La Blockchain libère les "entraves" de l'économie collaborative

Très loin de la "hype" que suscite cette technologie, la Blockchain (ou chaîne de blocs) pourrait être une nouvelle révolution pour Internet : celle des échanges entre individus. À l'opposé de l’économie des plateformes qui ont comme objectif de devenir des monopoles internationaux, l’économie collaborative pourrait revenir à ses fondamentaux.
Laurent Lequien

Tout comme Internet a réinventé la distribution de l'information, la technologie Blockchain devrait transformer la façon de gérer les transactions, les contrats, et plus généralement la notion de confiance sur les réseaux sans tierce partie. Banques, notaires, assureurs, mais aussi les plateformes telles qu'Uber ou Airbnb seraient impactés par cette nouvelle disruption.

Cette technologie, qui sous-tend les crypto-monnaies comme le Bitcoin, fournirait une alternative crédible à l'infrastructure procédurale, organisationnelle et technologique indispensable au maintien de la confiance à l'échelle institutionnelle avec des conséquences profondes.

« La confiance est une composante essentielle du fonctionnement de nos sociétés », explique Philippe Boyer, directeur de l'innovation à la Foncière des régions. « La confiance repose aussi sur des éléments objectifs : diplôme, réputation, références... Elle est le résultat d'un subtil équilibre entre décisions individuelles et garanties objectives... exactement ce que représente la Blockchain ».

La neutralité d'algorithmes incorruptibles

Internet promettait de tout décentraliser, de rendre les individus autonomes grâce au numérique, libre de créer et de produire de la valeur. Objectif réussi pour les échanges d'informations, bien moins en ce qui concerne les transactions de valeurs qui jusqu'à dernièrement ne pouvaient se soustraire du tiers de confiance.

Apparue en 2009 avec la monnaie Bitcoin, la Blockchain - nommée parfois "Internet de la valeur" - est concrètement une base de données décentralisée enregistrant tout type de transactions (argents, titres de propriété, votes électroniques, etc.) à l'instar d'un grand livre de comptes ; qui est hébergée sur un grand nombre de serveurs, que l'on ne peut pas modifier rétroactivement et sur laquelle on peut exécuter des logiciels faisant office de "contrats intelligents" (les smart contracts). Ces derniers sont chargés de vérifier si les clauses des contrats sont respectées par les parties.

Un protocole pour des usages en communs

Pour Benjamin Tincq, cofondateur de OuiShare, la Blockchain "s'inscrit dans une mutation profonde de nos sociétés qui cherchent à transformer nos systèmes organisationnels" et à "rompre avec les logiques pyramidales et l'hyper centralisation de la valeur". Intrinsèquement horizontal et distribué, ce protocole s'inscrit dans ce movement, favorisant notamment des logiques de coopération au sein d'organisations collaboratives décentralisées (DCO, en anglais). Appliqués à des services numériques, les concepteurs et les utilisateurs profitent financièrement des revenus du projet qu'ils supportent.

La Blockchain permettrait de répondre aux enjeux de réciprocité et de financement des communs chers à l'économie collaborative. C'est le pari de la startup Slock.it dans le domaine de la location dynamique et intelligente. Voitures garées, places de parking disponibles, appartements temporairement vides ... tout les actifs sous-utilisés sont transformés en revenus.

Ce type d'organisation collaborative facilite également la gestion de places de marché multi-produits, comme openBazaar ou encore de services de VTC décentralisés comme le propose La'Zooz, Arcade City et prochainement Juno (cf. ci-dessous), sans être redevable à une plateforme centralisatrice qui imposent sa politique aux utilisateurs. Pour certains, ce serait déjà les prémices de l'"uberisation des plateformes".

blockchain

Des travailleurs « réellement » indépendants

Nos capacités de négociation face aux plateformes sont actuellement proches de zéro. Les travailleurs dits indépendants sont aujourd'hui en réalité très dépendants des plateformes centralisées qui ont tout pouvoir sur les conditions qu'elles imposent aux nouveaux entrants et sur les commissions qu'elles prélèvent lors de chaque transaction. Ces acteurs "n'hésitent pas à surfer sur la crise pour monétiser des services dont ils ne sont pas propriétaires et à dicter leur loi auprès des véritables créateurs de valeur", explique un analyste.

Déployée à grande échelle, la technologie blockchain pourrait, d'ici à quelques années, sonner le glas de l'économie des « méga-plateformes ». En permettant de transférer la richesse et la confiance à ceux qui en sont vraiment les acteurs, les utilisateurs.

Cette technologie offre une alternative plus juste. Elle ouvre la voie à des organisations totalement autonomes à même de générer des revenus leur permettant d'assurer leur propre existence. Et c'est tant mieux pour l'économie collaborative.

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Du mythe du garage à celui du partage

La grogne monte. La baisse des tarifs imposée par Uber à New York, Chicago, San Francisco, Londres ou Paris en octobre 2015 a affecté la rémunération des chauffeurs. La solution pour compenser cette baisse : "augmenter le volume des courses". Pour la plateforme, "l'effet positif d'une baisse des prix sur le revenus des chauffeurs a été démontré dans toutes les grandes villes du monde où l'application est disponible". Ces déclarations ont fait l'effet d'une bombe auprès des chauffeurs "partenaires".

Pour certaines startups, ce modèle centralisé des plateformes ne peut plus perdurer. La'Zooz, une startup basée en Israël, a construit en 2015 la première application de covoiturage décentralisée utilisant la blockchain. Les utilisateurs finaux en sont propriétaires. Si La'Zooz est au ralenti suite au départ de l'un des trois co-fondateurs, aux Etats-Unis, d'autres projets comme Arcade City (Portsmouth) ou Juno (New York) ont repris l'idée d'un écosystème partagé et vont être en service très prochainement.

arcade city

Christopher David, ancien chauffeur Uber et fondateur de Arcade City, imagine un "Uber décentralisé" qui relie les conducteurs aux clients de pair à pair grâce à la blockchain.

"Si nous atteignions deux milliards de dollars de chiffre d'affaires [CA de Uber en 2015, NDLR], on ne va pas remplir les poches des investisseurs ou celles de la direction", explique-t-il. "Nous redistriburons à nos chauffeurs et améliorons l'expérience client."

Pour Talmon Marco, - ancien fondateur de Waze (vendu à Google), de Viber (vendu à Rakuten) et fondateur de Juno -, qui a déjà attiré 7.500 chauffeurs new yorkais pour la phase de test entamée en février dernier, "Ce qui est important, c'est que les conducteurs ne sont pas seulement être au volant ; ils doivent également posséder l'entreprise".

Laurent Lequien

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