La France face au défi de la fracture numérique

Dans l'Hexagone, des centaines de bourgs ne disposent toujours pas de réseau mobile. Et, dans bien des campagnes, l'Internet fixe est de si mauvaise qualité qu'envoyer un email relève de l'exploit. Si les pouvoirs publics tentent depuis des années de remédier à cette situation, faire venir les opérateurs dans certains territoires s'avère difficile.
Pierre Manière

En cette fin de mois de juillet, Jean-Claude Lafaye, le maire d'Yviers, petit bourg de Charente, apparaît soulagé. D'ici quelques jours, l'élu va enfin voir un pylône de téléphonie mobile sortir de terre au coeur de ce village d'un peu plus de 500 âmes. Pour les habitants, il ne s'agit ni plus ni moins que d'une révolution. Car aujourd'hui, à Yviers, passer un simple coup de fil avec son mobile sans être coupé relève de l'exploit. « On n'a pas de couverture du tout, ou vraiment très peu, explique Jean-Claude Lafaye. À la mairie, par exemple, rien ne passe. » À certains endroits, selon les jours, il est possible de grappiller un peu de réseau. Mais même si la chance est au rendez-vous, pas question, d'après le maire, d'espérer faire plus qu'envoyer un texto ou passer un coup de fil. À Yviers, l'Internet mobile, on ne connaît pas.

Outre le sentiment d'être déclassés, les habitants doivent composer, au quotidien, avec ce handicap. Lequel accouche parfois de situations terribles. « Il y a un an et demi, on a eu un accident du travail, raconte Jean-Claude Lafaye. Un ouvrier est tombé d'une toiture. Les pompiers ont été appelés, mais ils sont arrivés très en retard parce qu'ils se sont trompés de village, et n'arrivaient à joindre personne. La personne blessée est aujourd'hui paralysée. Si les pompiers étaient arrivés plus vite, les choses auraient peut-être été différentes... » À l'ouest du bourg, le centre d'aide par le travail est le principal poumon économique du coin. L'établissement fait travailler une centaine de personnes handicapées, dont beaucoup vivent sur place, dans des ateliers de ferronnerie, de maçonnerie et d'autres activités de sous-traitance. Pour Valérie Faye, chef de service éducatif, l'absence d'une couverture mobile digne de ce nom est difficile à vivre. D'autant plus que l'Internet fixe, lui aussi, est « catastrophique ». « C'est souvent très compliqué, affirme-t-elle. Il y a quelques jours, j'ai envoyé des mails, mais mes collègues n'ont rien reçu. » Regarder une courte vidéo est parfois tout bonnement impossible, poursuitelle, « surtout quand plusieurs ordinateurs sont allumés en même temps ».

550 villages et hameaux sans mobile

Dans ce contexte, le nouveau pylône de téléphonie mobile est perçu comme une bouée de sauvetage par les habitants d'Yviers. Même s'il ne sera probablement pas opérationnel avant plusieurs mois. En outre, il ne délivrera que de la 3G. Il faudra encore attendre pour surfer en 4G et utiliser pleinement un smartphone dans le bourg.

La situation d'Yviers est loin d'être une exception en France. Aujourd'hui, selon les derniers chiffres du gouvernement, il resterait au moins 550 hameaux et villages où le mobile ne passe toujours pas du tout. Au contraire des grandes villes, ces bourgs sont jugés non rentables par les grands opérateurs nationaux. C'est la raison pour laquelle, ces dernières années, l'État a mis en place un programme spécial baptisé « zones blanches - centres-bourgs ». Dans le cadre de ce plan, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free se sont engagés à couvrir, avec un soutien financier public, ces lieux délaissés. Le problème, c'est que ce programme, dont le terme était fixé au 30 juin 2017, demeure inachevé. D'une part, parce que la liste des bourgs à couvrir s'est allongée sur le tard. D'autre part, parce que, en plus de la lenteur de l'administration, élever un indispensable pylône de téléphonie n'est pas si facile. Il faut surmonter, par exemple, la grogne de certains riverains, qui ne veulent pas d'une antenne à côté de chez eux, ou les difficultés à trouver un endroit propice dans les villages de montagne, ou à proximité de sites classés.

Un "très bon débit" avant 2022

À côté de la couverture mobile, l'impossibilité d'accéder à un Internet fixe de qualité constitue aussi un énorme problème pour nombre de villes et villages de l'Hexagone. Au début des années 2010, lorsque Nicolas Sarkozy était au pouvoir, le gouvernement a lancé un vaste programme : le Plan France très haut débit (PTHD). Repris sans grand changement par François Hollande, ce gigantesque chantier à 20 milliards d'euros repose essentiellement sur le déploiement de la fibre optique, qui vise à remplacer le vieux réseau cuivré. In fine, ce programme doit permettre à tous les Français de disposer d'un Internet ultrarapide à l'horizon de 2022. Le problème, c'est que d'ici là de nombreux bourgs, villes et villages devront se débrouiller avec un ADSL à bout de souffle. Ce qui pèse de plus en plus sur la compétitivité économique de nombreux territoires.

Conscient de ces difficultés, Emmanuel Macron souhaite obtenir de nouveaux engagements des opérateurs en matière de couverture mobile. Sur ce front, l'exécutif veut accélérer et densifier la couverture 4G ces prochaines années. À ces fins, il négocie avec les opérateurs, qui demandent des contreparties aux investissements qu'ils vont devoir faire : ristournes fiscales, allongement de la durée des licences d'utilisation des fréquences...

Si, aux yeux du gouvernement, une amélioration sensible de la couverture 4G est prioritaire, c'est parce qu'elle permettra aussi d'apporter un Internet fixe de bonne qualité là où l'ADSL est défaillant, par l'intermédiaire de box 4G. L'objectif étant, in fine, de fournir un « très bon débit » (soit une connexion Internet fixe comprise entre 3 et 8 mégabits par seconde) à tous les Français d'ici 2020. Pour y arriver, outre la 4G à usage fixe, le gouvernement souhaite mobiliser toutes les technologies disponibles, comme le satellite ou la boucle locale radio. Sur le papier, ces mesures devraient permettre aux villes et aux villages jusqu'à présent dépourvus de moyens de télécommunication dignes de ce nom d'y accéder sans attendre la fin du Plan France très haut débit prévue dans cinq ans. Une échéance jugée bien trop lointaine par de nombreux élus locaux.

Pierre Manière

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Commentaires 2
à écrit le 02/11/2017 à 17:04
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Oui il faut réduire la fracture numérique en france' développer complètement le réseau de la 4g mais dans les coins les plus reculés et dans les zones blanches. Internet doit être accessible pour tous les français et il faut s'adapter à la France du ...

à écrit le 12/09/2017 à 15:44
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s'il avait fallu faire confiance aux opérateurs privés pour déployer le téléphone fixe en France à la place des PTT je me demande ce que cela aurait donné !

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