa nouvelle déléguée générale adjointe, Caroline Ramade, revient pour La Tribune sur les défis des femmes entrepreneures dans la French Tech.
Sylvain Rolland
En dix ans, Paris Pionnières a accueilli 200 start-ups, qui ont créé 1.000 emplois et levé un total de 20 millions d’euros, avec un taux de succès de 85%.

"On ne naît pas entrepreneure, on le devient". Bien en évidence sur le site de Paris Pionnières, ce détournement de la célèbre phrase de Simone de Beauvoir annonce la couleur d'entrée de jeu. Dans un écosystème d'innovation très masculin, cet incubateur dédié aux projets portés par les femmes, créé en 2005, ambitionne de secouer le cocotier en donnant aux femmes les moyens de développer leur startup et de détruire des préjugés tenaces, autant de freins à l'innovation.

Dans leurs locaux modernes du 11è arrondissement parisien, inaugurés en septembre dernier par le président (PS) de la Région Ile-de-France Jean-Paul Huchon, la nouvelle déléguée générale adjointe, Caroline Ramade, revient pour La Tribune sur les défis des femmes entrepreneures et sur l'évolution de la place des femmes dans la French Tech depuis dix ans.

A 37 ans, l'ancienne responsable adjointe du département numérique de la Mairie de Paris, où elle a notamment développé le label My Startup in Paris, mesure le chemin parcouru et celui qui reste à faire. Entretien.

LA TRIBUNE. Aujourd'hui, moins de 10% des startups sont créées par des femmes. Comment expliquez-vous cette sous-représentation ?

CAROLINE RAMADE. C'est un problème sociétal et culturel. Il ne faut pas oublier qu'on part de loin : jusqu'en 1965, les femmes devaient demander l'autorisation à leur mari pour détenir un chéquier. La société a beaucoup évolué depuis mais les femmes restent sous-représentées dans les postes de pouvoir, les directions d'entreprises, les métiers financiers... L'entrepreneuriat ne déroge pas, d'autant plus que les femmes restent très minoritaires dans les écoles d'ingénieurs, ce qui accentue leur sous-représentation dans les métiers techniques et donc dans le secteur des nouvelles technologies en général.

De plus, l'entrepreneuriat est un milieu très masculin, qui exalte des valeurs qu'on associe plus volontiers aux hommes, comme la culture du risque, l'esprit de compétition et l'investissement intensif. Les femmes disposent bien évidemment des mêmes qualités et le fait qu'elles soient majoritaires dans les écoles de commerce montre qu'elles ont toutes les compétences requises pour monter et diriger une startup.

Le premier travail consiste donc à casser les freins à l'innovation féminine. Aujourd'hui encore, 64% des femmes craignent d'entreprendre car elles pensent qu'elles n'ont pas les compétences... Le manque de confiance en soi, l'isolement et la difficulté de s'insérer dans un milieu assez machiste sont les principaux freins.

200 startups incubées en 10 ans, soit 1.000 emplois et 20 millions d'euros levés

Comment fonctionne Paris Pionnières pour aider les entrepreneures à monter leur start-up ?

L'association a vu le jour en 2005 précisément pour tenter de corriger ces inégalités et lever ces freins. Nous n'accueillons donc que des projets portés par des femmes ou dans lesquels il y a au moins une femme dans l'équipe dirigeante. Cela n'empêche pas la présence d'hommes, bien au contraire, mais en tant que co-créateurs ou employés. En 2014, 60% de nos start-ups étaient fondées par une équipe 100% féminine, 40% étaient des équipes mixtes. Sur les six premiers mois de 2015, nous sommes quasiment sur du 50-50.

En dix ans, Paris Pionnières a accueilli 200 start-ups, qui ont créé 1.000 emplois et levé un total de 20 millions d'euros, avec un taux de succès de 85% ! C'est la preuve que les femmes peuvent réussir aussi bien que les hommes. Une étude de la Commission européenne pointe d'ailleurs que le PIB européen augmenterait de 9 milliards d'euros par an si les femmes représentaient la moitié du secteur du numérique, car les entreprises qui comptent une femme dans leur comité de direction ont une rentabilité supérieure de 34% à celles qui n'en comptent pas.

Une autre étude, menée sur 10 ans et sur 300 startups par le fonds d'investissement new-yorkais First Round, va encore plus loin en disant que les start-ups qui comptent au moins une femme dans l'équipe dirigeante sont plus performantes de 63% par rapport à celles qui ont une équipe de fondateurs exclusivement masculine.

Quels outils mettez-vous à la disposition de vos startuppeuses ?

Nous avons créé un programme de pré-incubation unique à Paris, #WoDi ou Women Disrupt, qui bénéficie à 40-50 porteuses de projet par an. Pendant deux à six mois selon la maturité de l'équipe, nous les accompagnons jusqu'à la validation du meilleur concept, le Miminum Viable Product, en les aidant à donner forme à leur idée, à consolider leur business plan, à trouver la meilleure équipe possible et en les mettant en relation avec des coachs et avec des experts et expertes de notre réseau.

A la fin de cette phase d'amorçage, l'équipe "pitche" son projet auprès de notre comité de validation, composé d'un jury externe de chefs d'entreprises, d'investisseurs et de partenaires de Paris Pionnières. S'il est retenu, la start-up peut intégrer le programme d'incubation, qui dure entre un et trois ans, et bénéficier de nos locaux si elle le souhaite.

Actuellement, nous avons 25 startups en incubation, dont 15 sont non-hébergées, et 10 en pépinière, qui correspond à la 2è et à la 3è année de l'incubation. L'incubateur est labellisé par la Ville de Paris et la BPI pour l'obtention du fonds « Paris Innovation Amorçage ».

Autant de start-ups dans les services que dans la technologie

Quel est le profil de vos start-uppeuses et y'a-t-il une différence entre les projets portés par les hommes et ceux portés par les femmes ?

Les équipes sont plutôt jeunes, beaucoup de trentenaires. Mais la proportion de femmes qui entreprennent avant 25 ans tend à augmenter, ce qui montre que la nouvelle génération est moins impactée par les préjugés et les freins psychologiques que les précédentes. Mais nous avons aussi des femmes jusqu'à 50 ans, qui ont fait une carrière et veulent se reconvertir. Les profils sont très variés.

Les projets le sont tout autant. Nous portons peut-être moins de startups technologiques et davantage de projets sociaux et dans les services que dans les autres incubateurs, en partie car les femmes sont moins présentes dans les métiers techniques. Sur les deux dernières promotions, nous avons incubé 40% de startups dans les services, 40% dans la technologie -applications, objets connectés, data...- et 20% dans l'économie du partage.

Quid des minorités, qui sont, comme les femmes, très mal représentées dans l'écosystème d'innovation ?

Les femmes et les minorités partagent un combat similaire pour davantage de visibilité et d'opportunités d'innover. C'est peut-être pourquoi nous avons une forte dimension internationale, car nous accompagnions actuellement des startuppeuses d'origine tunisienne, syrienne, chinoise et israélienne.

Paris Pionnières a aussi été approché par le département de la Seine-Saint-Denis pour faire un Possible Camp. C'est un événement que nous avons lancé à Paris en juin dernier. L'idée est de permettre à un groupe de femmes qui ont une idée de projet et beaucoup de questionnements de se plonger dans le monde de l'entrepreneuriat et de l'innovation pendant trois jours. Elles bénéficient de notre expertise et de nos conseils pour voir si elles veulent se lancer dans l'aventure startup.

Pour beaucoup de femmes, ces trois journées font office de thérapie de choc, de prise de conscience qu'il n'y a aucune raison de ne pas réussir si on est motivé et qu'on a une bonne idée. Organiser un Possible Camp pour les femmes des banlieues serait formidable, car les banlieues regorgent de pépites cachées.

Efficacité économique

Comment a évolué la représentation des femmes dans l'écosystème d'innovation depuis dix ans et cela a-t-il eu un impact sur Paris Pionnières ?

Il y a eu d'indéniables progrès mais le travail reste immense. Aujourd'hui, entre 8% 10% des startups sont fondées par une femme. C'est très peu, mais il y a dix ans, on était à 5%, soit moitié moins. La situation est similaire dans les autres pays européens.

Mais Paris Pionnières a fait des émules et il y a de nombreuses raisons de se réjouir car aujourd'hui, l'entrepreneuriat au féminin est de plus en plus décomplexé. Des événements et des réseaux féminins se sont montés et connaissent le succès, comme Girls in Tech, Femmes Business Angels, Social Builder... [NDLR : ou encore la Journée de la femme digitale et la Lady Pitch Night].

Paris Pionnières a aussi énormément évolué. Au début, nous travaillions surtout sur les freins à l'innovation en mettant l'accent sur l'accompagnement personnel pour améliorer la confiance en soi. Avec les années et l'expérience, nous avons ajouté de l'accompagnement collectif et développé un réseau d'experts et d'expertes à tous les niveaux de la chaîne, de la définition d'un business model à la recherche de financements, en passant par le storytelling, l'aide à la décision, le design, le retail... Notre approche est donc aujourd'hui beaucoup plus pragmatique et centrée sur l'efficacité économique des projets. Le succès de nos startups nous pousse à continuer dans cette voie.

Quelques exemples ?

Nous avons des startups formidables comme Magic Makers, qui apprend le code aux enfants le mercredi pendant que les parents travaillent. Vinoga, créée par une jeune entrepreneure de 25 ans, Fanny Garret, prépare une levée de fonds pour développer son jeu social qui permet d'apprendre l'œnologie. Certaines ont gagné des prix comme My Precious Life, lauréate des App Awards 2014 pour son carnet numérique, ou V-Project, qui a remporté le challenge Datavenue Orange pour son garde du corps virtuel qui fonctionne sur des montres connectées et des smartphones.

Quels sont vos projets pour les années à venir ?

Nous voulons multiplier les partenariats, avec des fonds d'investissements et d'autres incubateurs et institutions par exemple, pour passer à la vitesse supérieure et lever davantage de fonds. Notre ambition est de passer de 50 à 150 porteuses de projets par an d'ici à 2017 et contribuer à faire de Paris la capitale mondiale des femmes entrepreneures. Nous voulons hacker la statistique, travailler sur la "data entrepreneur" pour sortir des discours généralistes sur les femmes et pointer du doigt les succès.

Cela passe également par la multiplication d'événements comme le Possible Camp mais aussi d'autres comme le concours Wonder Woman of Paris, que nous lançons à la mi-octobre. Les femmes porteuses de projets devront pitcher en six secondes leur idée sur une plateforme vidéo. Il sera doté de quatre prix dont un de 10.000 euros.

Sylvain Rolland

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Commentaires 6
à écrit le 14/08/2015 à 14:59
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"les start-ups qui comptent au moins une femme dans l'équipe dirigeante sont plus performantes de 63% par rapport à celles qui ont une équipe de fondateurs exclusivement masculine" Impossible à démontrer scientifiquement (ie, mettre au point un proc...

le 18/08/2015 à 15:00
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Ce qui est à mourir de rire c’est quand un misogyne cri de toute son arrogance au sexisme…Ce sont les organismes (Mc Kinsey, CSA, Crédit Suisse….etc.) qui font les statistiques et ce sont bien sur des chiffres vérifiables en consultant les données ...

à écrit le 14/08/2015 à 14:54
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"cet incubateur dédié aux projets portés par les femmes" Incubateur sexisme pratiquant la discrimination envers les hommes : je suis étonné que cela soit légal en France. A vomir.

à écrit le 14/08/2015 à 10:59
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Caroline ramade est membre du Parti Socialiste. Elle est signataire d'une motion Innovations Démocratiques au congrès de Toulouse du Parti Socialiste du 26 au 28 octobre 2012.

à écrit le 14/08/2015 à 10:46
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Le titre "Paris capitale mondiale des femmes entrepreneures" est à hurler de rire. Cette organisme inutile sert surtout à recaser les apparatchiks de la mairie socialiste de Paris. Le titre de délégué générale adjointe me laisse perplexe et laisse i...

à écrit le 14/08/2015 à 9:17
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Bof, comme si Paris n'était pas en France et comme si être une femme ou un homme, cela changeait grand chose face à l'Etat qui fait tout son possible pour couler les entreprises nouvelles. Quand j'ai crée mon entreprise, j'ai reçu du SIE (Service ...

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